Président de l'Institut Choiseul, directeur de la revue Géoéconomie et éditorialiste au Nouvel Économiste.
Traité transatlantique : un jeu de dupes
Le traité en négociation, censé apporter un petit surcroît de croissance à l'Union européenne, lui fait en réalité courir un risque non négligeable de perte de souveraineté économique.
On en parle peu. Les discussions se font discrètes. Pour autant, la négociation d'un vaste accord de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis va bon train. L'objectif est de constituer un marché commun de plus de 800 millions de consommateurs, correspondant à un ensemble représentant grossièrement la quasi-moitié du PIB mondial et le tiers des échanges commerciaux. Un essai de plus en matière de création de zone de libre-échange ? Non, sans qu'on en prenne conscience, puisqu'il se négocie dans la discrétion la plus totale, ce « Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement » - puisque c'est ainsi qu'on le nomme - a donné lieu tout au long des années 2000 à de multiples réunions entre États mais aussi avec les grandes multinationales (les fameux « dialogues transatlantiques ») pour en préciser les caractéristiques de fond. Il a aussi aujourd'hui son agenda officiel puisque des négociations se sont formellement ouvertes entre Bruxelles et Washington en juillet 2013 avec pour objectif la conclusion rapide, à horizon 2015, d'un accord qui, il faut bien le reconnaître, risque de changer radicalement notre mode de vie.
Les barrières non tarifaires en question
Ce futur traité porte moins sur les droits de douane entre Europe et États-Unis, ceux-ci étant déjà faibles, que sur les normes, réglementations diverses et autres barrières non tarifaires qui, généralement, entravent la fluidité des échanges.
Ces normes et réglementations propres à tel ou tel pays en Europe - comme l'interdiction des OGM, la protection des données numériques personnelles, la promotion d'un cinéma national ou encore l'aide de l'État en faveur de l'accès pour tous à la santé ou à l'éducation - constituent autant d'éléments de sa culture, de son parcours historique, de sa sensibilité à telle ou telle problématique sociétale, économique ou environnementale, et représentent, en fin de compte, un élément constitutif de son identité.
Or, c'est bien tout cela que l'on risque de démanteler. L'introduction d'un mécanisme indépendant de règlement des différends, s'il se confirme, comme il semble que ce soit le cas puisque Bruxelles aurait donné son accord, permettra à une entreprise (nécessairement multinationale et américaine) de poursuivre un État (européen) au motif que la politique de ce dernier pourrait contrecarrer les ambitions commerciales de la première. Illustration caricaturale peut-être, mais assez proche de ce que pourrait être la réalité : telle entreprise américaine du tabac pourra contraindre un État européen à revoir à la baisse sa politique antitabac au motif qu'elle limite les perspectives de vente de ladite entreprise. Sans que l'État européen en question ait véritablement son mot à dire puisque la décision sera prise ailleurs, hors de son territoire. Cela constitue indubitablement une régression considérable en termes de souveraineté économique mais aussi d'expression démocratique.
Certes, pour présenter ce futur accord, comme toujours, on met en avant le gain de PIB annuel qui en résulterait (un peu moins de 0,5 %). On nous dit aussi qu'il permettrait de créer plusieurs millions d'emplois. Ce type d'argument avait par exemple été avancé lors de la création de la zone de libre-échange nord-américaine... et c'est à une destruction massive d'emplois que l'on a assisté. Ne soyons pas naïfs. La liberté du commerce est une bonne chose, mais, pour qu'elle soit véritablement profitable à l'ensemble des protagonistes, encore faut-il que les différents partenaires puissent être plus ou moins sur un pied d'égalité.Dans le cas qui nous intéresse, c'est tout le contraire qui prévaut. Les États-Unis ont conscience de leurs intérêts nationaux. Washington parle d'une seule voix lorsque Bruxelles a du mal à conjuguer les intérêts parfois contradictoires des membres de l'UE. Surtout, les États-Unis ont une véritable vision industrielle, que renforce une ambition politique planétaire. Pour sa part, l'excellence industrielle européenne se réduit, en schématisant le propos, à l'outil allemand...
L'article que nous publions ici est paru dans Le Nouvel Économiste du 29 avril 2014. Le chapeau et l'intertitre ont été ajoutés par Constructif.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2015-3/traite-transatlantique-un-jeu-de-dupes.html?item_id=3467
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