Olli REHN

Député européen (Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe), vice-président du Parlement européen.

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Les conditions de la relance

L'année 2015 est l'occasion de relancer l'économie européenne. La dépréciation de l'euro favorise les exportations et la baisse du prix du pétrole peut également aider à dynamiser l'économie de l'Europe. L'Union européenne a besoin de plus de croissance et de plus d'emplois ; cela passe par davantage d'investissements, particulièrement dans les domaines de la connaissance et de l'innovation.

On estime le déficit d'investissement dans la zone euro à environ 700 milliards d'euros. Le plan d'investissement de 300 milliards de la Commission européenne est un pas ambitieux dans la bonne direction. Cependant, si elle est isolée, cette initiative ne sera pas suffisante. L'investissement public doit être orienté de façon à générer de la croissance et doit être accompagné par des réformes économiques dans les États membres.

Toute la question est à présent de savoir quel « mix » de politiques monétaires et fiscales et quelles réformes structurelles peuvent soutenir un investissement productif plus fort et une croissance plus durable, dans le cadre de contraintes fiscales strictes. Cette question est liée au récent débat sur la « stagnation séculaire » : plusieurs théories s'affrontent pour expliquer la faible performance des économies avancées. Ainsi, certains craignent que l'Eurozone soit engagée dans un processus de stagnation cyclique qui s'installerait durablement, au point de devenir une stagnation séculaire.

De nombreuses voix s'élèvent pour souligner les faiblesses de la demande et les contraintes qu'une inflation basse impose à la politique monétaire, qui doit maintenir le potentiel de l'activité économique. D'autres énumèrent des obstacles du côté de l'offre, principalement la démographie et l'impact faiblissant des mutations technologiques sur la productivité globale des facteurs.

Une double dynamique

Même s'il est important d'essayer de poser le bon diagnostic, nous sommes sans doute dans une situation où les deux dynamiques jouent, celle de la demande comme celle de l'offre. Leur poids relatif peut varier, mais une politique raisonnable consiste à jouer en parallèle sur les deux tableaux, en se donnant pour objectif l'augmentation de l'investissement productif et la poursuite des réformes économiques.

Entre-temps, les États membres ne doivent pas augmenter leur dette publique, ni renoncer au pacte de stabilité et de croissance, car cela serait contre-productif pour une croissance durable. C'est pourquoi il est nécessaire d'instaurer des conditions favorisant la croissance : le fonds d'investissement européen ne devrait financer des projets que dans les pays membres qui intensifient leurs réformes structurelles selon les recommandations du Conseil et dont les projets de budget ont été approuvés par la Commission. Cela permettrait de combiner relance de l'investissement et finances publiques saines, deux facteurs nécessaires à une croissance durable.

L'importance des finances publiques

Les travaux des économistes sur les crises ont longtemps négligé la qualité des finances publiques, peut-être parce que c'est un sujet politique extrêmement difficile et sensible. Trop souvent, l'assainissement budgétaire s'effectue uniquement ou principalement par des mesures d'augmentation des impôts et de réduction des dépenses. Or, ces mesures fragilisent la croissance, quand elles ne l'étouffent pas. Prenons l'exemple de la France et de l'Italie, qui souffrent de la conjonction d'une croissance atone et d'une dette publique élevée : au lieu d'augmenter davantage les impôts, il faudrait trouver des moyens d'assurer le nécessaire assainissement des finances publiques sans mettre la croissance en péril.

D'après l'OCDE, par exemple, les mesures d'assainissement les plus compatibles avec la croissance sont la diminution des subventions, la réduction du coût des retraites et l'augmentation des impôts fonciers. Cependant, des réformes fiscales et structurelles comme celles-ci, économiquement préférables, sont très ardues, car les réductions globales sont d'ordinaire mieux acceptées par la population. Dans de nombreux pays, cela a conduit à remplacer les dépenses en capitaux (les investissements) par des dépenses courantes (la protection sociale, les coûts de fonctionnement), ce qui a contribué à la réduction de l'investissement et, partant, à l'étranglement de la croissance économique et de l'emploi.

