Sommaire N°5

Juin 2003

Brigitte POUSSEUR

Avant-propos

Mécénat et fondations des partenariats d’intérêt mutuel

Jacques RIGAUD

A quoi sert le mécénat ?

Francis CHARHON

Développer les fondations, une chance pour notre pays

Jacques OUDIN

Revaloriser l’idéal démocratique grâce aux fondations

Marc ABÉLÈS

La nouvelle philanthropie dans la Silicon Valley

Jean-Louis FROT , François ASSELIN

Association Hermione-La Fayette - Faire renaître une ville grâce à un vaisseau

Alain DUPONT

Fondation Colas - Associer la route et l’art

Edouard de ROYÈRE

Fondation du Patrimoine - Défendre notre histoire

Elisabeth DELORME

Fondation Gaz de France - Préserver l’environnement

L’Europe à vingt-cinq

Daniel VERNET

La réunification du Vieux Continent

Etienne DAVIGNON

L’Europe : ses acquis, ses défis

Alain LAMASSOURE

Comment bâtir une identité européenne ?

Noëlle LENOIR

Pour comprendre la nouvelle Europe

Danuta HUBNER

Les retrouvailles de la Pologne et de l’Europe

Eneko LANDABURU

Les conditions du renouveau sont réunies

Jean-Dominique GIULIANI

L’unité à vingt-cinq

Christian de BOISSIEU

L’impact économique de l’élargissement

Evelyne PICHENOT

Des opportunités sous conditions pour l’Europe sociale

Gérard MOREAU

Le déclin démographique et l’immigration

Michel de GUILLENCHMIDT

Réflexions sur le droit communautaire de la concurrence

Patrick de FRÉMINET

Plaidoyer pour une approche fiscale réaliste

Bernard COLOOS

Un risque de concurrence déloyale pour le Bâtiment ?

Jacques-Henri GARBAN

Des craintes pour l’avenir du transport routier français

Isabelle BOURGEOIS, René LASSERRE

La vision allemande des valeurs européennes

Aydemir BALKAN

Turquie : la fin de l’hypocrisie

Alberto MANGUEL

Au commencement était le mythe

Jean-Arnold de CLERMONT

Construire une Europe laïque

André GLUCKSMANN

Le grand débat

© DR

Francis CHARHON

est directeur de la Fondation de France et président du Centre français des fondations.

Partage

Développer les fondations, une chance pour notre pays

En dépit d’une histoire ancienne, les fondations françaises restent trop peu nombreuses. Pourtant, elles constituent un des moteurs du changement au bénéfice du grand public. Il est donc urgent de les encourager.

L’histoire des fondations en France est ancienne. Elles ont connu une grande activité sous l’Ancien Régime, mais tendaient à être limitées par le pouvoir royal qui voyait se développer dans le royaume les biens de mainmorte sous la tutelle de l’Eglise. En 1666, l’édit de Saint-Germain a réglementé les communautés en subordonnant notamment leur existence, comme leur capacité d’ester ou de recevoir des dons et legs, à une autorisation royale. La Révolution française supprime ce droit, dissout les congrégations et leurs fondations, confisque les biens ecclésiastiques. Si les droits de « bonnes mainmortes et communautés » ont été de nouveau autorisés sous Napoléon, l’appréciation de l’opportunité ne dépend que du gouvernement. Le besoin d’établissements relevant de ce dispositif étant permanent, les fondations progressent jusque vers la fin du XIXe siècle. Cette période est marquée par la distinction entre l’établissement public de droit privé, d’une part, et celui de droit public, d’autre part, alors qu’avant ils étaient confondus dans une même catégorie, celle des établissements officiellement reconnus.

473 fondations reconnues d’utilité publique

Les grandes crises du début du XXe siècle ont entraîné la disparition de nombreuses fondations, mais certaines ont persisté à travers le temps, comme l’institut Pasteur (1887) ou la fondation Thiers (1893). Après la guerre, leur nombre a progressivement augmenté : entre 1945 et 1965, quarante-cinq ont été créées entre 1966 et 1976, soixante ; puis une trentaine jusqu’en 1979. Aujourd’hui, il existe 473 fondations reconnues d’utilité publique. A la fin de 2001, on recensait aussi quelques dizaines de fondations abritées sous l’égide des différentes fondations reconnues d’utilité publique habilitées, 538 fonds et fondations sous l’égide de la Fondation de France – dont 56 créées par des entreprises –, plus de mille fondations agissant au sein de l’Institut de France – dont neuf créées par des entreprises – et une soixantaine de fondations d’entreprises.

