Expert à la fondation IFRAP
Il aurait mieux valu supprimer l'ISF !
Pour récolter 850 millions d'euros dans le cadre d'un processus administratif terriblement complexe, le gouvernement a remplacé l'impôt de solidarité sur la fortune par l'impôt sur la fortune immobilière : une erreur... et un casse-tête pour les contribuables.
Il s'agissait d'une promesse de campagne d'Emmanuel Macron, qui a expliqué être « contre le fait de taxer la réussite » et proposait de réformer l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en supprimant « la part taxée du capital productif, c'est-à-dire ce que vous mettez dans l'économie » tout en continuant de « taxer la rente immobilière ». L'idée? Que la part qui finance l'économie réelle, c'est-à-dire la détention d'entreprises ou d'actions, ne soit plus imposée. Cela a donné, dans le premier budget du gouvernement, adopté le 21 décembre 2017, la suppression de l'ISF et la création de l'IFI, l'impôt sur la fortune immobilière (plus de 1,3 million d'euros de patrimoine), qui est effectif depuis le 1er janvier 2018.
De façon générale, cette nouvelle loi va considérablement embêter les contribuables pour un rendement annoncé de 850 millions d'euros, qui est assez symbolique. La suppression totale de l'ancien ISF aurait été la meilleure solution, et celle qui aurait véritablement convaincu que le pays était prêt à tourner la page d'une fiscalité sur le capital stupide et contre-productive. Au lieu de cela, nous avons une demi-mesure qui va rappeler aux Français que leur pays peut à tout moment revenir à l'ordre ancien qui subsiste dans ses structures. Tout cela pour récolter 850 millions d'euros dans le cadre d'un processus administratif terriblement complexe qui va laisser les contribuables dans la perplexité et l'incertitude et mobiliser des régiments de limiers et de magistrats.
Grande œuvre technocratique
Cette nouvelle loi est, quant à la détermination de l'assiette de la taxe, un inextricable monument digne des plus grandes œuvres de la technostructure de Bercy, et assuré de causer d'infinis maux de crâne à nos frères contribuables potentiels, bien obligés d'en être les déchiffreurs... D'autant plus que le Conseil constitutionnel (dont on aurait pu attendre un recadrage, voire une invalidation) a validé le texte, sauf sur un point mineur concernant la date de prise en compte du démembrement de propriété 1.
Beaucoup de zones d'ombres planent encore sur la transition entre ISF et IFI pour les contribuables concernés et le calcul de ce nouvel impôt, notamment à cause de la grande complexité sur la prise en compte des actions et parts que les assujettis détiennent de façon indirecte à raison « de la fraction de leur valeur représentative de biens et droits immobiliers » (exception faite des actionnaires détenteurs de moins de 10 % des parts, et des biens affectés à une activité opérationnelle ou... faute de pouvoir calculer de bonne foi leur valeur) et du calcul du passif déductible permettant de déterminer l'actif net.
En nous limitant aux points les plus importants et sans détailler, nous notons, entre autres, une difficulté à estimer le montant de leur imposition pour les propriétaires redevables et une méthode de calcul de la fraction imposable très sensible (et donc difficilement fiable).
Les mécanismes prévus par la loi sont fort complexes et vont soulever de nombreuses difficultés pratiques pour les contribuables passibles de l'IFI.
L'évaluation des « immeubles de placement »
Les mécanismes prévus par la loi sont fort complexes et vont soulever de nombreuses difficultés pratiques pour les contribuables passibles de l'IFI, notamment en matière d'évaluation des « immeubles de placement » détenus par des sociétés immobilières et/ou opérationnelles dont ils sont associés. Ainsi, chaque contribuable soumis à l'IFI devra, et ce sous sa responsabilité :
- Déterminer tous les ans si la société (ou le groupe de sociétés) détient des immeubles de placement.
- Estimer tous les ans la valeur vénale : 1. des immeubles de placement et 2. de tous les autres actifs de la société (ou groupe de sociétés), ce qui revient à estimer la valeur vénale de tous les actifs de la société (ou du groupe sur une base consolidée).
- Fixer la fraction imposable de la participation détenue par le contribuable, celle-ci correspondant à la quote-part de la valeur de la participation provenant d'immeubles de placement.
- Affecter et déterminer la dette éventuellement déductible de l'assiette imposable de l'IFI.
- Appliquer ensuite un abattement pour tenir compte des facteurs habituels de décote (décote de minorité, droit de préemption, engagement de conservation à long terme, pacte d'actionnaires contraignant...).
Dans de nombreux cas, les contribuables ne seront pas en mesure d'obtenir les informations nécessaires pour déterminer la fraction imposable de leur participation passible de l'IFI.
Dans de nombreux cas, les contribuables ne seront pas en mesure d'obtenir les informations nécessaires pour déterminer la fraction imposable de leur participation passible de l'IFI, car fréquemment ces informations ne seront tout simplement pas disponibles. Si la société (ou le groupe de sociétés) n'effectue pas d'évaluation annuelle de la valeur vénale de l'ensemble de ses actifs, le contribuable concerné n'aura pas les moyens de procéder à ces évaluations (qui relèvent en tout état de cause d'une mission d'expert) et n'aura pas les moyens d'imposer de telles évaluations à la société dont il est associé (hormis le cas où un associé contrôle ou dirige la société en question). Donc, dans de nombreux cas, le contribuable, de bonne foi, sera dans l'impossibilité d'évaluer correctement la fraction imposable de sa participation passible de l'IFI. Cela revient à dire que la loi met à la charge des contribuables détenant des participations dans des sociétés ou groupes de sociétés propriétaires d'immeubles de placement un travail d'expertise de l'ensemble de leurs actifs, et ce sur une base consolidée en cas de groupe de sociétés.
