L’unité à vingt-cinq
L’élargissement
de l’Europe doit donner un nouvel élan économique à
l’Union. Reste à faire évoluer ses institutions...
Les événements internationaux
récents occultent quelque peu la réalité. La division
des gouvernements européens face à la crise irakienne, la
« re-nationalisation » de certains partis politiques en Europe
autour de thèmes populistes, la montée des extrêmes,
c’est-à-dire des craintes et de la frilosité, voilà
le spectacle apparent que donne l’Europe.
Il est de mode de se gausser de
la cacophonie de ses gouvernements, de son incapacité à
élaborer une politique étrangère commune, des perpétuels
compromis que nécessite la moindre prise de décision.
Aussi, face à l’élargissement
à vingt-cinq, qui sera effectif le 1er mai 2004, réapparaissent
les vieilles peurs qui ont été les compagnes de la construction
européenne depuis son origine. Qu’avons-nous de commun avec
ceux qui nous rejoignent ? L’Union n’est-elle
pas un assemblage hétéroclite bien
artificiel ? La « Nation » ne reste-t-elle pas
l’ensemble le plus sécurisant pour les peuples ?
Pourtant l’affaire est plus
compliquée, et la réalité tout autre.
Le 9 mai 1950, lorsque Robert
Schuman proposa de surmonter les divisions en mettant en commun ce que
nous avions alors de plus précieux, le charbon et l’acier,
les questions étaient déjà les mêmes.
Mais quel chemin parcouru depuis !
Le but premier de la Communauté
européenne était de ramener la paix sur le continent européen,
de permettre ainsi une stabilité indispensable au développement
des échanges de biens et de personnes, afin d’établir
de manière durable un espace de prospérité et de
croissance. Force est de reconnaître que cet objectif a été
atteint.
Deuxième pôle économique
mondial
L’Europe est devenue le deuxième pôle
économique mondial. L’économie du continent tout entier
équivaut au PIB américain. Nul n’envisage plus de régler
ses différends par la voie des armes. Bien plus, dans la crise
irakienne, l’opinion publique européenne a surgi là
où on ne l’attendait pas.
Longtemps, nos responsables publics ont pensé
qu’il ne pouvait y avoir d’opinion publique transfrontière.
Elle a prouvé son existence. Le peuple européen a parfaitement
intégré le message des pères fondateurs et souhaite
une société mondiale plus civilisée. Guéris
de la guerre, les Européens revendiquent une identité particulière,
celle d’un peuple où l’esprit et la culture sont mis
au service du dialogue plutôt que de laisser libre cours aux rapports
de force qui, prétendait-on, devaient régir pour toujours
les relations internationales.
Mais les gouvernements ont semblé, réellement,
plus divisés. Les nouveaux adhérents, qui ont retrouvé
la liberté et cherchent à assurer durablement leur sécurité,
ne trouvent pas encore dans les institutions de l’Union les garanties
qu’ils attendent. Ainsi s’explique leur volonté de garder
avec les Etats-Unis, qui ont pris une part déterminante dans leur
« libération », un lien fort et puissant.
L’Union européenne est alors interpellée
et nous sommes en droit de nous demander quelle est la réalité
de cette Europe à vingt-cinq.
En effet, l’extraordinaire projet qui consiste pour
la première fois à bâtir, sans conflit ni annexion,
l’unité d’un continent, est aujourd’hui à
la croisée des chemins. Son succès a conduit les peuples
libérés du joug communiste totalitaire à vouloir
intégrer l’Union au nom de la réunification du continent.
Une nécessaire réforme des règles
de fonctionnement
A force de progresser dans l’intégration
et de s’élargir, l’Union n’a pas eu le temps de
modifier assez vite, alors que l’histoire s’est accélérée,
ses règles de fonctionnement. Celles-ci doivent être réformées
profondément, sous peine de menacer la vie même de la Communauté.
C’est la tâche confiée à la Convention européenne.
Pourtant, à la veille de ces réformes,
l’Europe à vingt-cinq présente un vrai visage d’unité.
Sur le plan culturel, il n’y a aucun doute, elle rassemble les peuples
qui partagent les mêmes valeurs et la même histoire. Au Moyen-Age
déjà, on circulait d’université en université.
Cracovie, fondée en 1348, où enseignait Copernic, rivalisait
avec Florence, Paris et Vienne. Tartu, Riga et Pécs (fondée
en 1367) n’avaient rien à envier à Prague ou Pise.
Depuis le XIVe siècle, chercheurs et philosophes diffusent un savoir
commun. Les idées des Lumières, plus tard, en sont l’exemple.
Quatorze prix Nobel de plus
Plus proches de nous, les XIXe et XXe siècles
ont permis aux artistes d’Europe, qui voyageaient sans tenir compte
des frontières, de donner à ces racines communes une expression
artistique. On identifie une œuvre européenne au premier coup
d’œil. Les pays du cinquième élargissement ont
beaucoup apporté à la culture européenne. Pensons
à Chopin, Liszt, Bartók, Dvorak, Kafka ! Ils appartiennent
totalement à l’esprit européen.
