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est ministre déléguée aux Affaires européennes.
Pour comprendre la nouvelle Europe
A la différence des
précédents élargissements, celui de mai 2004 concerne
des Etats qui ont dû remodeler complètement leurs structures
économiques. L’effort de l’Europe des Quinze a également
été particulièrement important. Pour la ministre
française des Affaires européennes, c’est l’occasion
de retrouver le sens politique du projet européen. Sans pour autant
oublier le poids de l’histoire.
Les chefs d’Etat et de gouvernement
européens se sont retrouvés à Athènes, le
16 avril, pour la signature du traité d’adhésion de
dix nouveaux pays à l’Union européenne. Retransmise
sur les télévisions du monde entier, cette « photo
de famille » déjà familière aurait pourtant
semblé pour beaucoup inimaginable il y a encore peu d’années.
Cet événement, pour
les pays d’Europe centrale et orientale qui vont nous rejoindre,
marque une étape majeure de la longue route de la transition politique
et économique sur laquelle ils se sont engagés après
la chute du communisme, voici plus de dix ans.
Premier bilan
Le moment est ainsi venu de dresser un premier bilan
de ce grand projet qui, depuis la chute du mur de Berlin en 1989, a déjà
changé profondément le visage de l’Europe et fait de
notre continent un espace plus ouvert et plus sûr. Car, soyons-en
pleinement conscients, cet élargissement ne ressemble à
aucun de ceux qui l’ont précédé.
Certes, par le passé, des pays comme l’Irlande,
la Grèce, l’Espagne ou le Portugal ont dû eux aussi,
à l’instar de nos futurs partenaires, moderniser à
marche forcée leur économie en s’intégrant à
ce qui s’appelait alors la Communauté économique européenne.
Mais jamais jusqu’ici aucun candidat n’avait ainsi eu à
remodeler de fond en comble ses structures économiques, sur les
ruines laissées par la faillite du système collectiviste.
Jamais l’engagement financier et humain de l’Europe
– à savoir 3 milliards d’euros d’aides par an et
des milliers de « conseillers de préadhésion »
en provenance de tous les pays de l’Union – n’avait atteint
un tel niveau en termes de soutien et surtout de présence sur place.
Certes, lors des quatre précédents élargissements
(1973, 1981, 1986 et 1995), les nouveaux pays membres avaient-ils dû,
eux aussi, reprendre l’acquis des législations et des politiques
européennes déjà en vigueur. Mais nos dix nouveaux
partenaires ont à consentir des efforts, ô combien démultipliés.
Car ces pays entrent dans une maison bien plus vaste que celle de leurs
prédécesseurs, une maison dans laquelle des pièces
ont été ajoutées : l’euro, la coopération
des polices et des justices, la protection de l’environnement, l’amorce
d’une diplomatie commune et d’une défense européenne…
Enfin, et surtout, jamais auparavant l’Europe n’avait
défini aussi clairement les exigences de respect de l’Etat
de droit et des droits de l’homme, qui sont désormais la condition
préalable au démarrage de toute négociation d’adhésion.
Ces critères ont été arrêtés en 1993
à Copenhague sur proposition de la Commission et la France les
avait à l’époque fermement soutenus. C’est en
suivant cette « feuille de route », que les anciens pays de
l’Est sont parvenus à se reconstruire, en adhérant
à notre communauté de valeurs fondée sur la démocratie,
en consolidant leur Etat de droit, en mettant sur pied un système
entièrement nouveau de cours de justice et de tribunaux qui ne
soient plus, comme jadis, un simple alibi du régime.
Toutefois, malgré l’ampleur de ces transformations,
le poids de l’histoire se fait encore sentir, et nous ne devons jamais
l’oublier si nous voulons éviter les malentendus. Depuis des
mois que je sillonne ces pays, j’ai ainsi acquis la certitude que,
pour réellement comprendre cet élargissement et ses conséquences
sur la France à l’intérieur de la nouvelle et grande
Europe, il faut nous défaire de plusieurs idées reçues.
Se défaire des idées reçues
La première, c’est l’illusion romantique
qu’il suffit que ces pays renouent avec leur passé d’avant
le communisme pour se sentir totalement chez eux dans la grande maison
européenne. Cette sensation, si forte lorsqu’on se trouve
à Prague, à Budapest, à Cracovie ou à Ljubljana,
est en partie trompeuse. On ne peut en effet faire l’impasse sur
la marque de l’expérience douloureuse par laquelle ces pays
sont passés depuis la Seconde Guerre mondiale. Cinq décennies
de domination soviétique, suivies d’un peu plus d’une
décennie de transition démocratique, pacifique et courageuse
pour atteindre l’objectif d’intégration dans l’Europe,
telle est l’histoire que les générations actuelles
portent en elles. Les blessures mettront du temps à cicatriser.
Prenant la suite de leurs grands intellectuels militant pour la liberté
et devenus des chefs politiques – tels les anciens présidents
tchèque et hongrois, Vaclav Havel et Arpad Göncz – la
nouvelle génération de leurs dirigeants commence à
engager l’indispensable travail de mémoire.
La seconde idée toute faite, liée à
l’actualité internationale, serait de penser que ces pays
sont déchirés entre l’Europe et leur attachement aux
Etats-Unis. Certes, pour ces peuples d’Europe centrale et orientale,
les Etats-Unis sont depuis longtemps une terre d’accueil. Des millions
de Polonais, de Slovaques, de Hongrois, de Tchèques, de Baltes,
etc., y ont fait souche. Et nos futurs partenaires, reconnaissants aux
Etats-Unis de leur rôle dans la libération du joug communiste,
voient dans la relation transatlantique un lien structurant pour eux.
Quelle que soit la nature affective de ce lien, ces pays savent parfaitement
que leur avenir est l’Europe. Ils savent, comme nous, que la vraie
question est celle de la place de l’Europe dans l’équilibre
du monde.
Forte, l’Europe l’est de longue date sur le
plan économique et commercial. Avec un quart de la richesse mondiale,
elle concurrence sur ce plan la puissance des Etats-Unis. Et ce qui était
vrai à quinze le sera davantage encore à vingt-cinq. Mais
la véritable refondation de l’Europe, c’est celle d’une
puissance politique. La Communauté s’est affirmée hier
par des politiques aussi diverses que la politique agricole commune, la
politique régionale, la politique commerciale, la monnaie unique
ou encore la politique de l’environnement. Les trois grands chantiers
de demain pour l’Union sont la justice, la politique étrangère
et la défense.
L’Europe a toujours été un projet
global, mais l’élargissement nous donne l’occasion de
retrouver le sens politique de ce projet. Il faut s’en réjouir.
Car il est indispensable de faire cet examen de conscience européen
si l’on veut continuer à aller de l’avant. Il était
temps en effet de s’interroger sur les valeurs communes de la société
européenne, sur son modèle social, de même que sur
une gouvernance politique de l’Europe de nature à concilier
le respect des identités nationales avec les éléments
de fédéralisme qu’induisent les politiques et les législations
communes. Ma conviction est que la nouvelle et grande Europe ne se renforcera
pas selon une logique de blocs – pays du Nord contre pays du Sud,
pays de l’Ouest contre pays de l’Est – mais progressera
sur la base de majorités d’idées, le cas échéant
variables selon les sujets.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-6/pour-comprendre-la-nouvelle-europe.html?item_id=2479
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