Agnès VERDIER-MOLINIÉ

Directeur de la fondation iFRAP (www.ifrap.org).

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Administrations européennes : une gestion à améliorer

Le président de la Commission est aussi responsable de la gestion de l'administration de l'Union européenne, soit près de 60 000 agents publics - dont 60 % travaillent à la Commission - et 10 milliards d'euros de budget. À l'heure où une majeure partie des pays européens s'imposent des mesures de rigueur budgétaire et de bonne gestion, quel modèle les institutions européennes renvoient-elles aux États membres ?

À l'issue d'une plongée approfondie dans l'administration européenne 1, il ressort que la transparence des données n'est pas encore un automatisme au niveau européen. Notre enquête s'est heurtée à un accès étonnamment difficile à des données complètes sur le budget de l'administration européenne. Finalement, nous constatons que, sur les 132,8 milliards d'euros de dépenses de l'Union européenne (UE), les dépenses administratives officielles affichées pour 2013 s'élèvent à 8,4 milliards d'euros (soit 6 % du budget). Bien qu'une part de ces dépenses s'explique par le coût du multilinguisme de l'administration européenne induit par les vagues successives d'élargissement, ce montant apparaît élevé.

En effet, il faut rappeler que, contrairement aux États membres, l'UE n'a ni enseignants, ni administration fiscale, etc. Et un montant d'autant plus élevé que, selon nos investigations, les dépenses administratives de l'UE sont en réalité de 9,6 milliards, les dépenses de fonctionnement des agences européennes ayant été tout simplement oubliées ! Une inflation des dépenses d'administration qu'il convient de maîtriser.

Les poids des deux Parlements

La source de dépenses la plus connue pour le budget européen est la coexistence de deux Parlements, à Bruxelles et à Strasbourg. Sous ce système, ce sont des milliers de personnes, députés et fonctionnaires, qui déménagent quatre jours par mois, pour un coût de 33 millions d'euros par an, de Bruxelles au Parlement de Strasbourg (et 112,8 millions d'euros par an pour le siège de Strasbourg). Mais si l'idée d'une suppression du Parlement de Strasbourg, dont le manque de praticité est admis par tous, fait lentement son chemin - Daniel Cohn-Bendit proposait d'ailleurs de le transformer en une université européenne -, les économies attendues seraient loin d'être suffisantes pour enrayer l'augmentation des dépenses de fonctionnement.

Le fardeau des frais de personnel

Première source de l'inflation : les dépenses de personnel. Pour 2012, les documents budgétaires indiquent des effectifs de 47 500 personnes alors que, pour la même année, le vice-président de la Commission européenne, Maros Sefcovic, déclarait que 56 000 fonctionnaires travaillaient pour l'Union européenne. En réintégrant les agents « oubliés » des agences européennes, la vérité sur le nombre d'agents européens tournerait plutôt autour de 60 000 personnes. Un écart de 12 500 postes qui doit nous interpeller sur la croissance des effectifs européens qui semble suivre sa dynamique propre (+ 25 % depuis 2004), c'est-à-dire qu'elle n'est pas parallèle aux élargissements successifs. En réalité, si l'on se concentre sur la période 2004-2013, on voit que ce sont surtout les effectifs des agences qui augmentent (+ 169 %). Cette difficulté à établir le nombre net d'agents est inquiétante, étant donné les enjeux financiers qui y sont associés. La masse salariale des agents européens (titulaires ou non) coûte environ 4,5 milliards d'euros chaque année et le cadre financier pluriannuel 2014-2020 prévoit déjà une augmentation de 2,5 millions d'euros de dépenses de fonctionnement, soit un total cumulé de 69,6 milliards d'euros de dépenses pour ces sept années.

À ce propos, la réforme Kinnock (du nom du commissaire britannique) prévoyait, en 2004, d'imposer une culture du management nécessitant pour les fonctionnaires européens un « apprentissage des valeurs du privé ». Cette réforme s'est traduite par un nouveau règlement financier, la création d'un comité de déontologie, un nouveau statut du personnel, l'instauration d'évaluations continues et une réforme des rémunérations (baisse de 20 % à 30 % pour les nouveaux entrants). Un mouvement de modernisation poursuivi en 2011 avec la réforme Sefcovic, qui instaure, entre autres, la réduction du personnel des institutions de 5 % d'ici 2017 par rapport à 2012, soit 2 500 postes (avec un non-remplacement d'une partie des départs en retraite), qui porte la durée de travail hebdomadaire de 37,5 à 40 heures sans compensation salariale et qui repousse l'âge normal de départ à la retraite de 63 à 65 ans (66 ans pour les nouveaux entrants), mais en conservant un taux de remplacement à 70 %, alors même que la Commission a demandé, par exemple à la Grèce, de baisser le taux de remplacement de son système de pensions à 60 %. Par ailleurs, les titulaires des plus hauts postes (commissaires, juges...) de l'UE ne cotisent toujours pas pour leurs retraites en dépit de rémunérations très substantielles. Pour tenir les enveloppes à moyen terme, une nouvelle vague de rationalisation sera nécessaire en jouant plus massivement sur les effectifs et en réduisant directement le niveau de rémunérations puisque, même si certaines primes ont été supprimées ces dernières années, il existe toujours plus d'une dizaine d'indemnités et d'allocations en vigueur encore aujourd'hui.