Retard français

Quels que soient les régimes et les gouvernements, l’Etat a toujours exercé un étroit contrôle sur la création et le suivi des fondations. Leur fonctionnement a longtemps reposé sur les règles édictées par le Conseil d’Etat, sans qu’aucun texte de loi spécifique ne guide cette jurisprudence, sauf en matière fiscale où elles étaient confondues avec les associations reconnues d’utilité publique (RUP). Ce n’est qu’en 1987, à la faveur d’un texte sur le développement du mécénat, que le législateur introduit le mot « fondation » dans la loi française. Il la définit alors comme « l’acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident de l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif », et en protège l’intitulé.

Il existe un retard structurel dû à la réserve de l’Etat envers ce dispositif, comme on a pu le voir à travers l’évolution historique. Malgré ce climat de méfiance, les fondations ont perduré jusqu’à nos jours. Bien que moins nombreuses qu’ailleurs, les fondations occupent une place fondamentale. Que ce soit, par exemple, la fondation de l’abbé Pierre qui lutte contre les effets de la pauvreté, les fondations de la Recherche médicale et de l’institut Pasteur qui aident la recherche, la fondation Caisses d’épargne pour la solidarité, les fondations Hartung ou Maeght dans le domaine de la culture, la Fondation de France favorisant l’innovation dans de nombreux domaines, chacune est productrice d’une valeur importante. L’Institut des hautes études scientifiques alloue des bourses à des mathématiciens pour qu’ils poursuivent leurs recherches : grâce à cette fondation, de nombreuses médailles Fields ont été attribuées à notre pays.

Des lieux de connaissance et d’expertise

Au cours des dix dernières années, les fondations ont connu en Europe une évolution notable. Dans de nombreux pays, des initiatives nouvelles sont prises pour développer ces organismes qui répondent aux demandes de la société. De très importantes fondations se développent en Italie, au Portugal, en Espagne, en Allemagne et dans les pays nordiques, créées par des particuliers ou par des entreprises. En soutenant le développement des démocraties émergentes, les grandes fondations, américaines et allemandes notamment, ont beaucoup investi pour mettre en œuvre des programmes et des projets de coopération à l’échelle européenne. Elles accordent des subventions et favorisent des programmes de formation menés dans leur pays d’origine.

Moteurs de changement

Trop souvent, les fondations sont considérées comme de simples institutions financières alors qu’elles sont un des moteurs du changement au bénéfice du grand public. Ce sont des lieux de connaissance et d’expertise, dont le principal objectif est de créer de la valeur ajoutée au service de la société civile en prenant les risques nécessaires à l’innovation. Les fondations peuvent transformer un ensemble de connaissances et de pratiques en des politiques à long terme. Leur pérennité et leur indépendance constituent des atouts essentiels pour y parvenir.

Par leur rôle très spécifique de distributeur de subventions, elles aident à :

  • rechercher des solutions nouvelles en soutenant des programmes sociaux, universitaires, scientifiques et culturels, sans oublier les nouvelles technologies
  • introduire de nouveaux paramètres dans les débats de société
  • développer des processus de changement axés sur la proximité pour faire face aux défis sociaux, économiques et écologiques.

Stimuler les initiatives

Bénéficiaires d’une capacité financière stable, s’inscrivant dans la durée, souples et fiables, des fondations plus importantes pourraient stimuler les initiatives dans des domaines comme les sciences de la vie, les sciences sociales, les questions de politique nationale ou internationale, l’environnement, pour ne citer que ceux-là. Elles assureraient à notre pays un rayonnement culturel, scientifique et social, et proposeraient des concepts qui pourraient être repris à travers des partenariats internationaux.

Il est urgent de mieux faire connaître et reconnaître leur existence il faut des gestes forts non seulement pour accroître leur nombre, mais également pour que se constituent des fondations de taille importante. Cela ne peut être que le résultat d’une volonté politique affirmée dans le domaine fiscal aussi bien qu’administratif.

