Jean-Dominique GIULIANI

Président de la Fondation Robert Schuman

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La relance par la confiance

La situation économique de l'Union européenne exige des réponses urgentes. La croissance y fait défaut, le chômage y est élevé, les disparités entre États se sont aggravées et sa politique économique reste un facteur de divisions.

Bien que toujours première zone de production de richesses du monde et offrant une qualité de vie inégalée, l'Union doute d'elle-même. C'est donc d'un mal profond qu'elle souffre. Sans guérison rapide ou clairement prévisible, elle finira par susciter le doute à l'extérieur.

Les spécificités de la construction communautaire expliquent en partie ce constat. Elles appellent des réponses fortes qui relèvent de la volonté politique de ses États membres, dans une coopération renouvelée et renforcée.

La construction progressive de l'unité européenne ne ressemble à rien de connu. Il n'y a pas d'autre exemple dans l'Histoire d'unification pacifique de tout un continent. Il n'est donc pas surprenant que l'Europe étonne par ses politiques, jusqu'au sein des États qui la composent et qui sont issus d'un long processus historique de construction nationale.

L'Union européenne est inachevée, l'union économique et monétaire en tout premier lieu. Elle ne correspond pas aux règles réputées intangibles des grands oracles économiques, nobélisés ou pas. Elle choque les théoriciens de la « zone monétaire optimale » ou de la finance débridée dont les recettes, pourtant, ne nous ont pas épargné de graves crises conjoncturelles. Des subprimes aux mirages d'Alan Greenspan, longtemps gourou de l'économie mondiale, on ne peut pas dire que les tenants d'un keynésianisme moderne, qui préconise l'injection de liquidités, aient conduit des politiques sans dangers !

Un autre modèle de développement

Dans cette période de rapides mutations, l'Europe dérange en venant apporter un autre exemple de développement économique, celui qui lui a si bien réussi pour sa reconstruction après le second conflit mondial, basé sur des besoins de nature politique exprimés après des guerres civiles épouvantables et qui s'appellent notamment « économie sociale de marché », « régulation financière », « solidarité entre États », « redistribution entre riches et pauvres ». Elle a certainement abusé de ces bienfaits et se trouve obligée, face à une nouvelle économie planétaire, financiarisée à l'extrême, avec de nouveaux continents émergents, compétiteurs en rattrapage accéléré, de ralentir la généreuse distribution à laquelle elle s'est livrée pendant soixante-cinq ans et de rétablir un niveau de dettes et de déficits soutenables dans le long terme. En rechignant à le faire, ce qui est le cas de certains États membres, elle s'est offerte au jugement des investisseurs, de plus en plus avides de rendements rapides. Ils ont souligné les disparités entre États toujours responsables de leurs dettes. Ils ont, en fait, mis en cause la volonté de poursuivre le projet européen. L'Union a été à l'origine d'une spirale de défiance, du fait de son inaptitude à poursuivre sa progression vers une intégration accrue de ses finances et de ses politiques. La sortie de crise ne sera possible que par le retour de la confiance, qui exige un sursaut et un véritable engagement des gouvernements nationaux.

Priorité à la relance

Les institutions communautaires, au premier rang desquelles figure la Commission, semblent avoir déjà pris la mesure de cet enjeu. Les intentions de Jean-Claude Juncker annoncent des changements très notables dans le fonctionnement et les politiques de l'Union. Moins de réglementations qui étouffent en s'ajoutant aux lois nationales, moins de détails et de réflexes bureaucratiques, une priorité et une seule : relancer l'économie européenne. Les débuts du nouveau président de la Commission sont remarquables, car il ne pratique ni la langue de bois ni l'inaction. Déterminé, il a déjà procédé à une véritable révolution à Bruxelles en organisant la Commission autour d'un exécutif restreint a imposé une communication qui s'adresse directement aux citoyens et obligé le collège des commissaires à travailler en équipes. Enfin, le plan Juncker, un peu facilement sous-estimé en France, est particulièrement novateur. Il correspond exactement à ce qu'il convient de faire pour relancer la croissance. Il ne réussira vraiment qu'avec le soutien actif des gouvernements.

Depuis 2007, qui marque le début de la crise, l'investissement s'est brutalement ralenti en Europe. D'après les calculs de la Commission, 370 milliards d'euros d'investissements auraient manqué à l'économie européenne dans la période 2007-2014. Et ce sont d'abord des investissements privés dont l'Union a besoin. Avec une industrie financière globalisée, les capitaux privés s'investissent principalement dans les régions où la confiance est forte, où la croissance est crédible et attendue. L'énormité des flux financiers dans le monde - plus de 1 500 milliards de dollars (environ 1 300 milliards d'euros) échangés chaque jour dans les transactions de marché - justifie que l'Europe mette tout en oeuvre pour continuer à en capter une partie, pour que les grandes entreprises européennes continuent aussi à investir au sein d'un marché intérieur attrayant. C'est ainsi, et non par le moyen de la résurrection d'on ne sait quels « Ateliers nationaux », réinventés pour construire encore des routes et des équipements dans une Europe suréquipée, que la croissance créera de vrais emplois.