La question des agences

Autre source de l'inflation budgétaire : les agences. « Depuis quelques années, le recours aux agences pour la mise en oeuvre de tâches fondamentales fait partie intégrante du mode de fonctionnement de l'Union européenne. Ces agences appartiennent désormais au paysage institutionnel de l'Union », expliquait le sénateur Badré en 2009. De douze agences dans les années 2000, elles sont maintenant cinquante-deux et percevront près de 6,5 milliards d'euros de subvention de l'UE pour la période 2014-2020, soit 927 millions en moyenne par an. Cela représente une hausse moyenne de 19 % par rapport à la période précédente. Le problème est que certaines de ces agences sont chargées de missions très proches. Ainsi, la majeure partie des missions de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound), implantée à Dublin, doublonne avec celles de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), installée à Bilbao. Et un certain nombre de ces agences coexistent aussi avec des agences nationales exerçant dans le même champ de compétences, ce qui implique une concertation accrue (les agences de sécurité sanitaire française et européenne ont ainsi toutes deux conduit des travaux sur le bisphénol, mais se sont depuis concertées sur leurs travaux).

Cependant, les agences qui voient aujourd'hui leurs budgets renforcés sont surtout celles qui interviennent sur les questions de sécurité et de citoyenneté comme Frontex (agence de coopération pour le contrôle aux frontières de l'Europe), Europol ou le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO). Sur ce sujet on relèvera la remarque judicieuse de l'eurodéputée allemande Ingeborg Grässle : « Vouloir gérer des bateaux militaires et des garde-côtes le long des côtes maltaises depuis Varsovie, c'est tout de même un drôle de choix », à propos du choix d'installer le siège de Frontex dans la capitale polonaise, alors que la majorité des clandestins qui parviennent chaque année à gagner l'Europe transitent par les pays méditerranéens.

Il est donc nécessaire de revoir le nombre et l'implantation des agences, d'envisager des regroupements et de s'appuyer sur les agences nationales opérant déjà sur les mêmes domaines d'expertise. Pour cela, il faudra notamment renforcer les procédures d'évaluation, alors que la Cour des comptes européenne souffre d'un vide juridique qui ne lui permet pas d'exercer, aujourd'hui, pleinement les missions qui lui sont octroyées. Une situation qui démontre la stratégie générale de l'Union, où les Cours des comptes nationales sont dépossédées de tout pouvoir de contrôle direct sur les dépenses de l'UE. En définitive, le contrôle des États membres sur les dépenses de l'UE est trop faible.

Une nécessaire réforme

Inflation de la fonction publique et de sa masse salariale, recours aux agences et manque de transparence et de contrôle budgétaire sont les principales problématiques du fonctionnement de la Commission, et elles s'apparentent assez largement aux problématiques françaises.

Dans ces circonstances, il est nécessaire de réformer l'administration européenne, qui se doit d'être un exemple de bonne gestion vis-à-vis des États membres qu'elle supervise. À l'heure actuelle, les coûts de fonctionnement sont trop élevés et révélateurs de la faiblesse du contrôle des États et de la puissance d'une administration qui considère qu'elle n'a pas vraiment de comptes à rendre.

Au moment où l'on parle d'ouverture des données publiques et où la Commission est une fervente adepte de l'open data, est-il cohérent par exemple qu'aucun bilan social ne soit disponible au sujet des agents européens ? Pour renforcer la bonne gestion de l'UE, commencer par accroître la transparence s'impose, en publiant tous les ans des documents budgétaires européens, avec un rapport spécifique aux dépenses de fonctionnement, à la masse salariale, au nombre d'agents total (y compris les contractuels des agences) et à un bilan social. Il serait également bon d'imposer un plafond des effectifs travaillant dans les institutions européennes, de supprimer la migration mensuelle entre Strasbourg et Bruxelles, ce qui permettrait d'économiser 18 millions d'euros par an sur les 33 millions d'euros que coûtent annuellement les transferts vers le Parlement de Strasbourg. Il serait aussi essentiel de donner plus de pouvoirs aux différentes Cours des comptes des pays membres afin de pouvoir réaliser de vrais audits des comptes de l'UE et de son administration. Et pour ne pas perdre le contact avec les États membres, les agents de l'UE ne devraient pas être considérés comme des fonctionnaires internationaux, mais payer leurs impôts dans leur pays d'origine.

Il ne s'agit pas, ici, d'une charge contre l'UE, mais du souhait de voir se construire une Europe plus efficace, plus transparente et qui applique à elle-même les principes de bonne gestion.

  1. « Pour une Union européenne bien gérée et transparente », par l'équipe de la Fondation iFRAP et Stéphanie Harand, Société civile, n° 146, mai 2014.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2015-3/administrations-europeennes-une-gestion-a-ameliorer.html?item_id=3455
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