est journaliste, ancien directeur de la rédaction du Monde et fondateur de Boulevard extérieur, observatoire sur Internet de l’actualité internationale et forum de réflexion sur les événements mondiaux.
La réunification du Vieux Continent
Les dates historiques se succèdent.
Le 13 décembre 2002, à Copenhague, les quinze chefs d’Etat
et de gouvernement de l’Union européenne ont bouclé
les négociations avec dix candidats. Le 16 avril 2003, les mêmes
ont signé les traités d’adhésion de ces nouveaux
membres qui entreront officiellement le 1er mai 2004.
L’Europe ne s’étendra pas « de
l’Atlantique à l’Oural », comme disait le général
de Gaulle, mais elle fera un grand pas dans ce sens. Ce n’est pas
un « élargissement », affirment les nouveaux venus,
c’est une « réunification » du continent après
plus d’un demi-siècle de division artificielle. En tout cas,
c’est le plus grand saut quantitatif que le Marché commun,
devenu Communauté européenne puis Union européenne
en 1993, ait fait depuis sa création en 1957. Dix nouveaux membres
en une seule fournée, dont huit appartenant à l’Europe
centrale ou orientale qui ont vécu sous un système communiste
après la Seconde Guerre mondiale, avec un niveau de vie qui ne
dépasse pas la moitié de la moyenne communautaire. Le défi
est immense.
L’impulsion de la chute du mur de Berlin
La chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, et l’effondrement
consécutif de l’empire soviétique, y compris la disparition
de l’URSS elle-même, ont permis les retrouvailles européennes.
Les Cassandre ont eu tort, qui, à l’automne 1989, déclaraient
avec ironie : « La chute du Mur a fait une victime collatérale :
Jacques Delors. » Ils insinuaient que le président de la
Commission de l’époque pouvait remiser ses rêves d’Europe
intégrée, car la disparition du communisme allait, selon
eux, faire exploser la Communauté.
Ce pronostic n’était pas seulement partagé
par les eurosceptiques. L’attitude réservée de François
Mitterrand vis-à-vis de la réunification allemande s’explique
d’abord par sa crainte de voir les acquis de l’intégration
européenne remis en question sous la double pression d’une
Allemagne ayant recouvré sa souveraineté et de l’explosion
difficilement maîtrisable du nombre de pays membres.
Pour parer ce double risque, le président de la
République avait insisté auprès du chancelier Kohl
pour que le calendrier européen prévu avant la réunification
soit maintenu et même accéléré, et il avait
conçu l’idée d’une Confédération
européenne qui aurait englobé, dès le début
des années quatre-vingt-dix, l’Europe tout entière.
L’échec du projet de Confédération
européenne
Le premier objectif a été atteint avec
le traité de Maastricht et la création de la monnaie unique,
même s’il restait encore beaucoup à faire pour réaliser
l’union politique mais la faute n’en revient pas seulement
aux Allemands.
Le second a piteusement échoué. Outre l’impréparation
diplomatique française, les raisons de fond renvoient à
des problèmes fondamentaux de l’Union européenne. Pour
les pays d’Europe centrale et orientale auxquels elle était
destinée, la Confédération avait deux défauts
majeurs. D’une part, elle devait comprendre la Russie et exclure
les Etats-Unis or ces Etats ne concevaient pas, et ne conçoivent
toujours pas, leur sécurité en dehors de l’Alliance
atlantique. D’autre part, elle apparaissait comme une voie de garage
par rapport à l’Union européenne elle-même, pour
des peuples qui aspiraient avant tout à bénéficier
de la prospérité dont ils avaient été privés
pendant cinquante ans.
Par paliers successifs d’intensité croissante,
les négociations d’adhésion ont duré plus de
dix ans, l’élargissement vers l’Est étant en outre
« équilibré » par un mini-élargissement
vers le Sud (Chypre et Malte), auquel tenait particulièrement la
France. Ce choix a présenté des avantages et des inconvénients,
les premiers l’emportant certainement sur les seconds : réparation
d’une injustice historique, exportation de la stabilité dans
des pays qui auraient pu être en proie à des troubles ethniques
et obligation faite aux membres actuels de l’Union d’affronter
une réforme des institutions toujours invoquée, sans cesse
reportée.
