Hervé de MAISTRE

Directeur général France et Benelux du pôle Produits pour la construction de Saint-Gobain, président de l'Association des industries de produits de construction (AIMCC).

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Innover malgré la crise

Les difficultés connues par la filière de la construction la conduisent naturellement à se recentrer sur l'essentiel. Ce qui pourrait se faire au détriment de l'investissement en recherche et développement. Or l'innovation y est plus dynamique que jamais, même si des freins restent à lever.

Les statistiques du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) montrent une nette augmentation des délivrances d'Avis techniques au cours de ces dernières années, pour atteindre le chiffre record de 773 en 2014. Et ce, du fait d'entreprises de toutes tailles et agissant dans tous les domaines, du gros oeuvre à la décoration en passant par l'aménagement et les équipements

Au-delà de ce chiffre, il est facile de constater que les défis de la transition énergétique et de l'amélioration du confort et de la qualité de vie ont apporté un formidable élan à l'innovation. D'ores et déjà, les objectifs envisagés aujourd'hui pour l'horizon 2030 sont accessibles, grâce à des solutions existantes sur le marché qui permettent de construire des ouvrages précurseurs en matière de respect de l'environnement et des générations futures, à des coûts maîtrisés.

Des conditions favorables

En matière d'habitat, l'appétence du marché pour des solutions nouvelles ne faiblira pas dans les années à venir, voire se renforcera :

  • les occupants réclament toujours plus de confort (thermique, acoustique, visuel, aménagement de l'espace, etc.), de qualités esthétiques, de fonctionnalités
  • les évolutions sociologiques (vieillissement, dépendance) créent de nouveaux besoins
  • l'empreinte environnementale doit être améliorée (performance énergétique, économie circulaire, réduction des pollutions, des consommations d'eau, etc.)
  • les professionnels cherchent à optimiser les étapes de conception et de construction des bâtiments, afin de réduire les déperditions (coûts, délais, non-qualité, déchets de chantiers).

L'Association des industries de produits de construction (AIMCC) a réalisé une enquête fin 2014 sur ce thème 1 : on y découvre par exemple que la mise en œuvre de onze innovations récentes prises en exemple permet d'améliorer la performance énergétique des bâtiments de 15 %, tout en réduisant de 10 % les coûts de construction par rapport à des solutions traditionnelles. Les bénéfices de ces onze innovations se sont avérés multiples : réduction des consommations énergétiques et des coûts d'exploitation, baisse des coûts directs de construction, amélioration de l'empreinte environnementale, réduction des délais des chantiers et de la pénibilité, gains de surface habitable, etc.

Notre secteur, loin de l'image d'immobilisme dont l'affublent parfois ceux qui le regardent de trop loin, est donc très innovant et tend à le devenir de plus de plus. En cela, on pourrait dire qu'il ne fait que suivre, à son rythme, une évolution qui touche à peu près l'ensemble des domaines de la consommation. Mais il pourrait le faire encore plus vite, et mieux et pour que ce soit effectivement le cas et que cela se fasse au profit du client final, beaucoup de conditions sont à remplir.

Informer, convaincre, soutenir

L'innovation revêt des formes diverses : matériaux, produits, systèmes et accessoires de pose, organisation du chantier, fonctionnalisation des bâtiments et de leurs composants, services divers en phase de conception, de construction ou d'exploitation.

Pour qu'une innovation réussisse à s'imposer dans le bâtiment, il ne suffit pas, loin de là, qu'elle corresponde à un besoin réel et apporte de la valeur à coût acceptable. Il lui faut aussi passer l'épreuve de l'évaluation, sanctionnée en général par l'Avis technique... procédure souvent vécue comme longue et coûteuse, mais indispensable pour garantir aux installateurs et au client final la performance de l'ouvrage et sa conformité aux exigences règlementaires et qui ne concerne pas que les produits, mais également les modes de mise en oeuvre. Et surtout elle doit être adoptée par ses clients : maîtres d'ouvrage, prescripteurs (architectes, bureaux d'études, économistes), entreprises de pose, artisans et bricoleurs lourds, distributeurs, particuliers... Il peut suffire que l'un de ces acteurs refuse la proposition pour en signer l'échec.

