est directeur de la Fondation de France et président du Centre français des fondations.
Développer les fondations, une chance pour notre pays
En dépit d’une
histoire ancienne, les fondations françaises restent trop peu nombreuses.
Pourtant, elles constituent un des moteurs du changement au bénéfice
du grand public. Il est donc urgent de les encourager.
L’histoire des fondations
en France est ancienne. Elles ont connu une grande activité sous
l’Ancien Régime, mais tendaient à être limitées
par le pouvoir royal qui voyait se développer dans le royaume les
biens de mainmorte sous la tutelle de l’Eglise. En 1666, l’édit
de Saint-Germain a réglementé les communautés en
subordonnant notamment leur existence, comme leur capacité d’ester
ou de recevoir des dons et legs, à une autorisation royale. La
Révolution française supprime ce droit, dissout les congrégations
et leurs fondations, confisque les biens ecclésiastiques. Si les
droits de « bonnes mainmortes et communautés » ont
été de nouveau autorisés sous Napoléon, l’appréciation
de l’opportunité ne dépend que du gouvernement. Le
besoin d’établissements relevant de ce dispositif étant
permanent, les fondations progressent jusque vers la fin du XIXe siècle.
Cette période est marquée par la distinction entre l’établissement
public de droit privé, d’une part, et celui de droit public,
d’autre part, alors qu’avant ils étaient confondus dans
une même catégorie, celle des établissements officiellement
reconnus.
473 fondations reconnues d’utilité
publique
Les grandes crises du début du XXe siècle
ont entraîné la disparition de nombreuses fondations, mais
certaines ont persisté à travers le temps, comme l’institut
Pasteur (1887) ou la fondation Thiers (1893). Après la guerre,
leur nombre a progressivement augmenté : entre 1945 et 1965, quarante-cinq
ont été créées entre 1966 et 1976, soixante
; puis une trentaine jusqu’en 1979. Aujourd’hui, il existe 473
fondations reconnues d’utilité publique. A la fin de 2001,
on recensait aussi quelques dizaines de fondations abritées sous
l’égide des différentes fondations reconnues d’utilité
publique habilitées, 538 fonds et fondations sous l’égide
de la Fondation de France – dont 56 créées par des
entreprises –, plus de mille fondations agissant au sein de l’Institut
de France – dont neuf créées par des entreprises –
et une soixantaine de fondations d’entreprises.
Retard français
Quels que soient les régimes et les gouvernements,
l’Etat a toujours exercé un étroit contrôle sur
la création et le suivi des fondations. Leur fonctionnement a longtemps
reposé sur les règles édictées par le Conseil
d’Etat, sans qu’aucun texte de loi spécifique ne guide
cette jurisprudence, sauf en matière fiscale où elles étaient
confondues avec les associations reconnues d’utilité publique
(RUP). Ce n’est qu’en 1987, à la faveur d’un texte
sur le développement du mécénat, que le législateur
introduit le mot « fondation » dans la loi française.
Il la définit alors comme « l’acte par lequel une ou
plusieurs personnes physiques ou morales décident de l’affectation
irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation
d’une œuvre d’intérêt général
et à but non lucratif », et en protège l’intitulé.
Il existe un retard structurel dû à la réserve
de l’Etat envers ce dispositif, comme on a pu le voir à travers
l’évolution historique. Malgré ce climat de méfiance,
les fondations ont perduré jusqu’à nos jours. Bien
que moins nombreuses qu’ailleurs, les fondations occupent une place
fondamentale. Que ce soit, par exemple, la fondation de l’abbé
Pierre qui lutte contre les effets de la pauvreté, les fondations
de la Recherche médicale et de l’institut Pasteur qui aident
la recherche, la fondation Caisses d’épargne pour la solidarité,
les fondations Hartung ou Maeght dans le domaine de la culture, la Fondation
de France favorisant l’innovation dans de nombreux domaines, chacune
est productrice d’une valeur importante. L’Institut des hautes
études scientifiques alloue des bourses à des mathématiciens
pour qu’ils poursuivent leurs recherches : grâce à cette
fondation, de nombreuses médailles Fields ont été
attribuées à notre pays.