Relance du débat sur l’élargissement
La candidature de treize pays (aux dix qui vont entrer
le 1er mai 2004 s’ajoutent la Roumanie et la Bulgarie, qui pourraient
adhérer en 2007, ainsi que la Turquie, avec laquelle les négociations
n’ont pas encore commencé) a en effet relancé le débat
récurrent en Europe autour du dilemme élargissement-approfondissement.
Faut-il approfondir, c’est-à-dire réformer les institutions
prévues à l’origine pour une association de six Etats,
avant d’accepter de nouveaux adhérents ? (Cette thèse
officielle française ne l’a jamais vraiment emporté.)
Ou faut-il profiter d’un élargissement pour tenter, sous la
pression, la réforme des institutions ? Car tout le monde convient
que l’Union européenne est menacée de paralysie, à
quinze, et donc a fortiori demain à vingt-cinq et après-demain
à trente ou plus. Cette réflexion de bon sens a débouché
sur une première réforme du traité de Maastricht
à Amsterdam, en 1997, puis sur une deuxième, à Nice,
en 2000.
La tâche a finalement été confiée
à la Convention que préside Valéry Giscard d’Estaing
et qui doit élaborer une Constitution européenne. Si le
projet aboutit, il sera soumis avant la fin de l’année aux
chefs d’Etat et de gouvernement qui pourraient ainsi signer, quarante-six
ans après le premier, un nouveau traité de Rome, la première
Constitution de l’Europe unie. Le succès n’est pas assuré
mais cette Convention où se côtoient parlementaires nationaux
et européens, représentants des gouvernements, délégués
des Quinze et des pays candidats, a d’ores et déjà
donné un nouveau visage à une Europe souvent trop technocratique,
progressant à l’insu des opinions publiques.
Les limites de l’Europe
L’élargissement a souligné deux autres
problèmes : les relations avec les Etats-Unis et les limites de
l’Europe. Le premier empoisonne la construction européenne
depuis les origines. Mais l’arrivée de nouveaux Etats, pour
lesquels l’alliance américaine est le signe de leur libération
du communisme, renforce l’acuité des discussions sur une politique
étrangère, de sécurité et de défense
commune, c’est-à-dire sur l’idée d’une Europe-puissance,
par opposition à l’Europe-espace.
Car cet élargissement est-il le dernier ou constitue-t-il
une simple étape dans un processus sans fin ? La question est posée.
L’exemple de la Suisse montre qu’on peut être un pays
européen sans appartenir à l’Union européenne,
mais il ne convainc pas les Etats de la périphérie qui attendent
de l’Europe prospérité et sécurité. La
solution réside sans doute dans l’Europe des cercles concentriques,
avec intensité d’intégration différenciée,
mais elle n’a encore été ni formalisée, ni surtout
acceptée par les destinataires.
Bibliographie
- De Sarajevo à Sarajevo, Jacques Rupnik, Complexe, 1993
- Une Europe pour tous, Philippe de Schoutjeete, Odile Jacob, 1997
- Le Passager du siècle, François Fejtö, Hachette, 1999
- La Question de l’Etat européen, Jean-Marc Ferry, Gallimard, 2000
- La République européenne, Michel Foucher, Belin, 2001
- Les Sentinelles de la liberté, Laurent Cohen-Tanugi, Odile Jacob, 2003
- L’Europe, l’Amérique, la guerre, Etienne Balibar, La Découverte, 2003
- Enraciner l’Europe, Hubert Haenel, François Sigard, Seuil, 2003
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-6/la-reunification-du-vieux-continent.html?item_id=2472
© Constructif
Imprimer
Envoyer par mail
Réagir à l'article