Il en va de même en matière scientifique,
même si cet aspect des choses est moins connu chez nous. Sait-on
que quatorze prix Nobel de plus vont intégrer le club de l’Union
avec les vingt-cinq !
Si l’histoire récente a divisé le
continent, la réunification de l’Europe ne sera pas difficile.
Une même culture, une même histoire, un même esprit,
voilà ce que partagent les Vingt-cinq.
Sur le plan économique, il est d’usage de
redouter le pire et de craindre la concurrence des économies des
dix nouveaux candidats, dont le moindre développement viendrait
agresser nos économies sophistiquées.
La réalité est très différente.
Si les cinquante années de totalitarisme ont stoppé la croissance
de ces pays, les dix années qui viennent de s’écouler
ont démontré leur formidable capacité d’adaptation.
Certains d’entre eux disposent déjà d’un niveau
de vie proche du nôtre. Celui de la Hongrie atteindrait 80 % de
la moyenne communautaire. La Slovénie, elle, respecte les critères
de Maastricht et du Pacte de stabilité depuis plusieurs années.
Ces économies ont dû accepter «
l’acquis communautaire », qui représente plus
de 80 000 pages de Journal officiel, réformer pour cela toutes
les règles de fonctionnement des marchés et adopter des
lois et des règlements qui auraient provoqué de nombreux
défilés de rue chez nous. Les garanties sont donc instaurées
pour que le marché unique, ce grand espace commercial que nous
avons créé, fonctionne comme prévu.
Mieux encore, le rattrapage des pays adhérents
représente une formidable opportunité pour nos entreprises.
La France a quintuplé ses échanges avec les pays d’Europe
centrale pour avoisiner 20 milliards d’euros annuels. Notre savoir-faire
dans le bâtiment et les travaux publics, l’énergie et
les services constitue un atout formidable pour l’équipement
de ces pays.
On peut estimer que près du tiers de nos exportations,
dans cinq ans, dépendra directement de ces dix nouveaux pays. On
estime à 0,5 point de croissance chez nous l’apport de ces
nouveaux marchés qui connaîtront pour leur part un taux de
croissance variant entre 4 et 7 % par an.
Elargissement au moindre coût
Cet élargissement s’est par ailleurs réalisé
pour nous au moindre coût. Nous dépenserons en seize ans
(1990-2006) moins de la moitié de ce que les Américains
ont consacré au plan Marshall entre 1948 et 1951 (97 milliards
de dollars). Si l’on observe avec recul les effets des précédents
élargissements, notamment à l’Espagne et au Portugal,
il y a tout lieu d’être optimiste : la création du grand
marché de 451 millions d’Européens est une vraie chance
pour les économies du continent.
Reste donc à l’Europe à surmonter
l’épreuve des réformes institutionnelles pour poursuivre
son intégration. La Convention européenne devra réussir
pour que ce nouveau visage de l’Europe ne cache pas d’imperfections
notables. Il faut doter l’Europe réunie d’une Constitution
qui lui permette de préserver les diversités politiques.
On sait combien les peuples sont soucieux de voir leurs identités
respectées. Un mécanisme constitutionnel souple, dont le
fédéralisme évident ne soit pas le slogan mais respecte
chacun en lui permettant de profiter de l’Union, voilà l’objectif
que s’est donné Valéry Giscard d’Estaing, qui
est en passe de réussir sa mission.
Nous ne pouvons en effet rester dans la situation actuelle
qui, après le mauvais traité de Nice conclu avec les méthodes
et les réflexes du passé, a abouti à un mauvais compromis
juridique, inadapté aux temps présents et impraticable au
quotidien.
La période de mutation que nous traversons est
donc essentielle pour l’Union européenne. Si elle sait surmonter
le quotidien pour s’inscrire dans un projet d’avenir ambitieux
et durable, elle dessinera une Europe renforcée qui, comme toujours,
se construira en marchant. Après l’euro, l’Europe de
la défense est en marche. Ce portrait optimiste ne brosse pas les
traits d’une Europe idéale, mais de l’ensemble politique,
juridique et culturel qui existe déjà et que les esprits,
notamment en France, ont du mal à intégrer. C’est un
portrait réaliste et rassurant. Il incarne la vérité
d’une formidable expérience que nous vivons déjà
chaque jour.
Bibliographie
- L’Union européenne élargie : un défi économique pour tous, Jean-Joseph Boillot, La Documentation française, 2003
- Les Européens en 2003, dir Dominique Reynié, Odile Jacob, Fondation Robert Schuman, 2003
- Unifier la grande Europe, Henri Malosse, Bernard Huchet, Bruylant, 2002
- Rapport d’information sur l’élargissement de l’Union européenne à dix pays candidats, présenté par M.René André, Assemblée nationale, 8 avril 2002
- Les Frontières de l’Europe, Elie Barnavi, Paul Goosens, De Boeck, 2001
- L’Elargissement de l’Union européenne à l’est de l’Europe : des gains à escompter à l’Est et à l’Ouest, Commissariat général du plan, La Documentation française, 1999
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-6/l-unite-a-vingt-cinq.html?item_id=2485
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