Des lieux de connaissance et d’expertise
Au cours des dix dernières années, les
fondations ont connu en Europe une évolution notable. Dans de nombreux
pays, des initiatives nouvelles sont prises pour développer ces
organismes qui répondent aux demandes de la société.
De très importantes fondations se développent en Italie,
au Portugal, en Espagne, en Allemagne et dans les pays nordiques, créées
par des particuliers ou par des entreprises. En soutenant le développement
des démocraties émergentes, les grandes fondations, américaines
et allemandes notamment, ont beaucoup investi pour mettre en œuvre
des programmes et des projets de coopération à l’échelle
européenne. Elles accordent des subventions et favorisent des programmes
de formation menés dans leur pays d’origine.
Moteurs de changement
Trop souvent, les fondations sont considérées
comme de simples institutions financières alors qu’elles sont
un des moteurs du changement au bénéfice du grand public.
Ce sont des lieux de connaissance et d’expertise, dont le principal
objectif est de créer de la valeur ajoutée au service de
la société civile en prenant les risques nécessaires
à l’innovation. Les fondations peuvent transformer un ensemble
de connaissances et de pratiques en des politiques à long terme.
Leur pérennité et leur indépendance constituent des
atouts essentiels pour y parvenir.
Par leur rôle très spécifique de
distributeur de subventions, elles aident à :
-
rechercher des solutions nouvelles en soutenant des programmes sociaux,
universitaires, scientifiques et culturels, sans oublier les nouvelles
technologies
- introduire de nouveaux paramètres dans les débats de société
-
développer des processus de changement axés sur la proximité
pour faire face aux défis sociaux, économiques et écologiques.
Stimuler les initiatives
Bénéficiaires d’une capacité
financière stable, s’inscrivant dans la durée, souples
et fiables, des fondations plus importantes pourraient stimuler les initiatives
dans des domaines comme les sciences de la vie, les sciences sociales,
les questions de politique nationale ou internationale, l’environnement,
pour ne citer que ceux-là. Elles assureraient à notre pays
un rayonnement culturel, scientifique et social, et proposeraient des
concepts qui pourraient être repris à travers des partenariats
internationaux.
Il est urgent de mieux faire connaître et reconnaître
leur existence il faut des gestes forts non seulement pour accroître
leur nombre, mais également pour que se constituent des fondations
de taille importante. Cela ne peut être que le résultat d’une
volonté politique affirmée dans le domaine fiscal aussi
bien qu’administratif.
Quatre conditions au développement
Le développement des fondations en France nécessite
quatre types de conditions.
1. Un climat psychologique favorable
Les pays où se développent le plus de fondations
sont les plus décentralisés et ceux dans lesquels l’Etat
laisse une marge de manœuvre importante à la société
civile en lui faisant confiance. L’initiative privée est valorisée
et le concept du tiers secteur est reconnu comme une source de valeur.
Entre le système américain, dans lequel tout est laissé
à l’initiative privée, et le modèle sous tutelle
français, il existe une voie moyenne qui nécessite un engagement
politique fort pour redéfinir les champs d’action de l’Etat
et la liberté octroyée aux acteurs de ce tiers secteur.
La création d’une fondation ne doit pas être considérée
comme un privilège ou comme un outil d’évasion fiscale.
2. Des évolutions juridiques
En France, dans un rapport de 1996, le Conseil d’Etat
avait proposé un certain nombre de dispositions qui permettraient
de faciliter la création de fondations. Deux avancées avaient
eu lieu. La première a amené la modification du décret
de 1896 sur l’interpellation des héritiers, facilitant le
traitement des successions. La deuxième a permis l’amélioration
du dispositif des fondations d’entreprise.
