Ambassadeur du numérique dans le bâtiment, président du comité de pilotage du Plan de transition numérique.
La clé de la maquette numérique
La modélisation des données du bâtiment associée à la maquette numérique constitue une des principales voies d'innovation pour le secteur selon Bertrand Delcambre. À tous les acteurs de se l'approprier.
Quels sont les principaux outils numériques qui devraient se développer dans le bâtiment ?
Bertrand Delcambre. La maquette numérique est l'innovation numérique majeure dans ce secteur car elle a un impact potentiel sur tous les métiers. Il s'agit d'un véritable avatar virtuel attaché à l'ouvrage, qui contient à la fois ses propriétés géométriques et des renseignements sur la nature de tous les objets utilisés (composition, propriétés, etc.). Cet outil est en passe de modifier profondément l'ensemble des processus de conception/construction, de maintenance et d'exploitation des bâtiments.
Le BIM (building information modeling, ou « modélisation des données du bâtiment ») s'impose comme la méthode de travail fondée sur la collaboration autour d'une maquette numérique. Cette maquette s'enrichit des apports des différents intervenants sur l'ouvrage, de la conception à la construction, et de la réception à la fin de vie du bâtiment. Elle permet ainsi à toutes les parties prenantes de mieux représenter, anticiper et optimiser les choix, et ce, tout au long de la vie de l'ouvrage.
Ces outils et ces méthodes sont porteurs de progrès pour le secteur et vont s'imposer à tous.
Quels sont les « bénéfices » potentiels majeurs liés à l'utilisation du BIM ?
Ils sont nombreux : des économies importantes sur le coût des projets (peut-être jusqu'à 10 %), des durées de projet et de chantier raccourcies, des études de prix plus précises et plus rapides, des économies de matériaux grâce à une meilleure évaluation des quantités nécessaires, mais aussi une forte amélioration de la qualité et une baisse des sinistres. Les gestionnaires de patrimoine peuvent attendre des économies importantes sur leurs budgets de travaux (évaluées à 7 % par des organismes HLM, par exemple). Le Livre blanc de la Caisse des dépôts (publié début 2014) évoque même des retours sur investissements inférieurs à trois ans ! Il considère que les maîtres d'ouvrage publics seront les principaux bénéficiaires de cette « révolution numérique ».
D'autres outils peuvent compléter ceux-ci...
Oui, bien sûr. Sur chantier, l'imprimante 3D associée à la maquette numérique peut permettre de fabriquer une pièce manquante puisqu'on aura toutes ses caractéristiques dimensionnelles grâce au BIM. Mais les objets connectés vont se développer également. On en trouve déjà sur le marché : des drones, des capteurs qui permettent, par exemple, de donner des informations à distance sur l'état des surfaces. Eux aussi feront gagner du temps aux entreprises. La robotique commence également à trouver sa place sur le marché, avec l'exosquelette ou les robots qui peuvent réaliser des projections d'isolants ou de peinture, notamment, se substituant ainsi à l'homme pour des tâches pénibles. Je suis attentif à tous ces nouveaux outils, mais ma priorité reste bien le développement de la maquette numérique et du BIM.
Dans le bâtiment lui-même, les objets connectés ont et auront un rôle croissant pour réguler l'électricité, déceler les fuites d'eau, réaliser des économies d'énergie… on va finir par arriver à l'ère de l'électronique chez soi ! Je vous rappelle que le concept de carte d'identité numérique attachée à chaque bâtiment se développe rapidement. Et le projet de loi sur la transition énergétique prévoit l'obligation du carnet numérique de suivi pour tous les logements neufs dès 2017 !
N'y a-t-il pas un risque réel de standardisation de la production ? Un appauvrissement de certains métiers ?
L'exemple de la Fondation Louis Vuitton montre qu'avec le BIM on peut réaliser des exploits en matière d'architecture ! Il s'agit d'outils qu'il convient de maîtriser, je ne vois pas pourquoi cela induirait une perte de qualité architecturale.
En ce qui concerne le risque de standardisation et de cantonnement de l'entreprise dans un rôle d'exécutant, comme cela se profile outre-Manche, je comprends que cette crainte se fasse jour, mais il me semble qu'en France on n'a pas envie de choisir cette voie. On a un tissu très dense d'entreprises spécifiques qui font la richesse et la force du modèle français !
