est délégué général de l’Aftri (Association française du transport international).
Des craintes pour l’avenir du transport routier français
L’élargissement
de l’Europe nourrit l’inquiétude des transporteurs, qui
redoutent une quasi-disparition du pavillon national en raison du niveau
des charges pesant sur les entreprises françaises.
Le transport routier français
n’est devenu une force économique qu’après la
Seconde Guerre mondiale. Mal accueilli par le puissant chemin de fer qui
souhaitait en limiter l’activité, le camion s’est imposé
grâce à sa souplesse et à son service sur mesure.
Les transporteurs ont ainsi connu leur heure de gloire, de développement
et de rentabilité tranquille dès 1950.
C’est après 1985 que
le vent a tourné, le libéralisme prenant la place de ce
que l’on appelait « la coordination ». La profession
a dû passer d’un système quantitatif (avec des licences
et une tarification) à un système qualitatif (avec des critères
d’accès à la profession et au marché). A un
phénomène national s’est ajoutée une volonté
européenne de tendre, enfin, vers un véritable marché
européen des transports routiers avec des règles communes
et un espace de marché permettant une réelle concurrence.
L’application des règles européennes
en question
Le coup a été rude pour beaucoup d’entreprises
qui ne se sentaient pas préparées pour ce défi européen
et qui craignaient que, dès 1992, les transporteurs de pays périphériques
viennent leur arracher leurs petits marchés régionaux, voire
locaux. En fait, cela ne s’est pas véritablement produit et
la place de ceux qui sont communément appelés « caboteurs
» reste marginale même si, depuis 2002, elle a tendance à
augmenter.
Le secteur des transports routiers a donc su faire face,
malgré des frayeurs dues à l’annonce de nouvelles réglementations
européennes visant toujours à libérer davantage le
marché.
Il faut, cependant, constater que depuis vingt ans, les
réglementations européennes concernant notre secteur ont
toujours posé un véritable problème d’application.
Soit les textes sont inachevés et laissent ainsi le soin aux Etats
membres de s’occuper de leur mise en œuvre dans le domaine des
contrôles et des sanctions, ce qui permet une totale inégalité
de traitement, soit les textes sont insuffisamment précis et la
mise en vigueur dans les divers pays manque totalement d’uniformité.
En outre, on peut noter que certains aspects réglementaires pesant
sur l’activité routière demeurent totalement sous prérogatives
nationales, ce qui pose indubitablement de graves problèmes, et
peut même parfois donner la possibilité de tricher tel
est le cas en l’absence de code de la route européen, de règles
uniformes relatives aux interdictions de circuler ou aux contrôles
techniques.
En effet, quelques grands dossiers concernant l’accès
au marché, l’accès à la profession, la liberté
des prix sont désormais bouclés et permettent de tendre
vers une harmonisation, tandis que d’autres, et notamment les plus
importants, demeurent en chantier. Il s’agit du dossier social qui
est naturellement primordial, mais aussi du dossier fiscal (carburant,
infrastructure), de celui relatif à la formation, aux normes techniques...
Ce marché des transports à quinze posait
déjà quelques problèmes, mais l’arrivée
des dispositions sociales franco-françaises lors du deuxième
septennat du président Mitterrand – visant à réduire
le temps de travail, à réglementer le travail de nuit et
à modifier les règles sociales applicables au personnel
de conduite – ont considérablement pénalisé
les entreprises françaises face à leurs collègues
européens. Et cela, bien que le secteur du transport routier en
France soit essentiellement composé de petites et moyennes entreprises
(85 % ont moins de dix salariés), une atomisation qui consitue
un atout : on trouve ainsi des transporteurs dans tout l’Hexagone.
Déclin du pavillon français
Malgré les promesses du ministre des Transports
de l’époque, « l’avancée sociale »
française du secteur des transports n’a jamais été
adoptée au plan européen. Bien au contraire, l’on a
assisté à un rejet de cette réglementation trop contraignante
pour un secteur qui a besoin de souplesse.
A partir de ce moment-là, le pavillon routier
français a commençé à décliner face
à la concurrence européenne et extra-européenne.
Les transporteurs français ne pouvaient plus se battre à
armes égales puisque le poste social (il représente environ
36 % du coût de revient en longue distance) ne leur permettait plus
d’être compétitifs.
L’annonce des dix nouveaux pays candidats à
l’Union est arrivée comme une confirmation de la mort annoncée
du pavillon routier français, à l’image de ce qu’il
était advenu dans le passé pour la flotte de commerce française.
Comment se battre contre des concurrents dont les coûts
sociaux sont entre trois et six fois inférieurs à ceux existant
dans notre pays ? Comment convaincre un client, appelé communément
un chargeur, de l’intérêt de faire appel à un
transporteur français par simple souci de civisme et en payant
40 % plus cher une prestation plutôt que de la confier à
un Slovène ou un Estonien ?
Pour le chargeur, le prix est, dans 90 % des cas, le
premier critère de choix lorsqu’il s’agit de prestation
de transport de « général cargo ». L’aspect
« qualité » intervient ensuite en cas de chargement
plus sensible nécessitant des soins ou des délais spécifiques.
Il est, bien entendu, difficile de demander au chargeur, lui-même
confronté à une certaine concurrence, de se mettre à
la place de son transporteur et d’accepter des surcoûts à
cause de la réglementation française.
Le présent du transport routier international
est déjà très difficile, mais son futur ne se conjugue
qu’au conditionnel, et encore ! Le constat est sévère,
mais il est difficile de lutter à armes inégales et même
les plus patients ne verront pas « l’harmonisation sociale
» si attendue. Si elle existe un jour dans les textes, sera-t-elle
véritablement mise en œuvre en termes de contrôle ou
de sanction ? On est en droit d’en douter.
En outre, il n’y a pas que le social qu’il
faut harmoniser, il y a le fiscal (carburant, infrastructure), la sécurité,
la technique... Et puis, il y a aussi les problèmes d’environnement
dont il faut tenir compte. Pour les longues distances, quel écologiste
privilégiera, demain, le camion plutôt que le train ?
L’avenir du transport français, c’est
sans doute son « savoir-faire » en termes de logistique. Cette
dernière prestation peut s’effectuer sur l’ensemble du
territoire de l’Union européenne avec des moyens pris dans
plusieurs Etats. Cette logistique, dont le transport n’est qu’un
maillon, assurera sans doute l’avenir d’une partie de la profession,
mais toutes les entreprises n’auront pas leur place. On peut, cependant,
aussi affirmer que le transport de desserte locale ou régionale
restera encore aux mains des entreprises françaises, mais maîtriseront-elles
leur coût ou seront-elles intégrées à des chaînes
logistiques ?
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-6/des-craintes-pour-l-avenir-du-transport-routier-francais.html?item_id=2493
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