En avril 2003, le Conseil d’Etat a modifié
les statuts-types qui réglementaient la création des fondations.
Il a introduit plus de souplesse sur :
- les
modalités de création, en introduisant pour la dotation
initiale la possibilité de faire des fondations à durée
limitée, soit à capital consomptible, soit des fondations
de flux
- les
questions de fonctionnement, par la possibilité de mettre en
place un directoire et un conseil de surveillance, en supprimant l’exigence
de la présence d’un membre à tous les conseils d’administration.
En Europe, un statut européen des entreprises,
optionnel, vient de voir le jour. Il sera suivi d’un statut
pour les coopératives, puis pour
les mutuelles et enfin pour les « associations
fondations ». Cette notion, qui mêle deux types de dispositifs
aussi différents que l’association et la fondation, ne peut
qu’être préjudiciable à l’essor des fondations.
Le Centre européen des fondations, qui regroupe les plus importantes
fondations d’Europe en relation avec les centres nationaux, travaille
à l’élaboration d’un statut spécifique.
Il est important que les pouvoirs publics aient connaissance de ce travail
et de cette volonté d’exister au niveau européen.
3. Des améliorations fiscales
Quels que soient les progrès réalisés
sur la partie administrative, les conditions du développement des
fondations dépendent des incitations fiscales qui sont proposées
aux fondateurs et aux fondations. Certains des pays voisins ont adopté
des mesures qui rendent attractive l’affectation importante de patrimoine
individuel, voire d’entreprise, au capital de fondations.
L’idée n’est pas de favoriser les gens
riches, car les économies fiscales obtenues restent toujours sans
commune mesure avec le montant des sommes données, mais d’offrir
la possibilité à ceux qui en ont les moyens de participer
à des actions d’intérêt général.
En effet, la constitution d’une fondation, dont l’action s’inscrit
dans la durée, nécessite l’affectation irrévocable
d’un patrimoine. Le montant de cette dotation doit être en
relation avec la cause à soutenir et sa durée. L’expérience
montre que les fonds apportés peuvent être importants. Les
créateurs de fondations font donc un acte de philanthropie très
marquant, d’autant que pour les donations du vivant, les déductions
fiscales sont les mêmes que pour les dons de petits montants.
Ces mesures doivent prendre en compte chaque acteur du
mécénat : les particuliers, les entreprises et les fondations.
Une loi en faveur du mécénat et des fondations a été
proposée en mars 2003 à l’Assemblée nationale.
Si l’on peut constater des avancées significatives pour les
donateurs et les entreprises, lors du débat parlementaire, des
modifications substantielles ont été apportées au
projet initial. Le texte adopté élargit l’application
aux associations et aux collectivités locales par ailleurs, la
fiscalité des fondations, qui est un élément indispensable
à leur développement, n’est que très modestement
prise en compte. L’objectif initial présenté par le
Premier ministre, qui consistait à développer les fondations,
va perdre de son ambition par l’effet de saupoudrage qu’amènera
la loi. Il faut plus d’ambition concernant la réduction de
la fiscalité appliquée aux revenus de la dotation et aux
différents impôts qui touchent les fondations.
4. Une mobilisation des fondations
L’avenir des fondations passe aussi par leur capacité
à démontrer la légitimité de leurs actions,
par les réponses qu’elles apportent aux besoins d’une
société en permanente évolution. Elles doivent garantir
la bonne utilisation des fonds et assurer un bon fonctionnement de leurs
instances statutaires.
Le travail qu’elles effectuent doit sortir d’un
cercle restreint de spécialistes pour qu’elles soient connues
du public comme des entités différentes des associations
avec lesquelles on les confond trop souvent. Les fondations doivent ensemble
avancer dans cette direction en mutualisant leurs actions, en échangeant
sur leurs pratiques, en proposant des évolutions basées
sur leurs expériences. Un pas important a été franchi
par la création du Centre français des fondations.