Le législateur, conscient de ces difficultés, a exclu de l'application de la loi les participations inférieures à 10 %, sauf lorsque la société n'est pas opérationnelle... Inégalité de traitement à tous les échelons ! En outre, la loi contient une disposition étrange prévoyant qu'« aucun rehaussement n'est effectué si le redevable, de bonne foi, démontre qu'il n'était pas en mesure de disposer des informations nécessaires à l'estimation de la fraction de la valeur des parts et actions mentionnées au 2° du présent article représentative des biens et droits immobiliers qu'il détient indirectement ». Disposition véritablement extraordinaire et contraire à l'exigence d'intelligibilité et de prévisibilité de la loi. On aurait pu penser que le Conseil constitutionnel censure cette complication. Au lieu de cela, il s'est borné à affirmer que la phrase même reconnaissant ces défauts... n'était pas inintelligible !
Quid des emprunts ?
On notera aussi, concernant la prise en compte des emprunts, des dispositions dont on ne perçoit pas le bien-fondé. Ainsi un emprunt « in fine » n'est remboursable que par application d'un pourcentage d'amortissement linéaire annuel - ce qui a pour effet de majorer artificiellement la valeur imposable. Ainsi encore du plafond de déduction intégrale d'endettement (60 %) lorsque le patrimoine du contribuable est supérieur à 5 millions d'euros, même lorsque l'endettement est souscrit par une société. Ainsi enfin de la non-déductibilité des emprunts consentis dans le cadre d'un groupe familial, même si ce groupe est étranger au foyer fiscal.
C'est toujours le même problème : la fiscalité est une telle usine à gaz que, de peur que son application soit détournée par une minorité, on en vient à édicter des dispositions balaye-tout qui viennent injustement pénaliser tout le monde.
La suppression (et non la transformation) de l'ISF aurait dû permettre le retour à terme des 200 à 300 milliards d'euros qui ont fui la France à cause de cet impôt.
L'impôt sur la fortune en question
Comme nous l'avons déjà souligné, il aurait fallu supprimer purement et simplement l'imposition sur la fortune. Nous sommes l'un des seuls pays à encore créer de tels impôts. Tout cela parce qu'un jour de 1982, François Mitterrand a décidé de taxer les « riches » pour « aider les pauvres ». Un sparadrap que, depuis lors, aucun président n'a pu décoller, sauf très épisodiquement. L'impôt sur la fortune (IGF puis ISF) est en vigueur, de façon presque continue, depuis l'année 1982. Le nouveau gouvernement dit vouloir agir pour que le capital revienne s'investir dans nos PME, nos TPE et nos territoires, mais propose aujourd'hui une demi-mesure. Qu'on ne s'y trompe pas, si l'IFI va dans le bon sens, il aurait été beaucoup plus simple d'assumer sa suppression totale afin d'éclaircir un peu plus le paysage fiscal français et d'envoyer ainsi un signal fort sur les plans interne comme international. La suppression (et non la transformation) de l'ISF aurait dû permettre le retour à terme des 200 à 300 milliards d'euros qui ont fui la France à cause de cet impôt.
Écarts de fiscalité
Quatre points et demi de PIB séparent la fiscalité du capital en France et en l'Allemagne. La différence d'imposition sur la production liée au capital l'explique en partie, avec 1,6 point de PIB et 36 milliards d'euros d'écart. Mais surtout, ce sont les ménages qui en portent principalement la charge. En effet, les impôts liés au capital des ménages représentent en France 6,2 % du PIB, contre seulement 3,6 % en Allemagne, soit une facture de 59 milliards d'euros en plus.
La France se caractérise en fait par des impôts fonciers très élevés, qui pèsent à la fois sur les entreprises et sur les ménages. Les premières supportent en effet 1,5 point de PIB de plus d'impôts fonciers relativement à leurs concurrentes allemandes, et les ménages 1,1 point de PIB de plus qu'outre-Rhin, soit respectivement 34 et 25 milliards d'euros de surcharge d'imposition à PIB égal. Fidal dénonce par ailleurs le fait que la France soit le seul des pays étudiés à avoir maintenu un impôt sur la fortune 2 et, bien que l'ISF soit supprimé, son remplacement par l'IFI maintient ce problème de compétition. Il se trouve finalement que la fiscalité de l'immobilier est en France deux fois plus élevée que la moyenne des pays étudiés (France, Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie, Espagne et Belgique), avec des taxes et impositions grevant l'acquisition d'un appartement pour un prix de 200 000 euros TTC et sa détention sur une durée de dix ans (à fiscalité constante) de 56 % du prix d'acquisition, contre une moyenne de 28 %.
La France se caractérise en fait par des impôts fonciers très élevés, qui pèsent à la fois sur les entreprises et sur les ménages.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2018-3/il-aurait-mieux-valu-supprimer-l-isf.html?item_id=3640
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