Christian ODENDAHL

Chef économiste au Centre for European Reform (CER, Centre pour la réforme de l'Europe), think tank proeuropéen à Londres.

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Le Royaume-Uni doit rester dans l'UE

Quels sont les principaux arguments en faveur du maintien dans l'Union ? Comment Londres peut-il tirer le meilleur parti possible de son intégration ? Les réponses d'un think tank britannique proeuropéen.

Avec la perspective d'un référendum d'ici 2017 sur la participation britannique à l'Union européenne (UE), et avec des sondages attribuant 15 % des intentions de vote au parti eurosceptique UK Independence Party (UKIP), se pose la question de l'appartenance future du Royaume-Uni à l'Union européenne. Les tenants d'une sortie de l'UE expliquent que le Royaume-Uni devrait pouvoir restreindre l'immigration comme elle l'entend, dépenser sa contribution nette au budget de l'UE autrement, tourner son économie vers des régions au-delà de l'Europe et se libérer des réglementations européennes. Cependant, ces arguments peinent à convaincre, car les avantages économiques de l'adhésion britannique à l'UE dépassent largement les inconvénients. Politiquement, le Royaume-Uni aurait également beaucoup à perdre d'une sortie de l'UE, et réciproquement. La zone euro devrait, en outre, constituer un argument fort en faveur de l'UE pour les Britanniques.

L'impact de l'immigration

Commençons par l'immigration. Les opposants à l'appartenance à l'UE expliquent que l'immigration, particulièrement celle issue d'Europe centrale et orientale depuis 2004, a exercé une pression sur les salaires des travailleurs britanniques et qu'elle a été coûteuse pour le contribuable. Ces deux affirmations ne tiennent pas à l'épreuve des faits. De nombreuses études se sont penchées sur l'effet de l'immigration d'Europe centrale et orientale sur les salaires. Elles ont établi qu'elle n'en avait aucun, ou alors qu'il était extrêmement faible. Quant aux immigrants d'Europe de l'Ouest, ils sont en moyenne plus qualifiés que les citoyens du Royaume-Uni et donc mieux à même d'augmenter la productivité globale de l'économie britannique.

Même si nous partons du principe que l'immigration a bien un effet négligeable sur les salaires et l'emploi, les implications fiscales sont irréfutables : les immigrants contribuent davantage à remplir les coffres du ministère des Finances qu'à puiser dans ceux des services publics, car ils sont plus jeunes que la population globale. Cette différence est importante : d'après une étude, sur le plan fiscal, la contribution des immigrants de l'UE est supérieure de 34 % à ce qu'ils reçoivent de l'État 1.

Bien sûr, lorsque la population d'un pays augmente, les services publics et le logement sont sous pression dans la mesure où l'offre reste au même niveau. Or, il n'y a aucune raison de maintenir cette offre à un niveau constant. Les économistes et les entreprises critiquent à juste titre les politiques britanniques en matière de propriété foncière et de logement ils les considèrent comme l'une des principales contraintes pesant sur l'économie du pays. Tout comme les coupes budgétaires dans les services publics, ces politiques demeurent un choix entièrement national. Il est malhonnête de rendre les immigrants responsables des services publics débordés, de la congestion du marché du logement ou, comme l'a récemment fait Nigel Farage, le chef du parti UKIP, des embouteillages !

Ne plus contribuer au budget européen ?

L'avantage le plus apparent d'une sortie de l'UE pour le Royaume-Uni semble donc être de récupérer sa contribution nette au budget européen, c'est-à-dire 0,5 % de son PIB. Cependant, si le Royaume-Uni sortait de l'UE, est-ce qu'il pourrait réellement utiliser ces fonds à d'autres fins ? La réponse dépend de la volonté du pays de continuer à bénéficier de l'accès au marché commun, aux mêmes conditions que la Suisse ou la Norvège. Dans ce cas, il devrait contribuer au financement de divers programmes européens, en tant que contrepartie à l'accès au marché commun. Si le Royaume-Uni négociait un accord similaire à celui de la Norvège, sa contribution nette diminuerait d'à peine 9 %.

L'intérêt du marché commun

L'accès au marché commun est la question la plus fondamentale à prendre en compte pour le Royaume-Uni. D'après les calculs du Centre for European Reform (CER) 2, l'adhésion à l'UE a accru les exportations des biens britanniques de 55 % par rapport à un scénario de non-adhésion calculé en tenant compte de la proximité et de la taille des économies respectives. Les exportations de services professionnels et financiers, qui constituent l'avantage comparatif britannique, ont également profité de l'accès au marché commun, même si la poursuite de la libéralisation des services offre encore un potentiel énorme dans ce sens. À l'intérieur de l'UE, le Royaume-Uni pourrait se faire l'avocat de ce processus de libéralisation, qui serait sans doute beaucoup plus lent sans son action. C'est en partie grâce à l'accès au marché commun que le Royaume-Uni est la première destination des investissements directs étrangers (IDE) au sein de l'UE. Sans cet accès au marché commun, certains de ces investissements iraient dans le reste de l'UE.

