Jean BOSVIEUX

Économiste, éditeur du site Politiquedulogement.com.

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L'immobilier, poids lourd de l'économie

Le montant de la valeur ajoutée brute de l'immobilier est supérieur à celui de l'industrie et de l'agriculture réunies. Le logement et ses terrains d'assise représentent plus du cinquième du patrimoine national et la moitié de celui des ménages.

Définitions

Le terme « immobilier » recouvre à la fois des biens et des services. Les biens immobiliers sont les bâtiments, résidentiels ou non, qui fournissent des services liés à leur utilisation. Sous ces deux aspects, l'immobilier est générateur d'activités économiques.
Dans les comptes nationaux, les activités relatives à l'immobilier sont donc retracées en deux postes : construction et activités immobilières.
La branche construction regroupe la production de biens : construction de bâtiments, travaux réalisés dans les bâtiments existants, travaux de génie civil 1.
Les activités immobilières englobent les différents services ayant trait à l'immobilier : la location de logements ou de locaux non résidentiels, qui en constitue de loin la plus grande part, et les activités d'agent et de courtier ainsi que la gestion de biens immobiliers. Précisons que, selon les conventions de la comptabilité nationale, toute utilisation de bâtiment a pour contrepartie un loyer, explicite (ou effectif) lorsque le local est loué, implicite (ou fictif) lorsqu'il est utilisé par son propriétaire. Pour ce qui concerne les logements, les propriétaires occupants étant largement majoritaires en France, la part des loyers implicites est prépondérante.
L'immobilier est également un actif physique et, à ce titre, il constitue l'un des éléments du patrimoine national.
Le poids de l'immobilier dans l'économie peut s'évaluer selon différents critères : en termes de production, de valeur ajoutée, de patrimoine, mais aussi d'emploi ou de contribution aux recettes fiscales.

Près de 20 % de la valeur ajoutée

En 2015, la production du secteur immobilier est de 537 milliards d'euros. Sa part dans l'ensemble de la production des branches est de 14 %, dont 6 % pour la construction et 8 % pour les activités immobilières. Elle est relativement stable dans le temps, avec depuis 1999 de faibles fluctuations, comprises entre 12,7 % et 14 %, sans qu'il soit possible de distinguer une quelconque tendance à la hausse ou à la baisse.

Pour apprécier le poids du secteur, il est toutefois préférable de l'évaluer en termes de valeur ajoutée brute, celle-ci pouvant être rapportée au PIB 2. Le montant de la valeur ajoutée brute de l'immobilier, 344 milliards d'euros au total, est supérieur à celui de l'industrie et de l'agriculture réunies (308 milliards), mais largement inférieur à celui des autres services marchands (839 milliards). Son poids en valeur ajoutée brute est plus élevé qu'en termes de production : 17,7 %, qui se décomposent en deux parts inégales, soit 4,9 % pour la construction et 12,8 % pour les activités immobilières. Les fluctuations sont plus marquées que pour la production, avec, depuis 1999, un minimum de 15,4 % et un maximum de 19,1 %.

La valeur ajoutée ne représente qu'un peu plus de 40 % de la production pour la branche construction, alors qu'elle dépasse 80 % pour la branche activités immobilières. Cette différence tient aux caractéristiques des deux branches. La première, qui s'apparente à une activité industrielle, intègre une forte proportion de consommations intermédiaires (matériaux, composants, énergie, équipements des bâtiments, services divers), alors que la seconde est une activité de service, correspondant pour l'essentiel à l'utilisation de logements et de locaux non résidentiels, qui ne nécessite que très peu d'entrées intermédiaires.

Des évaluations incertaines

L’évaluation de la production et de la valeur ajoutée dans les comptes nationaux est entachée de fortes incertitudes, du fait notamment du poids important des loyers implicites des logements occupés par leur propriétaire dans ces agrégats.

