Michel LESAGE

Député socialiste des Côtes-d'Armor, membre de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale et président du groupe d'études sur la politique de l'eau.

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Rénover l'approche française de la gouvernance

Le « modèle » français de l'eau a permis des avancées, mais il a aujourd'hui atteint certaines limites. Si les récentes lois de décentralisation ont clarifié la répartition des compétences, c'est l'État qui doit être le véritable pilote de la politique de l'eau, et la création de l'Agence française pour la biodiversité contribuerait à lui en donner les moyens.

Le modèle français de l'eau a été, à son origine, innovant par son approche (les bassins hydrographiques), ses principes fondamentaux (récupération des coûts, principe « pollueur-payeur »), sa gouvernance (comités de bassin, agences de l'eau...) et son système de financement (les redevances). Pourtant, la France a été condamnée par deux fois, en 2013 et en 2014, par la Cour de justice de l'Union européenne, parce que la qualité de l'eau ne cesse de se dégrader.

Tous les enjeux liés à l'eau en France (qualité, usage...) et les problèmes rencontrés relèvent de questions de gouvernance : fragmentation territoriale et institutionnelle, multiplication des acteurs et des compétences, gouvernance pluri-niveaux, manque de clarté dans la définition des rôles et des responsabilités, allocation des usages contestée... Il est donc indispensable de repenser la gouvernance des territoires.

Un échelon territorial réorganisé

C'est bien au niveau des territoires que la gouvernance doit être améliorée. En effet, l'eau y est très impactée par les politiques publiques menées, qui sont interdépendantes : économie, agriculture, énergie, tourisme, habitat, transport, aménagement de l'espace, utilisation des sols, etc. Ces domaines ne peuvent être dissociés.

Il est donc indispensable de créer les conditions d'une réelle gestion intégrée de l'eau.

La nouvelle étape de la décentralisation engagée depuis 2012 permet la nécessaire mobilisation des territoires. Ainsi, les récentes lois de décentralisation ont fait évoluer la répartition des compétences liées à l'eau :

  • La clause de compétence générale, qui habilitait les collectivités à se saisir de toute question intéressant un intérêt public local suffisant, est désormais supprimée pour les départements et les régions.
  • Les communes sont compétentes en matière de distribution d'eau potable et d'assainissement des eaux usées et le seront à dater du 1er janvier 2018 en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi). La loi organise par ailleurs le transfert de ces compétences aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre à l'horizon 2020.
  • Le département est compétent pour déterminer et mener une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public d'espaces naturels sensibles. Il est également chargé de l'aide à l'équipement rural et de la mise à disposition des communes et des EPCI à fiscalité propre d'une assistance technique, en particulier dans le domaine de l'assainissement, de la protection de la ressource en eau, de la restauration et de l'entretien des milieux aquatiques. La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République permet enfin au département de contribuer au financement des projets dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par les communes ou leurs groupements, à leur demande.
  • La région élabore en collaboration avec l'État le schéma régional de cohérence écologique (SRCE) mettant en œuvre la trame verte et bleue ce schéma a vocation à intégrer le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires. La région est également chargée de gérer les fonds européens. De plus, lorsque l'état des eaux de surface ou des eaux souterraines présente des enjeux sanitaires et environnementaux justifiant une gestion cohérente des différents sous-bassins hydrographiques de la région, le conseil régional peut se voir attribuer tout ou partie des missions d'animation et de concertation dans le domaine de la gestion et de la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques, par décret, à sa demande et après avis de la conférence territoriale de l'action publique.
  • En application du titre I de l'article L. 211-7 du code de l'environnement, les collectivités ou leurs groupements peuvent entreprendre l'étude, l'exécution et l'exploitation de tous travaux, actions, ouvrages ou installations présentant un caractère d'intérêt général ou d'urgence, le plus souvent après déclaration d'intérêt général et enquête publique, dans le cadre du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage), s'il existe, et visant des domaines d'intervention précisément énumérés.