On l'aura compris : la difficulté est moins de développer une bonne solution que d'en réussir la commercialisation et d'en généraliser la mise en œuvre.

Dit autrement en bon français, ce n'est souvent pas tant son « time to market » qui pose problème que son « time to volume ». Celui qui prétend réussir dans le même temps à convaincre l'organisme évaluateur de la performance du système, à en donner envie aux occupants du logement, à en faire comprendre les performances aux prescripteurs et maîtres d'œuvre, à inciter les distributeurs à le stocker, à former les entreprises à le poser et à le vendre, doit informer, convaincre, former, soutenir des milliers d'intervenants. Les industriels l'ont bien compris, qui engagent des moyens très importants dans ce but : forces commerciales de prescription, partenariats avec les entreprises et les négoces, sessions de formation à destination des professionnels, etc.

Même si ce sont naturellement les industriels qui en sont le plus souvent les initiateurs, rendre la filière encore plus innovante requiert donc un fort investissement de tous les maillons de la chaîne. Sur ce point, malgré les craintes et les réticences naturelles, on peut dire que l'ensemble des acteurs ont largement identifié l'innovation comme un levier de différenciation et consacrent de plus en plus de temps et d'énergie à apprendre, prescrire, poser des solutions nouvelles. Pour autant, cela ne suffit pas à lever tous les freins, et il reste beaucoup à faire pour faciliter et accélérer la mise en œuvre des solutions les plus récentes et les plus performantes.

Améliorer le processus de développement

Le processus de développement est par nature collaboratif mais le moins qu'on puisse en dire est qu'il pourrait être largement amélioré, afin de rendre plus fluides et efficaces les interactions :

  • en intégrant l'avis et les contraintes du poseur et du prescripteur au plus tôt
  • en décloisonnant les métiers, condition maintenant indispensable pour atteindre les exigences performantielles (l'exemple de l'étanchéité à l'air est symptomatique) : on ne peut plus développer un système en pensant au maçon sans intégrer les contraintes de l'électricien
  • en investissant toujours plus dans la formation des entreprises : formation technique à la pose, mais aussi (surtout ?) formation commerciale des artisans
  • en exploitant les possibilités ouvertes par l'émergence des technologies numériques et notamment la maquette numérique, qui contribuera à faciliter ces évolutions et à réduire les délais et coûts.

Pour encourager les industriels à continuer d'innover et produire en France, les pouvoirs publics ont aussi leur rôle à jouer :

  • fixer des objectifs de performances clairs et ambitieux, notamment sur les sujets environnementaux et sanitaires. C'est à cette seule condition que les investissements en R & D, qui ne peuvent trouver leur justification que sur le moyen terme, pourront se développer à la hauteur des enjeux
  • soutenir et promouvoir les outils qui permettent de mesurer, démontrer et garantir les performances (fiches de données environnementales et sanitaires, analyses de cycle de vie, Avis techniques et certifications, règles de l'art). Ces outils constituent le socle sur lequel repose la confiance du client final. On entend aujourd'hui certains souhaiter une libéralisation totale du système, qui, en faisant fi de ces outils, libérerait l'innovation... Il y a gros à parier que la conséquence serait inverse
  • contribuer au développement et à l'appropriation de la maquette numérique par tous les intervenants, et particulièrement par le tissu des PME et TPE, qui sont la richesse de notre filière.

Les acteurs du bâtiment croient à la transition environnementale, ils sont depuis plusieurs années en marche pour la réussir et contribuer ainsi à relancer le secteur. Les initiatives ne manquent pas, et les industriels, conscients de leurs responsabilités et pourvoyeurs de plusieurs centaines de milliers d'emplois, en sont souvent porteurs. À l'heure où les signes de reprise se font toujours attendre, cette vitalité innovante est un signe d'espoir pour toute la filière.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2015-6/innover-malgre-la-crise.html?item_id=3480
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