est président d’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial).
A quoi sert le mécénat ?
Né en France à
la fin des années soixante-dix, le mécénat d’entreprise
apporte des fonds privés à la vie culturelle, mais aussi
au monde de la solidarité sous toutes ses formes.
Il ne sera question ici que du
mécénat d’entreprise, qui inscrit le mécénat
dans la modernité. Certes, au temps de la Renaissance italienne
a-t-on vu des banques comme le Monte dei Paschi de Sienne soutenir des
artistes et leur commander des œuvres, ou des corporations médiévales
financer des chapelles ou des vitraux, comme les syndics des drapiers
de Hollande se faire portraiturer par Rembrandt. Mais pendant des siècles,
le mécénat des grandes fortunes, qu’elles fussent nobiliaires,
financières ou industrielles, fut un mécénat patrimonial,
c’est-à-dire un prélèvement libre effectué
sur le patrimoine de personnes physiques. On entend par là que
ce sont des familles qui ont choisi de consacrer tout ou partie de leur
fortune au soutien des arts et lettres, ainsi qu’à la bienfaisance
sous toutes ses formes. Même aux Etats-Unis, le mécénat
des Rockefeller, Ford et Mellon eut, à travers leurs fondations,
ce caractère. C’est seulement dans la seconde moitié
du XXe siècle qu’est apparu le mécénat d’entreprise
proprement dit, qui est le fait, non de familles fortunées, mais
de personnes morales à vocation industrielle ou commerciale.
Hors de l’objet social de l’entreprise
On ne saurait trop souligner que ce mécénat
d’entreprise se situe hors des normes ordinaires de la gestion des
affaires, en ce sens qu’il conduit l’entreprise à sortir
de son objet social strict, tel qu’il est défini par ses statuts,
et à exposer des dépenses qui ne sont pas faites dans l’intérêt
direct de l’exploitation. C’est ce qui distingue, sur le plan
du droit fiscal, le mécénat du parrainage. Celui-ci, aux
termes de l’article 39-1 (7°) du code général des
impôts, concerne les dépenses engagées dans le cadre
de manifestations à caractère philanthropique, éducatif,
scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant
à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense
de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture,
de la langue et des connaissances scientifiques, dès lors que ces
dépenses sont engagées « dans l’intérêt
direct de l’exploitation » et « destinées à
promouvoir l’image de marque de l’entreprise, quelle que soit
la forme sous laquelle elles sont exposées », selon les termes
d’une instruction ministérielle du 26 février 1988.
Ces dépenses de parrainage constituent des charges déductibles,
comme tous les frais généraux, du résultat imposable.
Une « signature »
Le mécénat, lui, ne prétend pas
servir l’intérêt direct de l’exploitation il
n’est pas une opération commerciale et les retombées
que l’entreprise peut en attendre légitimement sont, par définition,
indirectes, aléatoires et généralement non chiffrables.
Son régime fiscal, longtemps restrictif et peu sûr, s’analyse
en déductions partielles de l’assiette imposable. On peut
dire que le parrainage est un affichage, alors que le mécénat
est une signature. Assurément plus noble, mais moins avantageux
en termes fiscaux, le mécénat d’entreprise est le fruit
d’une démarche plus subtile, et longtemps étrangère
à la mentalité des entreprises françaises, pour qui
l’ensemble des missions d’intérêt général
relevaient exclusivement de la puissance publique, et de l’Etat en
tout premier lieu. Et de fait, jusqu’à une époque récente,
l’Etat, en France, s’est arrogé le monopole de l’intérêt
général et des missions y afférant, notamment dans
le domaine culturel, dont le financement a été longtemps
assuré à la fois par le marché et par les fonds publics,
le mécénat des particuliers n’intervenant qu’à
la marge. Une politique culturelle brillante, dynamique et voyante, telle
que celle lancée par André Malraux aux débuts de
la Ve République et poursuivie sans discontinuer depuis lors, dissuadait
les entreprises d’intervenir dans ce « domaine réservé
».
Relayer la politique culturelle sur fonds publics
Il était clair, cependant, que cette politique
culturelle inventive allait créer dans le public des attentes et
des besoins que le budget de l’Etat, même relayé par
les collectivités locales, ne suffirait pas à satisfaire
durablement, et qui ne feraient pas toujours et immédiatement l’objet
d’une demande solvable du marché, d’autant plus que cette
politique avait un objectif fort généreux d’égalité
d’accès du plus grand nombre à la culture. Aussi l’idée
est-elle venue à quelques-uns, à la fin des années
soixante-dix, de susciter un mouvement en faveur du mécénat
d’entreprise, non pour se substituer aux concours publics et au marché,
mais pour créer à la marge une ressource nouvelle, qui n’aurait
pas la lourdeur et les risques de dérive politique de la subvention
publique, ni la brutalité et la vue souvent courte et sommaire
du marché.
Certes, au temps de Malraux, l’idée avait
émergé mais, selon une habitude bien française de
méfiance à l’égard de l’initiative privée,
on avait alors créé, par décision d’Etat, une
institution, la Fondation de France, destinée à susciter
la générosité publique au service de grandes causes
et à héberger des donations pour des missions d’intérêt
général. L’initiative privée était ainsi
encouragée mais canalisée, et pendant longtemps le monde
de l’entreprise se tint éloigné de cette formule para-publique,
si légitime et utile qu’elle fût, comme la suite le
prouva.