Quatre conditions au développement

Le développement des fondations en France nécessite quatre types de conditions.

1. Un climat psychologique favorable

Les pays où se développent le plus de fondations sont les plus décentralisés et ceux dans lesquels l’Etat laisse une marge de manœuvre importante à la société civile en lui faisant confiance. L’initiative privée est valorisée et le concept du tiers secteur est reconnu comme une source de valeur. Entre le système américain, dans lequel tout est laissé à l’initiative privée, et le modèle sous tutelle français, il existe une voie moyenne qui nécessite un engagement politique fort pour redéfinir les champs d’action de l’Etat et la liberté octroyée aux acteurs de ce tiers secteur. La création d’une fondation ne doit pas être considérée comme un privilège ou comme un outil d’évasion fiscale.

2. Des évolutions juridiques

En France, dans un rapport de 1996, le Conseil d’Etat avait proposé un certain nombre de dispositions qui permettraient de faciliter la création de fondations. Deux avancées avaient eu lieu. La première a amené la modification du décret de 1896 sur l’interpellation des héritiers, facilitant le traitement des successions. La deuxième a permis l’amélioration du dispositif des fondations d’entreprise.

En avril 2003, le Conseil d’Etat a modifié les statuts-types qui réglementaient la création des fondations. Il a introduit plus de souplesse sur :

  • les modalités de création, en introduisant pour la dotation initiale la possibilité de faire des fondations à durée limitée, soit à capital consomptible, soit des fondations de flux
  • les questions de fonctionnement, par la possibilité de mettre en place un directoire et un conseil de surveillance, en supprimant l’exigence de la présence d’un membre à tous les conseils d’administration.

En Europe, un statut européen des entreprises, optionnel, vient de voir le jour. Il sera suivi d’un statut pour les coopératives, puis pour les mutuelles et enfin pour les « associations fondations ». Cette notion, qui mêle deux types de dispositifs aussi différents que l’association et la fondation, ne peut qu’être préjudiciable à l’essor des fondations. Le Centre européen des fondations, qui regroupe les plus importantes fondations d’Europe en relation avec les centres nationaux, travaille à l’élaboration d’un statut spécifique. Il est important que les pouvoirs publics aient connaissance de ce travail et de cette volonté d’exister au niveau européen.

3. Des améliorations fiscales

Quels que soient les progrès réalisés sur la partie administrative, les conditions du développement des fondations dépendent des incitations fiscales qui sont proposées aux fondateurs et aux fondations. Certains des pays voisins ont adopté des mesures qui rendent attractive l’affectation importante de patrimoine individuel, voire d’entreprise, au capital de fondations.

L’idée n’est pas de favoriser les gens riches, car les économies fiscales obtenues restent toujours sans commune mesure avec le montant des sommes données, mais d’offrir la possibilité à ceux qui en ont les moyens de participer à des actions d’intérêt général. En effet, la constitution d’une fondation, dont l’action s’inscrit dans la durée, nécessite l’affectation irrévocable d’un patrimoine. Le montant de cette dotation doit être en relation avec la cause à soutenir et sa durée. L’expérience montre que les fonds apportés peuvent être importants. Les créateurs de fondations font donc un acte de philanthropie très marquant, d’autant que pour les donations du vivant, les déductions fiscales sont les mêmes que pour les dons de petits montants.

Ces mesures doivent prendre en compte chaque acteur du mécénat : les particuliers, les entreprises et les fondations. Une loi en faveur du mécénat et des fondations a été proposée en mars 2003 à l’Assemblée nationale. Si l’on peut constater des avancées significatives pour les donateurs et les entreprises, lors du débat parlementaire, des modifications substantielles ont été apportées au projet initial. Le texte adopté élargit l’application aux associations et aux collectivités locales par ailleurs, la fiscalité des fondations, qui est un élément indispensable à leur développement, n’est que très modestement prise en compte. L’objectif initial présenté par le Premier ministre, qui consistait à développer les fondations, va perdre de son ambition par l’effet de saupoudrage qu’amènera la loi. Il faut plus d’ambition concernant la réduction de la fiscalité appliquée aux revenus de la dotation et aux différents impôts qui touchent les fondations.