L’objet de ce Centre est de faire connaître
et reconnaître le rôle que jouent les fondations dans la société,
de montrer combien est utile l’engagement philanthropique et de promouvoir
le développement des fondations en France. Ce type de regroupement
existe déjà dans la plupart des pays voisins et y a une
influence très positive.
L’occasion est donnée par la loi sur le mécénat
de combler le retard accumulé, il ne faut pas manquer la chance
qui nous est offerte d’une rupture historique avec le passé.
La création d’une
fondation
La fondation se définit
comme l’acte par lequel toute personne physique ou morale décide
de l’affectation de manière irrévocable de biens,
droits ou ressources afin de poursuivre une action d’intérêt
général et à but non lucratif. Outil juridique
de l’affectation de patrimoine, elle diffère en cela
de l’association, qui abrite les regroupements de personnes.
La fondation se caractérise
par :
-
son
objet (la cause choisie)
- son
mode d’organisation (le conseil d’administration qui sera
l’instance de décision)
- ses
moyens financiers et humains
-
ses
méthodes (fondation opérationnelle ou de redistribution).
La loi du 23 juillet 1987
relative au développement du mécénat modifiée
par la loi du 4 juillet 1990 distingue trois types de fondations
: la fondation reconnue d’utilité publique (RUP), la
fondation abritée et la fondation d’entreprise, qui
seules peuvent utiliser l’appellation fondation.
La fondation reconnue d’utilité
publique est une fondation indépendante financièrement
qui fonctionne avec les revenus de sa dotation dans une perspective
de pérennité. Pour la créer, le fondateur soumet
un projet à l’instruction du ministère de l’Intérieur
et à l’avis des différents ministères
concernés par l’objet de la future fondation. Le ministère
s’intéresse plus particulièrement au caractère
d’intérêt général de l’objet
envisagé, au but non lucratif du projet, et à l’existence
d’une dotation initiale qui, devant garantir à la fondation
indépendance et pérennité, ne peut être
inférieure à 750 000 euros. A l’issue de cette
instruction, le Conseil autorise la création de la fondation
par décret par le ministre de l’Intérieur et
le Premier ministre.
Les réformes en cours
pour dynamiser le mécénat visent à réduire
le temps d’instruction du projet, en le ramenant à environ
six mois pour un délai moyen actuellement supérieur
à dix-huit mois et, par ailleurs, à assouplir les
règles de création et de fonctionnement d’une
fondation RUP en simplifiant les statuts-types et en allégeant
les obligations liées à la dotation initiale.
Certaines fondations RUP,
comme la Fondation de France, sont autorisées à abriter
des fondations sous leur égide. Ces fondations sont créées
par des particuliers ou des personnes morales sous forme de libéralités
avec charge, afin de poursuivre un ou plusieurs objets d’intérêt
général choisis et mis en œuvre par le fondateur
lui-même. N’ayant pas la personnalité morale,
elles agissent conformément aux statuts de la fondation abritante
qui leur fait bénéficier de ses avantages fiscaux.
Depuis 1990, les fondations
d’entreprise sont des structures réservées aux
sociétés civiles ou commerciales, aux établissements
publics à caractère industriel et commercial, et aux
coopératives ou aux mutuelles. Créées par simple
arrêté préfectoral, elles bénéficient
d’une personnalité morale autonome. La fondation est
financée par l’entreprise fondatrice, laquelle s’engage
à verser les ressources de la fondation, dont une petite
partie seulement servira à créer une dotation. Alors
que la législation actuelle ne permet pas à une fondation
d’entreprise de faire appel à la générosité
du public, ni d’accepter les donations et legs, le projet de
réforme du gouvernement prévoit d’ouvrir ses
ressources à la collecte auprès de ses salariés
et collaborateurs.
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