Patrick FESTY

Chercheur émérite à l'Institut national d'études démographiques (Ined).

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Un siècle d'évolution démographique

Après s'être notablement accrue entre 1950 et 2015, la population de l'Union européenne devrait stagner d'ici à 2050. Ce ralentissement démographique s'accompagnera d'un très sensible vieillissement des populations : les trois quarts des Européens auront une espérance de vie de 85 ans à cet horizon.

En 1950, l'Union européenne n'existait pas encore, mais les pays qui la constituent aujourd'hui comptaient près de 380 millions d'habitants. Ce chiffre est passé à 510 millions en 2015, soit un accroissement de plus d'un tiers en soixante-cinq ans mais il pourrait se stabiliser à ce niveau en 2050, c'est-à-dire stagner au cours des trente-cinq prochaines années. C'est un changement de cap décisif dans l'évolution de la population européenne 1.

Dans le même temps, la part des populations âgées n'aura cessé d'augmenter au sein des mêmes pays. La proportion des personnes âgées de 65 ans ou plus était inférieure à 9 % en 1950, mais elle a doublé depuis et va continuer inéluctablement à progresser, jusqu'à approcher peut-être 30 % en 2050. Un vieillissement de la population accompagne donc la croissance de la population européenne depuis le milieu du XXe siècle et accompagnera la stagnation numérique qui s'annonce d'ici à 2050.

Comment les phénomènes qui concourent à l'évolution démographique — fécondité, mortalité, migration — expliquent-ils ces tendances générales et cette inflexion ? Et comment se différencient ces phénomènes au sein de l'espace européen, quand on distingue les pays de l'Ouest, d'où est venue pour l'essentiel l'initiative européenne dans les années 1950, ceux du Nord puis du Sud, qui les ont rejoints ensuite, enfin ceux de l'Est, vers qui s'est fait finalement l'élargissement des années 2000 ?

Dans ces tendances longues, les migrations jouent un rôle modeste. On sait en particulier que l'immigration, même importante, ne saurait infléchir le cours du vieillissement des populations européennes. Depuis le milieu du XXe siècle, l'évolution majeure concerne l'Europe du Sud, initialement région d'émigration, devenue région d'immigration. C'est la seule partie du continent où l'impact de l'immigration sur la croissance démographique soit substantiel depuis 2000. Dans la suite, nous nous attachons au rôle de la mortalité et de la fécondité.

Mortalité, fécondité : maîtriser sa vie

Les pays de l'Ouest, du Nord et du Sud dessinent une seule et même tendance au progrès continu dans la lutte contre la mortalité. L'espérance de vie à la naissance, qui était comprise entre 65 et 70 ans en 1950-1955, est aujourd'hui supérieure à 80 ans. C'est une évolution positive d'autant plus remarquable qu'elle ne donne aucun signe d'essoufflement à mesure qu'on s'approche de ce qu'on a longtemps considéré comme des limites. Des chercheurs ont montré que, depuis un siècle et demi, la durée de vie dans les pays les plus avancés n'avait cessé de se prolonger au rythme d'environ un trimestre par an et avait continuellement dépassé les pronostics les plus optimistes.

D'où l'extrapolation vers des niveaux sans cesse plus élevés pour le XXIe siècle, qui pourrait amener les trois quarts de l'Europe vers 85 ans d'espérance de vie en 2050. L'Europe du Sud, légèrement en retard sur le Nord et l'Ouest dans les années 1950, a comblé ce retard en un quart de siècle avant de prendre un léger avantage aujourd'hui, pendant que l'Europe du Nord parcourait le chemin inverse. Mais ce sont là des nuances.

En revanche, la position de l'Europe de l'Est se distingue nettement des trois autres régions, une quasi-stagnation de l'espérance de vie pendant les dernières décennies du socialisme d'État ayant creusé l'écart avec le reste du continent. Depuis les années 1990, la marche en avant a repris sans que le retard sur les autres régions soit en cours de comblement.

La « révolution cardio-vasculaire » a joué un rôle essentiel dans ces progrès de l'espérance de vie au nord, à l'ouest et au sud de l'Europe, les innovations médicales se combinant aux changements de comportements (meilleure hygiène de vie, alimentation plus saine). En 1985, plus rien ou presque ne distinguait ces trois zones, qui ont ensuite connu une amélioration continue, notamment grâce à la lutte contre la mortalité par cancer devenue de plus en plus efficace (campagnes de prévention, adoption de politiques de lutte contre le tabagisme...). C'est presque exclusivement aux grands âges que des progrès substantiels peuvent désormais être réalisés.

