Frédérique LAHAYE

Coanimatrice du pôle logement de Terra Nova.

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Le logement mérite une politique active

S'il est injuste d'accabler de tous les maux la politique du logement en France, il est possible de la rendre plus efficace car il est important d'aider les ménages les plus modestes à se loger, avant tout dans le secteur locatif.

Ce texte a été rédigé avec le pôle logement de Terra Nova.

Pour retrouver les contributions de Terra Nova sur le logement : http://tnova.fr/publications?utf8=%E2%9C%93&theme=logement-et-politique-de-la-ville

Le logement n'est pas un bien de consommation comme un autre. C'est un bien social fondamental, reconnu comme tel par de nombreuses conventions internationales, et encore récemment au sein du Socle européen des droits sociaux ratifié au sommet des chefs d'État et de gouvernement européens du 17 novembre 2017.

Il contribue de manière essentielle à l'épanouissement des personnes, à l'éducation des enfants, à l'employabilité des actifs. C'est, en France, le poste de dépense le plus important des ménages. C'est aussi un investissement, central dans le patrimoine de la plupart des ménages français, hors de portée des revenus les plus modestes sans aide publique.

La politique du logement vise donc d'abord une offre de logements suffisante, de qualité et à coût abordable pour tous. Mais, de fait, elle satisfait aussi des besoins multiformes aussi divers et impactants que la salubrité et la santé, l'accessibilité pour les handicapés, la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, etc.

Des critiques à tempérer

Dans le fonctionnement de l'économie, le logement est un bien immeuble, qui ne répond que très imparfaitement aux conditions d'un marché pur et parfait, mais plutôt à l'économie de la rente. Ce qui appelle une forme de régulation publique. Dans le soutien à l'activité économique, la construction comme la rénovation ou l'entretien sont pourvoyeurs de nombreux emplois non délocalisables, et une politique du logement active atténue les effets des crises conjoncturelles, telle celle de 2008-2009.

C'est pour toutes ces raisons que la France, comme de nombreux pays européens, a depuis des décennies mené de puissantes politiques d'aide au logement.

Il est de bon ton de critiquer la politique du logement en France : elle serait coûteuse (40 milliards d'euros, 2 % du PIB), plus coûteuse que chez nos voisins, pour un résultat souvent qualifié de « crise du logement ». Osons aller à contre-courant de cette analyse paresseuse : la situation du logement en France est dans l'ensemble satisfaisante, comme le montrent par exemple les analyses de l'OCDE.

Ainsi, dans un échantillon de pays comparables (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Autriche, Suède, Espagne), la France dépense plus que la moyenne, en restant loin du Royaume-Uni, mais avec des résultats : la part des coûts de logement dans le revenu disponible est la plus faible de l'échantillon pour les ménages de l'ensemble de la population comme pour les ménages dont les revenus sont inférieurs à 60 % du revenu médian.

Une faiblesse des analyses, mais aussi des politiques menées par l'État, est de ne pas assez prendre en compte les situations propres à chaque territoire.

En fait, une faiblesse des analyses, mais aussi des politiques menées par l'État, est de ne pas assez prendre en compte les situations propres à chaque territoire. Cette notion de territoire est délicate à définir, mais on peut aisément comprendre que les zones définies par les politiques nationales 1 pour adapter les aides publiques aux différents marchés immobiliers sont bien trop réductrices. De même, un objectif national de construction de logements - les 500 000 logements qui reviennent régulièrement comme une invocation - n'a plus vraiment de sens. Il y a des territoires où il faut continuer à construire massivement. C'est le cas de l'Île-de-France, où la situation est exceptionnellement tendue, mais qui est l'arbre qui cache d'autant plus la forêt que c'est là que vivent ceux qui font l'opinion. Mais dans une bonne partie du territoire, tout logement construit génère un logement vacant, comme dans beaucoup de villes centres ; c'est davantage la rénovation du parc existant qu'il faut alors encourager.

Enfin, il est de bon ton de critiquer les aides personnelles au logement 2 en raison de leur augmentation supérieure à la croissance du budget de l'État. Pour autant 3, leur effet inflationniste n'est pas démontré. Les APL ont augmenté d'abord parce qu'elles ont été étendues à tous les ménages dont les revenus sont faibles, ce qui a été une mesure de justice, puis sous l'effet de l'accroissement de la pauvreté qu'elles contribuent à contenir : elles ciblent bien les 25 % de ménages les plus modestes.

Une grande diversité de situations en Europe

Source : OCDE.

Décentraliser la politique du logement

Les politiques de l'habitat doivent être décentralisées en créant des autorités organisatrices de l'habitat principalement à l'échelon intercommunal. La relance de la construction, la lutte contre la ségrégation sociale et la maîtrise de l'urbanisation rendent nécessaire le transfert de l'essentiel des pouvoirs en matière de logement et d'urbanisme de l'État et des communes à un niveau supracommunal. Ce transfert doit s'appuyer sur une réforme de l'intercommunalité, avec l'élection au suffrage universel direct de ses responsables. Il reste un pas important à franchir : transférer aux agglomérations l'octroi des permis de construire.

