est ancien vice-président de la Commission européenne.
L’Europe : ses acquis, ses défis
A force de philosopher sur
les lacunes de l’intégration européenne, les remarquables
réalisations des quarante dernières années sont perdues
de vue. Celles-ci ne doivent évidemment pas plus dissimuler l’importance
de ce qui reste à accomplir que la signification du bouleversement
déjà intervenu.
Un modèle unique
L’architecture institutionnelle est unique en son
genre : aucun autre groupement d’Etats n’a osé aller
aussi loin dans l’acceptation d’une compétence partagée
portant sur des politiques essentielles.
Cette construction repose sur trois organes :
- La Commission européenne, organe supranational, incarnant
uniquement l’intérêt commun européen, disposant
de l’exclusivité du droit d’initiative, gardienne du
respect des dispositions du Traité et responsable devant le Parlement
européen.
- Le Conseil des ministres, lieu de rencontre des représentants
des Etats, chargé de transformer les propositions de la Commission
en actes juridiques exécutoires sur tout le territoire de l’Union.
Ses décisions se prennent de plus en plus à la majorité
qualifiée.
- Le Parlement européen, organe consultatif à l’origine,
détient chaque jour davantage un pouvoir de codécision partagé
avec le Conseil des ministres.
Des compétences déléguées
aux institutions européennes
- La création d’un grand marché où circulent
librement personnes, marchandises et capitaux.
L’Union européenne a donné un sens concret au phénomène
d’interdépendance qui caractérise l’économie
moderne. Sans être la conséquence de l’union politique
comme aux Etats-Unis, elle la précède et peut-être
l’anticipe.
- La politique de concurrence
Le grand marché ne sera équitable que dans la mesure où
seront contrôlées les distorsions nées de l’abus
de positions dominantes ou de subventions publiques abusives. Sur le modèle
fédéral, la compétence européenne dans ce
domaine est exclusivement déléguée à la Commission
européenne, dont les décisions ne peuvent être contestées
que devant la Cour de justice européenne.
- La politique monétaire
Un grand marché suppose une stabilité monétaire sans
laquelle les termes de l’échange peuvent se voir modifiés
de manière substantielle et, dès lors, rendre illusoires
les stratégies d’investissement permettant de prendre en compte
les avantages compétitifs des différents partenaires.Confrontés à ce défi majeur, douze
Etats de l’Union se sont engagés sur la voie de la cohérence
économique et sociale pour que la monnaie unique soit une vraie
expression de cette réalité économique. Pour gérer
ce nouvel état de choses, le modèle fédéral
a été à nouveau choisi : délégation
de la politique monétaire à une banque centrale indépendante
gérée par un comité auquel ne participent pas tous
les membres de l’Union monétaire.
- La politique commerciale unique
Dès lors qu’existe un marché intérieur unique,
le bon sens exige que cette politique soit unique. La Commission se voit
déléguer la charge de mener cet aspect de la politique extérieure
de l’Union.
Cette politique de l’Union est novatrice :
- La première, elle conclut des conventions avec les Etats
en voie de développement où la réciprocité
des avantages consentis n’est plus le principe de base.
- Elle est un partisan obstiné de la multilatéralisation
de l’approche commerciale, ce qui implique la mise en place d’une
structure institutionnelle garante du respect des accords conclus. Sans
l’Union européenne, l’Organisation mondiale du commerce
ne serait pas née. Cette volonté de mise en place d’une
gouvernance mondiale est la bonne réponse aux interrogations que
suscite la globalisation de l’économie, étant donné
la crainte de voir s’accentuer les disparités entre riches
et pauvres. Elle permet également d’y intégrer les
préoccupations relatives à l’environnement, aux droits
sociaux essentiels et au respect des droits de l’homme.
Ces quatre exemples démontrent que, si l’Europe
n’est pas une union politique classique, les décisions acceptées
par les Etats membres ressortent au plus haut degré de la politique,
puisqu’elles concernent des transferts de compétences du national
vers l’Union européenne.
Je conviens volontiers que ce qui reste à construire
est sans doute plus important que ce que nous avons déjà
réalisé, mais nous disposons d’une rampe de lancement
impressionnante.
Questions européennes par nature
A mes yeux, le doute ne réside pas dans notre
capacité technique à trouver des solutions et notre imagination
créatrice en vue de réaliser des nouveaux progrès,
mais bien dans l’incertitude qu’affichent des Etats membres
à vouloir aller plus loin.
Sur le plan de l’analyse, il est évident
que les Etats, pris séparément, ne disposent plus de la
capacité de régler certaines questions qui sont européennes
par nature : la coordination des politiques économiques, l’attitude
vis-à-vis de l’immigration, les problèmes nés
du terrorisme, le maintien de la solidarité sociale.
Par ailleurs, la capacité de l’Europe à
faire entendre sa voix au plan international suppose qu’elle souhaite
en avoir une. Persuader les Etats-Unis de rester fidèles au modèle
multilatéral créé après la guerre de 1939-1945
suppose qu’ils y trouvent leur intérêt et qu’ils
considèrent l’Europe, non comme une menace, mais comme un
interlocuteur partageant les mêmes valeurs. Cela suppose une action
concrète – notamment dans le domaine de la défense
– et non des incantations désabusées.
Enjeux de la Convention
A la veille de son élargissement, la future Union
doit choisir sa voie. C’est tout l’enjeu de la Convention qui
poursuit actuellement ses travaux. On y retrouve tous les périls
connus : la nostalgie des pouvoirs historiques de certains Etats, le conservatisme
hostile à toute novation, les incertitudes des futurs Etats membres
à l’égard d’une architecture institutionnelle
qu’ils n’ont pas pratiquée.
Mais peut-on croire que des dirigeants et des peuples
qui ont su créer une zone de paix, de stabilité et de démocratie,
hésitent à faire de ce « Vieux Continent » une
source d’inspiration et de confiance pour leurs peuples réconciliés
et fiers d’être devenus enfin Européens ?
Le vieil Européen que je suis, qui a vu tant d’opportunités
négligées sans pour autant que la marche en avant ait été
véritablement entravée, est convaincu qu’une fois encore
nous trouverons l’inspiration pour poursuivre la mission que les
pères fondateurs nous ont léguée. Sans abuser des
mots, il s’agit là vraiment d’une responsabilité
historique.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-6/l-europe-ses-acquis-ses-defis.html?item_id=2474
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