Tout autre est la situation dans l'est de l'Europe. Durant les années 1970 et 1980, les pays socialistes frappés par la crise et la dégradation du système de santé publique n'ont guère profité de la réduction de la mortalité cardio-vasculaire. En outre, au début des années 1990, l'augmentation de la consommation d'alcool, en particulier par la population masculine, a contribué au déclin de l'espérance de vie. Depuis 1995, la durée de vie moyenne augmente à nouveau à l'est, les progrès étant quasiment parallèles dans les quatre régions.

Dans un passé ancien, les gains en espérance de vie avaient eu leur origine essentielle dans le recul de la mortalité des jeunes enfants. Il en était résulté, de façon paradoxale, un rajeunissement de la population lié à un allongement de la vie moyenne. Depuis le milieu du XXe siècle, c'est la baisse de la mortalité aux âges avancés qui est essentiellement responsable de la prolongation de l'espérance de vie. Il en résulte, de façon logique, un vieillissement de la population qui vient renforcer celui que cause toujours la baisse de la fécondité.

FIGURE 1. ESPÉRANCE DE VIE À LA NAISSANCE (EN ANNÉES)

Source : évolutions observées et projetées d'après la Révision 2012 des Perspectives de la population mondiale des Nations unies.

Avec une espérance de vie élevée et en progression constante, une fécondité de l'ordre de 2,1 naissances par femme assure, à terme, une stabilisation de l'effectif de la population au-dessus de 2,1, la population s'accroît, en dessous, elle décroît. Depuis le milieu du XXe siècle, la fécondité est passée partout en Europe en dessous de 2,1 enfants par femme. Le mouvement a débuté dans les années 1960 à l'Ouest et au Nord, dix ans plus tard au Sud, trente ans plus tard à l'Est, où la baisse a été un temps retardée par des politiques natalistes imposant des restrictions à la pratique de la contraception et de l'avortement. La phase de recul a duré quinze à vingt ans dans chaque région. Elle a correspondu à une période de diffusion rapide des moyens modernes de maîtrise de la fécondité partout en Europe, quoique sous des formes variables d'un pays à l'autre.

Depuis lors, une stabilisation est partout perceptible, mais à des niveaux différents : 1,8 naissance par femme au Nord, 1,6 à l'Ouest, 1,3 au Sud et à l'Est. Pour mieux comprendre ces disparités de niveaux ou de tendances, il faut sans doute prendre en compte les transformations des rapports de sexes, qu'on peut schématiser en deux temps bien distincts. Un meilleur équilibre entre hommes et femmes s'est d'abord établi dans le domaine de l'emploi, le taux d'activité des femmes s'accroissant en réponse aux progrès de l'instruction, à la baisse de la fécondité et au prolongement de l'espérance de vie, sans que les hommes prennent une part équivalente dans la sphère privée. D'où une pression sur les familles. Les bas niveaux actuels de fécondité, en particulier dans le sud de l'Europe, en seraient la conséquence. Dans un second temps, l'équilibre entre les sexes s'améliore dans la sphère privée, en particulier dans les pays du Nord : travaux au sein du ménage, vie de couple et de famille, soins aux personnes dépendantes. Les familles sont renforcées. Une implication plus large des hommes a pour conséquence une plus grande égalité des sexes, mais aussi une plus forte fécondité.

Cette interprétation des évolutions et des niveaux de la fécondité européenne n'est pas exclusive d'une lecture sociétale et institutionnelle, qui met par exemple l'accent sur l'accueil réservé à l'enfant et les facilités données aux couples pour concilier vie familiale et professionnelle. Au sein de l'Europe occidentale, le contraste entre la fécondité relativement élevée en France et celle nettement plus basse en Allemagne est aussi marqué qu'entre le nord et le sud du continent.

Les pronostics sont plus fragiles ici qu'en matière de mortalité. S'appuyant sur les analyses précédentes, les experts des Nations unies envisagent une stabilisation durable de la fécondité au Nord et une convergence progressive des autres régions vers ce niveau.

FIGURE 2. INDICE SYNTHÉTIQUE DE FÉCONDITÉ (NOMBRE DE NAISSANCES PAR FEMME)

Source : évolutions observées et projetées d'après la Révision 2012 des Perspectives de la population mondiale des Nations unies.