  1. Incertitudes tenant au poids important des loyers implicites. La méthode d’estimation se fonde sur les loyers observés sur le marché : à chaque logement occupé par son propriétaire est attribué un loyer en fonction de ses caractéristiques. Or, les caractéristiques observées sont assez loin de rendre compte de la dispersion effective des loyers. De plus, le poids du locatif privé est dans la plupart des pays minoritaire, parfois marginal, comme en Espagne et, de façon plus générale, dans les pays méditerranéens.
  2. Les loyers du parc social sont comptabilisés au prix effectif et non au prix du marché. Ils sont donc susceptibles de varier fortement en fonction de décisions politiques. Ainsi, les mesures de réduction des aides personnelles mises en place par la loi de finances initiale pour 2018, qui auront comme contrepartie une baisse équivalente des loyers, devraient entraîner une baisse de la masse des loyers, sans que pour autant la qualité du service de logement fourni ait changé en quoi que ce soit.
  3. L’évolution à court terme en volume est difficile à mesurer. L’évaluation des loyers repose en effet sur l’enquête logement de l’Insee, qui a lieu selon une périodicité variable (quatre à six ans jusqu’à présent). Entre les enquêtes, l’évaluation pose problème : elle repose sur l’enquête loyers et charges de l’Insee, qui observe l’évolution des loyers à qualité constante. Il faut donc réinjecter un effet de qualité dont l’évaluation est très problématique. Cette difficulté a donné lieu à d’importantes révisions dans le passé.
  4. L’évaluation de l’activité de construction est également entachée d’incertitude du fait du travail au noir et de l’autoproduction, notamment dans les travaux sur les logements existants.

Moins de 10 % des emplois

Le poids de l'immobilier est nettement plus faible en termes d'emploi, mais là encore il est nécessaire de distinguer les deux branches pour en comprendre les raisons. Le volume d'emploi n'est en effet pas en rapport avec le volume de la production, et encore moins avec celui de la valeur ajoutée.

En effet, si la construction fournit entre 6,5 % et 7 % des emplois, les activités immobilières n'en représentent que moins de 2 %. La raison principale tient aux spécificités de l'activité de location de logements. Le parc locatif est en effet détenu à plus de 65 % par des particuliers, dont la plupart en assurent eux-mêmes la gestion locative et ne sont pas comptabilisés dans les statistiques sur l'emploi. Ne sont donc pris en compte que les gestionnaires professionnels, auxquels recourent environ un tiers des bailleurs. De plus, le temps consacré à la gestion locative est faible, de sorte qu'une même personne peut gérer de nombreux logements. L'essentiel de l'emploi de la branche est donc le fait des agences immobilières, et notamment de leurs activités d'intermédiation dans les transactions immobilières et la gestion de copropriétés.

Au total, l'immobilier fournit deux fois moins d'emplois que l'industrie et l'agriculture réunies.

Comme l'illustre le graphique ci-contre, la part de l'immobilier dans l'emploi total est loin d'être stable. Après une période de croissance continue pendant la période de la reconstruction jusqu'à un maximum d'environ 10 % vers 1970, on observe en effet une lente décroissance qui, malgré quelques sursauts, s'est poursuivie jusqu'à la fin du siècle pour se redresser jusqu'en 2008 et décliner depuis lors. Ces fluctuations concernent pour l'essentiel la branche construction.

Part de l'immobilier dans l'emploi total (en équivalent temps plein)

Source : Insee.

Le patrimoine français en 2016

Source : comptes nationaux, base 2010, Insee.

Autre différence : alors que les activités immobilières emploient plus de femmes que d'hommes, les emplois de la construction sont, dans leur immense majorité, masculins.

Fin 2016, l'immobilier, c'est-à-dire les constructions et leurs terrains d'assise, représentait environ 22 % du patrimoine national brut et plus de la moitié (53 %) de celui des ménages.

Un élément essentiel du patrimoine des ménages

Fin 2016, l'immobilier, c'est-à-dire les constructions et leurs terrains d'assise, représentait environ 22% du patrimoine national brut et plus de la moitié (53 %) de celui des ménages. L'essentiel du patrimoine immobilier est constitué de logements et des terrains qui les supportent, la part des constructions non résidentielles étant largement minoritaire.