La nouvelle organisation territoriale de la République permet donc de clarifier la gouvernance dans le domaine de l'eau notamment. Ce qui devrait la rendre plus efficace.

Se conformer au droit européen grâce à l'impulsion de l'État

Pour respecter les directives européennes liées à l'eau, l'État doit être le véritable pilote de la politique de l'eau. Un État qui pilote cette politique, c'est un État qui assume sa fonction d'anticipation, organise le débat démocratique sur les grandes questions liées à l'eau, fixe les objectifs et est le garant de la mise en oeuvre des moyens pour les atteindre. C'est aussi un État qui assume ses missions régaliennes de police de l'eau et qui donne à la puissance publique les moyens de la connaissance, de l'analyse, de l'expertise, de la recherche et de l'ingénierie pour agir. En ce sens, la création de la future « agence française pour la biodiversité » (AFB) pourrait constituer une partie de la solution.

Elle est prévue par le titre III du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 24 mars 2015. Ce texte a été examiné en janvier 2016 par le Sénat.

Il s'agit, par la création de cette agence, de doter la France d'un opérateur intégré en matière de milieux aquatiques, marins et terrestres, issu du rapprochement d'opérateurs existants. Forte de 1 200 agents répartis sur l'ensemble du territoire, l'agence appuiera les services de l'État dans la gestion des espaces naturels, la police de l'eau et l'action internationale. Elle organisera la connaissance en matière de biodiversité, sensibilisera les Français à ces questions et participera à la formation des acteurs.

Le texte ne modifie pas la répartition des compétences entre échelons de collectivités. En revanche, le gouvernement a proposé d'élargir les missions des agences de l'eau à deux nouveaux domaines, la mer et la biodiversité. Les agences de l'eau financent déjà des actions tournées vers la biodiversité aquatique et le lien entre la terre et la mer, à hauteur d'environ 200 millions d'euros par an. L'évolution proposée permettrait d'aller plus loin dans l'intégration des politiques de l'eau, de la biodiversité et du milieu marin, génératrice de cohérence dans la mise en œuvre de ces politiques publiques. La politique de l'eau ne pourra atteindre l'objectif de « bon état des masses d'eau » sans préserver et restaurer la biodiversité aquatique, ni sans agir sur la biodiversité terrestre ou maritime. Les pollutions qui touchent les milieux sont les mêmes.

Afin de favoriser les synergies entre les politiques de l'eau et de la biodiversité, l'élargissement des missions des agences de l'eau devra s'accompagner d'une évolution de leurs instances de gouvernance. Il s'agit d'y intégrer des représentants des acteurs de la biodiversité. Par souci de réciprocité, une réflexion visant à mieux représenter les acteurs de la politique de l'eau et des bassins au sein de la gouvernance de la biodiversité et de la future AFB est en cours.

La création de l'AFB consacrerait une approche fonctionnelle et dynamique des politiques publiques en matière de biodiversité, parachevant un processus lancé lors du Grenelle de l'environnement. Il est désormais essentiel que le Parlement poursuive l'examen du projet de loi qui la porte et que la loi soit adoptée avant l'été 2016, afin que la création de l'AFB soit effective au 1er janvier 2017.

La clarification des compétences territoriales et la création d'une agence incluant le domaine de l'eau constitueraient des avancées substantielles pour rénover notre modèle. Mais il ne faut pas oublier l'enjeu du financement de l'eau, car les déséquilibres structurels actuels ne sont pas tenables à terme : des recettes qui stagnent et des coûts qui ne cessent d'augmenter, du fait notamment de la prise en compte des problèmes de pollution ou encore d'inondation. Aussi, l'enjeu de la durabilité et de la gestion intégrée des ressources en eau doit être reconsidéré, les périmètres et les financements des deux cycles de l'eau repensés, et il faut que soit clarifié ce qui relève de l'impôt et ce qui relève de la facture d'eau. Un débat national approfondi pourrait s'engager sur ces questions.

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