Quelles seraient les options du Royaume-Uni pour garantir son accès au marché commun, après avoir quitté l'UE ? Il pourrait rejoindre l'Espace économique européen (EEE), comme l'a fait la Norvège, afin de maintenir son accès complet à l'UE, mais il devrait pour cela contribuer à son budget de manière importante. En outre, il devrait accepter l'immigration en provenance de l'UE ainsi que ses réglementations, sans conserver aucune influence sur ces deux sujets. De fait, cette situation ne correspond pas du tout au tableau brossé par les tenants d'une sortie de l'UE.

L'option « suisse », c'est-à-dire à peu près une UE à la carte, semble attrayante, mais elle entraîne des contraintes certaines. Pour obtenir ce « statut », les Suisses doivent accepter la libre circulation de la main-d'oeuvre et réguler la plupart de leurs marchés selon les règlements européens. Il est important de remarquer qu'ils ne sont pour l'instant pas parvenus à négocier l'accès au marché unique des services financiers, ce qui constitue jusqu'à présent le principal avantage comparatif du Royaume-Uni.

De la même manière, un simple accord de libre échange (ALE) ne laisserait pas les mains libres au Royaume-Uni, car il est difficile d'échapper à l'orbite de l'UE. Par exemple, les exportateurs britanniques devraient continuer à suivre les normes de l'UE pour les produits. En outre, un accord commercial plus étendu, qui comprendrait les services, serait difficile à négocier, étant donné l'excédent commercial britannique dans le secteur. Malgré tout, il s'agit sans doute de l'un des meilleurs scénarios de sortie, si l'UE consent à l'accepter.

Certains affirment que l'accès au marché commun n'est pas si crucial, car le Royaume-Uni devrait se détourner d'une Europe en stagnation et concentrer son attention vers des économies plus dynamiques en Asie, en Amérique et en Afrique. Cet argument sous-entend, d'une part, qu'un pays ne peut pas bénéficier à la fois d'un commerce florissant avec l'UE et avec les économies émergentes, et, d'autre part, que l'UE empêche le Royaume-Uni d'accéder à ces marchés plus dynamiques. Ces deux postulats sont faux. L'Allemagne, par exemple, réussit à exporter à la fois vers l'Union européenne et vers les marchés émergents, alors qu'elle se trouve bien dans l'UE. De fait, c'est l'UE qui explique en partie cette réussite. Comme l'Europe possède un poids considérable dans les négociations commerciales, il est plus facile de négocier l'accès aux marchés étrangers via des accords de libre-échange en tant que membre de l'Union européenne plutôt qu'en tant que pays européen seul et comparativement petit.

La gigantesque mise au rebut des régulations européennes, que les tenants d'une sortie de l'UE appellent de leurs voeux, ne se produira sans doute pas, quelle que soit la trajectoire choisie par le Royaume-Uni une fois sorti de l'UE. L'économie britannique est l'une des moins régulées parmi les pays de l'OCDE, alors même que le Royaume-Uni se trouve à l'intérieur de l'Union européenne. Pour la dérégulation des produits, le pays est seulement dépassé par les Pays-Bas (d'ailleurs eux aussi membres de l'UE). D'après les indicateurs de l'OCDE, les divers secteurs du marché du travail britannique sont aussi dérégulés que ceux des États-Unis, du Canada, de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande. Sauf à penser que le Royaume-Uni est beaucoup plus libéral que ces pays, le niveau de régulation devrait rester à peu près le même.

L'intérêt du Royaume-Uni

Le Royaume-Uni fait partie de l'Europe, et l'analyse économique penche largement en faveur du maintien dans l'UE. Pour façonner son avenir, le Royaume-Uni devrait travailler de concert avec l'Union européenne et à l'intérieur de celle-ci afin d'améliorer le bien-être de ses citoyens. Politiquement, la convergence du pays européen le plus tourné vers le monde, c'est-à-dire le Royaume-Uni, et d'une organisation régionale aussi vaste et puissante que l'UE fonctionne à l'avantage des deux entités. Et il continuera d'en être ainsi pour le statut de l'UE et du Royaume-Uni dans le monde.

Les hommes politiques britanniques devraient s'investir davantage auprès de leurs électeurs pour défendre le maintien du pays dans l'UE. Les autres États membres pourraient les aider, et ceux de la zone euro en particulier. Après tout, l'un des principaux arguments des eurosceptiques est le marasme persistant de l'économie de la zone euro et, partant, la faible croissance du commerce des Britanniques avec le continent. Les pays de la zone euro devraient mettre en place un ambitieux programme de croissance, combinant des politiques monétaires et fiscales, ainsi que des politiques de réformes structurelles. Cela servirait tout autant l'intérêt de la zone euro que celui des Britanniques à rester dans l'UE.

  1. Christian Dustmann et Tommaso Frattini, « The fiscal effects of immigration to the UK », Centre for research and analysis of migration, discussion paper series, CDP n° 22/13, novembre 2013.
  2. « The economic consequences of leaving the EU », juin 2014.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2015-3/le-royaume-uni-doit-rester-dans-l-ue.html?item_id=3457
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