Cette décentralisation ne serait pas un renoncement de la part de l'État, qui doit conserver une place centrale dans l'organisation de la politique du logement. Mais ce nouveau rôle doit être recentré sur les missions qu'il peut seul exercer : la prospective territoriale en matière d'aménagement du territoire, l'affectation équitable des fonds publics selon les territoires, la préservation des politiques de solidarité à travers les lois Dalo et SRU, les politiques d'hébergement.

S'appuyer sur le parc existant

La politique du logement a pendant longtemps été d'abord une politique de la construction neuve. Aujourd'hui, en dehors des zones très tendues, elle doit en priorité s'appuyer sur le parc existant pour des raisons à la fois sociales, économiques et écologiques.

Aider les ménages modestes à se loger, c'est d'abord les aider à se loger dans le parc existant, car les constructions ne représentent chaque année que 1 % du parc. Cette aide est particulièrement nécessaire pour rendre moins difficile la mobilité géographique pour raison professionnelle 4. Nous proposons d'accroître la rotation dans le parc social et de réduire les droits de mutation, particulièrement élevés en France. Économiquement, intervenir sur le parc existant est justifié par l'augmentation de la vacance dans tous les territoires, mais surtout dans les villes centres des agglomérations de taille moyenne, vacance qui se répercute sur l'appareil de production économique, notamment les commerces. C'est également justifié pour faciliter l'accession à la propriété des ménages à revenus moyens, par exemple les primo-accédants, dans la mesure où les prix de l'ancien sont moins élevés que les prix dans le neuf : le parcours résidentiel en serait facilité. Enfin, aider l'ancien est nécessaire pour des raisons écologiques. Le bâtiment est très émetteur de gaz à effet de serre (GES), et la loi de transition écologique pour la croissance verte fait peser sur le secteur une exigence particulièrement forte : tous les bâtiments devront être « basse consommation » en 2050, ce qui veut dire au moins 500 000 rénovations par an ; un effort particulier doit être fait sur les « passoires thermiques », qui devront avoir disparu en 2025.

Le foncier est la clé de la construction et du renouvellement des villes. Il faut asseoir la taxe foncière sur les terrains non bâtis constructibles sur leur valeur vénale, ce qui suppose de faire aboutir le chantier de la révision des valeurs locatives. Dans un second temps, il faudra mettre en place une planification active pour que le classement en terrain constructible débouche effectivement sur une construction dans un délai bref, sur l'exemple allemand.

Renouveler le rôle des opérateurs dans le secteur locatif

Les politiques publiques nationales du logement devraient se centrer prioritairement sur le secteur locatif, mieux ciblé socialement et plus adéquat en termes de mobilité résidentielle. Un renforcement des structures des opérateurs de logement social, déjà fort constructeurs, doit améliorer leur efficacité de gestion et leur fonction sociale.

Alors qu'aujourd'hui les aides à la construction de logements locatifs passent quasi exclusivement par les investisseurs personnes physiques, les pouvoirs publics devraient tout faire pour inciter les investisseurs institutionnels à revenir dans les zones tendues 5, par exemple en mobilisant une partie de l'épargne salariale et en renforçant l'obligation relative au logement intermédiaire dans les contrats « vie génération » de l'assurance-vie.

Dernier point, les pouvoirs publics devront accompagner les grands changements qui toucheront le logement. Nous sommes probablement à la veille d'une évolution forte, peut-être d'une révolution. En effet, à l'instar des locations touristiques de courte durée, le numérique peut bouleverser le logement.

Premier type de révolution, le numérique peut faciliter les transactions 6. Les données de l'immobilier restent encore en France - notamment pour des raisons fiscales - confidentielles, l'information est très dissymétrique et le marché opaque, donc peu efficient. Il est souhaitable que l'État permette une large ouverture des données et définisse les conditions d'une exploitation commerciale.

Ensuite, le numérique permet le développement d'applications qui faciliteront l'usage mutualisé de locaux collectifs - il en existe déjà pour les parkings. Jusqu'à présent restée confinée à de petits groupes très militants, une demande de services partagés de laveries, conciergeries, espaces de cotravail, crèches familiales intergénérationnelles, salles festives, spas... pourrait se répandre très rapidement, bouleversant la structure même des bâtiments et de la cellule logement, estompant les frontières entre copropriétés et résidences-services, entre propriété et droit d'usage.

Plutôt aider mieux qu'aider moins

Dans le contexte actuel, et pour bénéficier au mieux des évolutions à venir, la ligne de fracture est la suivante. Si l'on pense que l'organisation actuelle du secteur du logement pénalise la compétitivité française en absorbant des impôts mal employés, il faut également que la part du logement dans le budget des ménages diminue. Aider moins le logement aurait des conséquences déstabilisantes sur l'économie et perturbantes sur le corps social. Et, sauf exceptions, cela n'aurait pas d'effet anti-inflationniste. Cela n'empêche pas qu'on peut aider mieux le logement avec des opérateurs plus performants, une meilleure maîtrise de la rente foncière et une organisation plus pertinente des collectivités intervenantes.

Cette lecture positive de la politique du logement « oblige » les gouvernants et l'ensemble du secteur. Il faut innover, s'adapter, encourager les évolutions qui améliorent la qualité du bâti. Bref, aider moins, c'est abandonner la créativité et la responsabilité. Aider mieux, c'est les assumer.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2018-3/le-logement-merite-une-politique-active.html?item_id=3639
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