4. Une mobilisation des fondations

L’avenir des fondations passe aussi par leur capacité à démontrer la légitimité de leurs actions, par les réponses qu’elles apportent aux besoins d’une société en permanente évolution. Elles doivent garantir la bonne utilisation des fonds et assurer un bon fonctionnement de leurs instances statutaires.

Le travail qu’elles effectuent doit sortir d’un cercle restreint de spécialistes pour qu’elles soient connues du public comme des entités différentes des associations avec lesquelles on les confond trop souvent. Les fondations doivent ensemble avancer dans cette direction en mutualisant leurs actions, en échangeant sur leurs pratiques, en proposant des évolutions basées sur leurs expériences. Un pas important a été franchi par la création du Centre français des fondations.

L’objet de ce Centre est de faire connaître et reconnaître le rôle que jouent les fondations dans la société, de montrer combien est utile l’engagement philanthropique et de promouvoir le développement des fondations en France. Ce type de regroupement existe déjà dans la plupart des pays voisins et y a une influence très positive.

L’occasion est donnée par la loi sur le mécénat de combler le retard accumulé, il ne faut pas manquer la chance qui nous est offerte d’une rupture historique avec le passé.

La création d’une fondation

La fondation se définit comme l’acte par lequel toute personne physique ou morale décide de l’affectation de manière irrévocable de biens, droits ou ressources afin de poursuivre une action d’intérêt général et à but non lucratif. Outil juridique de l’affectation de patrimoine, elle diffère en cela de l’association, qui abrite les regroupements de personnes.

La fondation se caractérise par :

  • son objet (la cause choisie)
  • son mode d’organisation (le conseil d’administration qui sera l’instance de décision)
  • ses moyens financiers et humains
  • ses méthodes (fondation opérationnelle ou de redistribution).

La loi du 23 juillet 1987 relative au développement du mécénat modifiée par la loi du 4 juillet 1990 distingue trois types de fondations : la fondation reconnue d’utilité publique (RUP), la fondation abritée et la fondation d’entreprise, qui seules peuvent utiliser l’appellation fondation.

La fondation reconnue d’utilité publique est une fondation indépendante financièrement qui fonctionne avec les revenus de sa dotation dans une perspective de pérennité. Pour la créer, le fondateur soumet un projet à l’instruction du ministère de l’Intérieur et à l’avis des différents ministères concernés par l’objet de la future fondation. Le ministère s’intéresse plus particulièrement au caractère d’intérêt général de l’objet envisagé, au but non lucratif du projet, et à l’existence d’une dotation initiale qui, devant garantir à la fondation indépendance et pérennité, ne peut être inférieure à 750 000 euros. A l’issue de cette instruction, le Conseil autorise la création de la fondation par décret par le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre.

Les réformes en cours pour dynamiser le mécénat visent à réduire le temps d’instruction du projet, en le ramenant à environ six mois pour un délai moyen actuellement supérieur à dix-huit mois et, par ailleurs, à assouplir les règles de création et de fonctionnement d’une fondation RUP en simplifiant les statuts-types et en allégeant les obligations liées à la dotation initiale.

Certaines fondations RUP, comme la Fondation de France, sont autorisées à abriter des fondations sous leur égide. Ces fondations sont créées par des particuliers ou des personnes morales sous forme de libéralités avec charge, afin de poursuivre un ou plusieurs objets d’intérêt général choisis et mis en œuvre par le fondateur lui-même. N’ayant pas la personnalité morale, elles agissent conformément aux statuts de la fondation abritante qui leur fait bénéficier de ses avantages fiscaux.

Depuis 1990, les fondations d’entreprise sont des structures réservées aux sociétés civiles ou commerciales, aux établissements publics à caractère industriel et commercial, et aux coopératives ou aux mutuelles. Créées par simple arrêté préfectoral, elles bénéficient d’une personnalité morale autonome. La fondation est financée par l’entreprise fondatrice, laquelle s’engage à verser les ressources de la fondation, dont une petite partie seulement servira à créer une dotation. Alors que la législation actuelle ne permet pas à une fondation d’entreprise de faire appel à la générosité du public, ni d’accepter les donations et legs, le projet de réforme du gouvernement prévoit d’ouvrir ses ressources à la collecte auprès de ses salariés et collaborateurs.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-6/developper-les-fondations-une-chance-pour-notre-pays.html?item_id=2475
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