Nous devons nous assurer de l'adéquation et de la pérennité des systèmes de protection sociale, tout en les rendant plus efficaces en termes de croissance. Comme la crise a déjà eu un impact sur les finances publiques, et comme le vieillissement de la population progresse, les sociétés européennes vivent actuellement un test de résistance grandeur nature de leurs systèmes de sécurité sociale et de retraite. Pour illustrer l'urgence politique, une vague de réformes est en cours : ces dernières années, 23 États membres sur 28 ont réformé en profondeur leur système de retraite, indexant l'âge de la retraite sur l'allongement de l'espérance de vie.

En délayant le contenu du nouveau pacte de stabilité et de croissance, on saperait une viabilité budgétaire qui a été essentielle pour stabiliser l'Europe, et qui le demeure aujourd'hui pour sa fragile convalescence économique. Les règles fiscales sont là pour une bonne raison. Si la persistance de déficits importants des finances publiques et l'accroissement de la dette publique étaient la recette d'une croissance forte, alors la France et l'Italie afficheraient un dynamisme économique enviable. Le Japon serait la première puissance économique mondiale et la Finlande le champion scandinave de la croissance. Cela n'est évidemment pas le cas. Ces pays ont tous en commun une absence durable de volonté de mener des réformes structurelles.

Des réformes indispensables

L'Europe a besoin de réformes systémiques améliorant la croissance afin de devenir plus attractive, particulièrement pour les investisseurs privés. L'Europe doit se montrer plus compétitive, flexible, tournée vers l'avenir et innovante qu'elle ne l'est aujourd'hui. Des réformes du marché du travail et des systèmes de retraite et de santé sont nécessaires. Il faut un leadership politique fort pour en démontrer l'importance aux électeurs facilement convaincus par les arguments populistes.

Les conditions d'investissement doivent être facilitées, grâce à la création d'un marché interne efficace pour les capitaux, les biens et les services. En outre, l'Union européenne doit continuer à mener une ambitieuse politique de commerce extérieur et pousser à l'ouverture des marchés étrangers afin de dynamiser la croissance.

Il est primordial d'aider les PME à grandir. Nous devons rendre la réglementation plus intelligente et les règles plus simples, réduire la bureaucratie et améliorer l'accès des PME au financement et aux marchés européens. Les PME fournissent deux tiers des emplois du secteur privé en Europe et sont les principales créatrices de nouveaux emplois.

En matière d'énergie, l'Europe est très dépendante de pays tiers, et cette situation n'a fait qu'empirer ces deux dernières décennies. La facture annuelle de l'UE en énergies fossiles se chiffre en centaines de milliards d'euros. Pourquoi n'utiliserions-nous pas une grande partie de cet argent pour développer notre propre énergie verte ?

La bioéconomie et les sources d'énergie renouvelable sont une occasion unique de s'attaquer au changement climatique, de promouvoir la croissance et les emplois en Europe, de diminuer notre dépendance énergétique envers les pays tiers et de réaliser des avancées importantes pour la sécurité énergétique de l'Europe. À présent, toutes les institutions européennes et les États membres doivent oeuvrer ensemble pour doper la croissance et les emplois. Un programme d'investissement de 300 milliards d'euros doit être déployé dans ce sens.

Un dernier point sur les conditions préalables à une croissance durable en Europe : lorsque les États membres mèneront des réformes avec force, la Banque centrale européenne devra combattre la déflation avec tous les moyens dont elle dispose. Elle se rassurerait ainsi sur l'impact positif de ses stimuli monétaires. L'Allemagne devra alors utiliser sa puissante marge de manoeuvre budgétaire afin de favoriser l'investissement et, partant, de soutenir la demande intérieure.

Comme le montre l'exemple du Japon, il n'y a pas de remède miracle pour une croissance plus élevée et durable. Il faut faire feu de tout bois en Europe, cela signifie à la fois stimuler l'investissement, mener des réformes, maintenir les finances publiques à l'équilibre et mettre en oeuvre une politique monétaire plus expansionniste. Ce sont là les véritables ingrédients d'une croissance plus forte et durable.

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