Ralentissement de la croissance démographique

Le recul continu de la mortalité compensant pour un temps la baisse de la fécondité, la population européenne a continué à s'accroître jusqu'à aujourd'hui, globalement et dans chaque région, sauf à l'Est. L'apport migratoire joue aussi un rôle de soutien, en particulier dans les pays méridionaux. La spécificité des anciens pays socialistes tient avant tout à une mortalité moins favorable qu'ailleurs.

Mais les conséquences d'une fécondité basse s'inscrivent dans le futur et se marquent par une baisse des effectifs de population partout, sauf en Europe du Nord. À l'Ouest, les nombres continueraient à augmenter pendant deux décennies, mais de plus en plus lentement, avant d'amorcer un recul. Au Sud, la baisse est imminente à l'Est, elle ne fait que s'accentuer. En 2050, la population des pays de l'Est aurait reculé de 15 % par rapport à ce qu'elle était à la chute du communisme.

Si on voulait se convaincre du rôle essentiel que joue la fécondité dans ces évolutions numériques, la comparaison entre la France et l'Allemagne servirait de démonstration. En 2015, la France compte 65 millions d'habitants, l'Allemagne 18 millions de plus en 2050, les deux pays auraient le même effectif de population, 73 millions d'habitants, en progression de 8 millions pour le premier, en recul de 10 millions pour le second.

La tonalité générale est donc à une stagnation ou une diminution de la population en cours de généralisation dans les trente-cinq ans à venir, mais des variations autour de la moyenne sont notables.

Le mouvement est d'autant plus remarquable qu'il s'appuie sur des projections plutôt favorables à la croissance des effectifs : une espérance de vie en progression continue et, surtout, une fécondité en reprise pour une convergence européenne vers 1,8 naissance par femme. Dans l'hypothèse alternative où la fécondité se stabiliserait aux bas niveaux actuels, les reculs des effectifs de population seraient partout, à terme, nettement accentués.

FIGURE 3. POPULATION TOTALE (EN MILLIERS D'HABITANTS)

Source : évolutions observées et projetées d'après la Révision 2012 des Perspectives de la population mondiale des Nations unies.

Renversement de tendance, disparités régionales des évolutions d'effectifs, ces caractéristiques des populations dans leur ensemble contrastent avec ce qui concerne les personnes les plus âgées. Continuité et uniformité sont ici de mise. L'élargissement de la part des personnes âgées de 65 ans ou plus, déjà noté pour le continent, se vérifie dans chaque région, au passé depuis 1950 et au futur jusqu'en 2050. Entre les deux périodes, l'accélération est systématique. Le vieillissement des populations traverse l'Europe.

Un vieillissement général des populations

Même dans la région Nord, où le maintien d'une fécondité relativement élevée freine le mouvement, la part des personnes âgées est passé de 10 % à 18 % entre 1950 et aujourd'hui, et elle passera à 24 % en 2050. Même dans la région Est, où c'est le retard dans la prolongation de l'espérance de vie qui atténue la tendance au vieillissement, les proportions sont passées de 6 % à 16 % dans un premier temps, et elles atteindront 28 % à l'avenir après une forte accélération.

La nuance vaut surtout pour le futur : accélération du vieillissement quand la fécondité est basse à l'est et au sud du continent ralentissement à partir de 2035 (mais prolongation de la hausse tout de même) quand la fécondité reste relativement élevée à l'ouest et au nord. Illustration du même principe au niveau national : en 2050, la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus atteindra 33 % en Allemagne (comme dans les pays méridionaux) ce sera seulement 26 % en France (à peine plus qu'en Europe du Nord). L'écart n'est aujourd'hui que de deux points (respectivement 21 % et 19 %). Les deux populations seront touchées par le vieillissement, mais l'Allemagne plus fortement que la France.

FIGURE 4. PROPORTION DE POPULATION ÂGÉE DE 65 ANS ET PLUS (%)

Source : évolutions observées et projetées d'après la Révision 2012 des Perspectives de la population mondiale des Nations unies.

  1. Les données chiffrées ont été calculées à partir de la Révision 2012 des Perspectives de la population mondiale des Nations Unies. Le regroupement des pays de l'Union européenne en régions suit la classification des Nations unies, sauf pour Chypre que nous avons classée en Europe du Sud plutôt qu'en Asie de l'Ouest.
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