L'impératif de la confiance

Pour cela, la confiance est le maître mot, de même que des règlementations qui ne soient pas trop lourdes au regard de celles de nos grands compétiteurs. L'agenda de Jean-Claude Juncker, qui souhaite des législations adaptées à la priorité de relance, c'est-à-dire qui cessent de multiplier les contraintes nouvelles, même justifiées par de nobles causes, est particulièrement calibré pour atteindre cet objectif. Il faudra pour ce faire résister aux modes et aux slogans, savoir opportunément différer certaines initiatives, par exemple en matière de protection de l'environnement, pour maintenir dans la durée ce nouveau cap nécessaire.

En puisant pour la première fois dans le budget européen 8 milliards d'euros, qui deviendront immédiatement 16 milliards de garanties, en sollicitant la Banque européenne d'investissement pour 5 milliards, les institutions de l'Union peuvent mobiliser jusqu'à 315 milliards d'euros d'investissements privés. Les États acquièrent la possibilité de contribuer au Fonds européen pour les investissements stratégiques, créé pour emprunter, sans que cette contribution soit décomptée dans les déficits ou la dette publique au sens des traités européens.

Privilégier la préparation de l'avenir sur les dépenses de fonctionnement est une ardente nécessité désormais rendue possible par Jean-Claude Juncker. La nouveauté est réelle. Il appartient désormais aux États membres de partager cette logique, qui paraît bien être la seule capable de relancer durablement l'économie européenne.

Les difficultés d'une intégration accrue

Une autre possibilité serait qu'ils enclenchent de nouveau la lente progression vers plus d'intégration. Si l'on veut un jour mutualiser les dettes, libérer la Banque centrale européenne d'un mandat trop restreint, relâcher éventuellement certaines disciplines, il faut être certain que tous les États de la zone euro appliquent la même politique économique et budgétaire ou au moins poursuivent en la matière les mêmes objectifs de contenir la dette et diminuer leurs dépenses courantes. On en est loin. Certains ont procédé à des réformes difficiles, d'autres hésitent devant la difficulté d'une tâche qui se conclut presque inévitablement par la perte du pouvoir au profit de l'intérêt général, et le couple franco-allemand, généralement moteur en la matière, est au point mort.

Par exemple, une harmonisation progressive des fiscalités, voire des charges qui pèsent sur le travail, créerait les conditions d'un retour de la confiance. Si la France et l'Allemagne, avec ceux de leurs partenaires qui seraient volontaires, s'engageaient sur une feuille de route, gravée dans le marbre d'un traité, à harmoniser leurs fiscalités sur les entreprises en dix ans et à faire chaque année un dixième du chemin à parcourir, les investisseurs seraient certains qu'une grande zone de stabilité fiscale (et sociale ?) est en train de se créer au coeur de la zone euro et ajusteraient leurs décisions d'investissements en conséquence. Le même exercice pourrait être entrepris, avec des marges plus larges, pour la parafiscalité ou la fiscalité qui pèsent sur le travail. Les anticipations économiques qui en résulteraient ne peuvent être quantifiées avec précision, mais on imagine aisément qu'elles seraient de forte ampleur.

Donner des perspectives d'évolution

Il ne s'agit donc pas de réussir en un tournemain à débloquer des dossiers fort complexes qui, au demeurant, engagent la souveraineté, mais bien de leur donner les perspectives d'évolution qu'exige le retour de la confiance.

Remettre en marche la machine d'intégration, dans un domaine limité mais déterminant, aurait un effet principal : donner un cap certain quant aux évolutions futures de l'Union européenne. Cette remise en route aurait nombre d'effets secondaires non négligeables, à commencer par celui de mettre fin aux « fantaisies fiscales » d'États désargentés qui ne cessent de modifier les règles du jeu au cours d'une partie de plus en plus compétitive !

Pour ce faire, nul besoin de grands rassemblements de chefs d'État et de gouvernement ni de législation longue et complexe. Il suffit de l'engagement, au plus haut niveau, des représentants de deux leaders européens au moins — on pense à la France et l'Allemagne —, qui seraient d'ailleurs vite rejoints par d'autres de leurs homologues. Une telle initiative gommerait en quasi-totalité les imperfections d'une union monétaire qui n'a pas été suivie de l'union budgétaire et fiscale qu'elle impliquait.

Un engagement comme celui-ci serait en mesure de ramener la confiance en l'Europe, à l'intérieur, où l'on s'interroge sur ses évolutions, comme à l'extérieur, où on la comprend difficilement.

De telles décisions politiques supposent des dirigeants à la hauteur des enjeux européens, aujourd'hui largement déterminés par les mutations de l'économie mondiale.

Il nous reste à les trouver.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2015-3/la-relance-par-la-confiance.html?item_id=3469
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