La valeur du patrimoine immobilier, de même que son poids dans l'ensemble du patrimoine, varient dans des proportions importantes, en fonction notamment de l'évolution des prix. Ainsi, la forte hausse de la période 1996-2008, au cours de laquelle les prix nominaux ont été multipliés par 2,5, a entraîné une augmentation considérable de sa valeur et, par contrecoup, de l'ensemble du patrimoine des ménages.

Ce phénomène s'est traduit par une augmentation apparente de la richesse des ménages, mais cette interprétation est contestée, car les loyers n'ayant pas, loin s'en faut, progressé aussi vite, les rendements locatifs ont fortement diminué.

Des différences notables avec les autres pays européens

Dans l'ensemble des activités économiques, la construction occupe une place comparable, autour de 5 %, dans les grands pays européens, à l'exception de la Pologne où elle frise 8 %. La France se situe, à cet égard, à un niveau très proche de la moyenne européenne.

Il n'en va pas de même des activités immobilières, dont le poids varie à peu près du simple au double entre les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Les écarts tiennent pour l'essentiel au niveau des loyers. Au-delà des incertitudes qui, nous l'avons vu, affectent leur évaluation (voir encadré ci-dessous), ils sont en effet parfaitement explicables : les loyers du Royaume-Uni sont les plus chers d'Europe, et la France suit d'assez près les Pays-Bas, la Belgique et l'Allemagne ont des loyers bien inférieurs.

Part de l'immobilier dans la valeur ajoutée brute en 2015 dans quelques pays européens

Source : Eurostat.

Ces écarts sont le résultat de politiques du logement fortement différenciées. Mettons à part le cas, difficilement explicable autrement que par des incertitudes statistiques, de l'Italie. Ailleurs, alors que le secteur locatif social a, dans l'optique libérale dont le parangon est le Royaume-Uni, une fonction résiduelle, il est dans la vision ordo-libérale allemande qui sous-tend la politique du logement de ce pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (et dont se sont inspirés plusieurs pays d'Europe du Nord), un moyen de régulation du marché locatif dans son ensemble. II n'y a d'ailleurs plus, à proprement parler, de secteur locatif social en Allemagne, l'ensemble du marché locatif étant régi par une législation unique. La France se situe dans une position intermédiaire et, au-delà des débats sur la mixité sociale et les plafonds de ressources des ménages éligibles à la demande de logements HLM, glisse vers une situation où le secteur locatif social accueille une part sans cesse croissante de ménages très modestes.

Parmi les pays européens, c'est en France que le patrimoine immobilier net par ménage est le plus élevé : 122 000 euros, soit environ 10 % de plus qu'en Belgique, 20 % de plus qu'en Allemagne, et surtout près de 70 % de plus qu'au Royaume-Uni.

En termes de patrimoine net, la comparaison fait apparaître des différences entre pays plus accusées encore. C'est en France que le patrimoine immobilier net par ménage est le plus élevé : 122 000 euros, soit environ 10 % de plus qu'en Belgique, 20 % de plus qu'en Allemagne, et surtout près de 70 % de plus qu'au Royaume-Uni. Plusieurs facteurs se combinent pour expliquer ces différences : l'importance du parc de logements (la part de résidences secondaires est plus importante en France qu'ailleurs), les prix immobiliers et le niveau de l'endettement. Malgré l'absence de données sur les patrimoines bruts 3, on peut avancer sans grand risque d'erreur que la différence entre la France et le Royaume-Uni, où les prix de l'immobilier sont les plus élevés, tient à la part de l'endettement, bien plus importante chez nos voisins d'outre-Manche que dans notre pays, où les propriétaires ayant un emprunt en cours de remboursement sont très largement minoritaires parmi l'ensemble des propriétaires.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2018-3/l-immobilier-poids-lourd-de-l-economie.html?item_id=3628
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