La création d’Admical (Association pour le
développement du mécénat industriel et commercial)
en 1979 a ainsi marqué le début d’une acclimatation
en France du concept de mécénat d’entreprise. La législation
a pris acte de ce phénomène nouveau par une loi de 1987
sur le mécénat en général, complétée
en 1990 par une loi sur les fondations d’entreprise et par diverses
dispositions qui, dans les années quatre-vingt-dix, ont clarifié
et amélioré le régime fiscal du mécénat
des entreprises mais il faudra attendre le gouvernement Raffarin pour
qu’une étape décisive soit franchie et qu’un statut
plus souple et plus diversifié des fondations ainsi qu’une
fiscalité plus incitative soient mis en place.
A quoi sert donc le mécénat d’entreprise
? D’abord et avant tout à apporter des fonds à la vie
culturelle, mais aussi au monde de la solidarité sous toutes ses
formes, ainsi qu’à la recherche et à l’action
en faveur de l’environnement, soit pour compléter des fonds
publics, soit, plus encore, pour apporter un concours à des initiatives
novatrices ou expérimentales ignorées, délaissées
par la puissance publique ou qui n’ont pas encore atteint le degré
de crédibilité ou de notoriété qui les rendrait
éligibles aux aides publiques. C’est peut-être là
que le mécénat atteint sa plus grande utilité sociale :
donner une chance à des initiatives de terrain, qui ne sont pas
sorties tout armées et financées de l’appareil d’Etat,
mais de la sensibilité et de l’imagination d’artistes,
de chercheurs, de médiateurs culturels ou sociaux qui trouvent
dans certaines entreprises un soutien, et même une connivence, dans
la prise de risque et le goût de l’innovation.
Partenariat d’intérêt mutuel
Dans cette perspective, un mécénat bien
compris ne se réduit pas à un flux financier il est, au
sens fort du terme, un partenariat d’intérêt mutuel.
Les « porteurs de projets » ont des mentalités, des
sensibilités, des repères, des approches différents
de ceux du monde des affaires. Dans un partenariat bien vécu, les
gens d’entreprise apportent à leurs interlocuteurs un peu
de leur rationalité scientifique et gestionnaire, tandis que ces
derniers leur offrent un peu de leur utopie, de leur audace créatrice
ou de leur expérience humaine.
C’est par là que l’on voit que le mécénat,
même s’il n’est pas « au service de l’intérêt
direct de l’exploitation », a pour l’entreprise des retombées
positives. Au-delà de ce qu’elle peut en attendre en termes
d’image, d’enrichissement et de renouvellement de sa communication,
et qui est l’effet le plus évident du mécénat,
maints exemples montrent combien la culture d’entreprise, la créativité
même de l’entreprise, peuvent être enrichies et stimulées
par ce rapport constructif avec des gens venus d’ailleurs. Souvent
lieu de certitudes, voire de conformisme, l’entreprise se trouve
ainsi interpellée, pour son plus grand bien.
Le mécénat contribue également à
renforcer le sentiment d’appartenance à l’intérieur
de l’entreprise. Les vieux clichés marxistes sur l’entreprise,
lieu d’accumulation de plus-values et d’exploitation des travailleurs,
sont aujourd’hui bien dépassés, même si l’entreprise
peut encore être un lieu d’affrontement. Mais le mécénat,
dès lors qu’il est bien expliqué comme partie intégrante
de la stratégie de l’entreprise, n’est pas controversé
en son sein, surtout si le personnel y est associé, non seulement
comme bénéficiaire, dans le cas de certaines formes de mécénat
culturel, mais comme partenaire actif, ainsi qu’on le voit assez
souvent dans le mécénat de solidarité. En outre,
ce que l’on appelle le « mécénat de compétence
» conduit à mettre à temps partiel certains collaborateurs
de l’entreprise à la disposition d’un organisme culturel
ou social auquel ils apportent leur expertise.
La gestion du mécénat s’est progressivement
professionnalisée, familiarisant les collaborateurs de l’entreprise
avec des formules comme la fondation ou les conventions pluriannuelles,
tout en leur permettant de connaître concrètement le mode
de fonctionnement des organismes culturels et sociaux. Autant de manières
d’élargir l’horizon de l’entreprise et de découvrir
d’autres occasions d’affronter ce redoutable phénomène
commun aux hommes d’action et aux créateurs en tous domaines : le risque.
Enfin, le mécénat, dans ses formes les
plus ambitieuses, a conduit les entreprises à relever des défis
technologiques inédits, qu’il s’agisse d’archéologie,
de mise en valeur du patrimoine ou des formes les plus sophistiquées
d’une création artistique qui fait de plus en plus appel aux
technologies de pointe.
On voit par là que le mécénat, loin
d’être un luxe ou un divertissement, est pour l’entreprise
un moyen d’innover et de se dépasser, à la fois dans
son intérêt bien compris et pour le bien commun.
Bibliographie
Parmi les publications d’Admical, on peut signaler :
- Le Répertoire du mécénat d’entreprise : il recense tous les deux ans l’ensemble des entreprises mécènes en France, présente leur politique, leurs budgets et leurs actions dans les domaines de la culture, de la solidarité et de l’environnement. Il dresse également le bilan statistique du mécénat d’entreprise en France, 648 pages.
- Le Guide juridique et fiscal du mécénat d’entreprise : réalisé par Olivier Binder avec la collaboration de Julie Le Roy et Anne-Gaële Duriez, ce guide de 450 pages constitue un ouvrage de référence pour les professionnels du mécénat, 115 euros, 554 pages.
- L’Actualité du mécénat d’entreprise : cette revue trimestrielle présente les faits et gestes des entreprises mécènes, abonnement annuel 100 euros.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-6/a-quoi-sert-le-mecenat.html?item_id=2473
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