Je ne vois pas pourquoi les entreprises ne seraient pas capables de profiter de ces outils numériques pour intervenir avec des degrés de précision qu'elles n'avaient pas auparavant et éviter ainsi pas mal de mauvaises surprises. Un des défis du BIM, c'est bien que les entreprises s'en saisissent pour mieux préparer leurs chantiers. L'ingénierie ne se substituera pas à elles. Avec le BIM, on peut imaginer que la préfabrication d'éléments pourra se développer et que les bibliothèques d'objets BIM (que les fabricants commencent à proposer) permettront à tous les acteurs d'avoir très tôt dans le processus un maximum d'informations. Tout le monde doit y gagner !
Les architectes et les grandes entreprises ont déjà une bonne pratique de ces outils...
Oui, les architectes travaillent depuis longtemps avec des logiciels de représentation en 3D, et les bureaux d'ingénierie ont des applications métiers de plus en plus puissantes pour intégrer un nombre croissant de paramètres dans les phases de conception technique. Le BIM est de plus en plus utilisé par les grandes structures (entreprises, architectes, ingénieristes, industriels), d'autant qu'il s'est progressivement imposé à l'international pour les projets d'envergure. En revanche, les plus petites, PME et TPE, l'utilisent peu, à l'exception de pionniers qui sont assez convaincus de sa pertinence pour s'y être mis sans attendre.
Comment faire pour inciter les PME et les TPE à avoir recours à la maquette numérique ?
Le vrai enjeu de la mission que m'a confiée la ministre du Logement, Sylvia Pinel, c'est d'embarquer le plus grand nombre possible d'acteurs du bâtiment dans cette démarche, le plus tôt et le mieux possible. Pour les plus petits d'entre eux, il y a un enjeu d'outillage, car les niveaux d'investissements sont coûteux à leur échelle (de l'ordre de 10 000 à 15 000 euros, voire davantage), et comme il s'agit d'outils un peu complexes, il faut y ajouter des coûts de formation (deux à trois semaines par utilisateur), ce qui n'est pas à la portée de tous.
Tous les intervenants du projet n'ont toutefois pas besoin de maîtriser l'intégralité des informations contenues dans la maquette numérique, et tous les projets n'ont pas besoin d'une maquette extrêmement détaillée. L'objectif est de développer des outils adaptés à la taille des projets et aux différents acteurs, en élaborant des cahiers des charges appropriés aux différents métiers (de la conception à l'exploitation) pour stimuler une offre des éditeurs de logiciels calée sur les besoins des acteurs, en créant des « kits BIM » adaptés aux projets de taille modeste et facilitant le travail en mode collaboratif et, in fine, le regroupement des intervenants, et en stimulant de nouvelles techniques de relevé des bâtiments existants, rapides et peu coûteuses, pour supporter les travaux de réhabilitation et d'exploitation.
J'en appelle aux éditeurs de logiciels, car une adaptation des outils est nécessaire pour que la maquette numérique se généralise et touche aussi bien les petits cabinets d'architectes que les PME et les artisans. Et il est important que l'offre ne provienne pas d'un seul fournisseur…
Pour les artisans, c'est quand même difficile...
Nous réfléchissons avec les organisations professionnelles aux meilleurs outils pédagogiques pour les aider. Les témoignages des entreprises qui s'y sont mises sont très importants nous imaginons donc des supports vidéo avec de tels témoignages complétés par des supports pédagogiques largement diffusables. Nous allons mettre en place rapidement une plateforme de ressources facilement accessible. Le taux d'équipement des entrepreneurs en tablettes et smartphones est en train d'exploser, il faut en profiter ! Nous ouvrirons fin juin un portail numérique qui donnera l'accès le plus large possible à tout cela.
Quelles sont vos priorités pour le Plan de transition numérique dans le bâtiment ?
Nous avons trois priorités majeures :
- convaincre les acteurs et leur donner envie de s'approprier l'outil numérique et les accompagner dans leur montée en compétences
- développer des outils numériques et des applications adaptés à tous les projets et à tous les acteurs
- installer la confiance dans l'écosystème numérique en s'appuyant sur des normes internationales pour faciliter l'interopérabilité logicielle et l'accès standardisé à toutes les informations nécessaires au quotidien des acteurs (matériaux, produits, équipements, systèmes...).
Il y a une demande de labellisation que nous étudions de près. Nous réfléchissons aussi à l'émergence d'un opérateur de confiance qui pourrait être apprécié par les maîtres d'ouvrage, qui sont une des clés du développement du BIM.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2015-6/la-cle-de-la-maquette-numerique.html?item_id=3484
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