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Serge CONTAT

Directeur général de la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP).

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La toute première expérience d'un bâtiment à énergie positive à Paris permet d'esquisser les pistes à suivre pour que les occupants des logements s'approprient l'innovation et en fassent un bon usage.

La RIVP a fait de l'innovation l'une de ses quatre valeurs fondatrices, au même titre que la solidarité, l'éthique et le caractère social de ses logements. Ainsi, elle s'est fixé comme objectif de rendre l'innovation accessible à l'ensemble de ses parties prenantes, au premier rang desquelles figurent ses 200 000 locataires.

Le développement durable, et tout particulièrement la maîtrise des consommations d'énergie, constitue l'un des thèmes les plus féconds pour ses démarches d'innovation. Les raisons en sont nombreuses. Les bilans économiques les plus récents sur les coûts globaux des bâtiments montrent que la part immobilière totale (charge foncière, coût total de construction, renouvellement des composantes) ne représente que la moitié des dépenses, l'autre moitié étant constituée des consommations diverses, en particulier l'énergie, et de la fiscalité. Ce constat a été confirmé par l'observatoire des charges mis en place sur notre patrimoine. Il met en évidence des évolutions contrastées selon les postes de charges locatives : un premier groupe, entretien, nettoyage, gardiennage... qui augmente avec l'inflation un second groupe, énergie, fiscalité... qui progresse deux fois plus vite. Compte tenu de la sensibilité des locataires du parc social à la quittance totale, la maîtrise des dépenses correspondant à l'énergie se révèle donc primordiale. Enfin, le contexte général, la loi de transition énergétique, la prochaine conférence climat et le plan Climat parisien nous ont renforcés dans la conviction qu'il est nécessaire de développer une action vigoureuse d'amélioration de notre parc de logements et d'avoir une forte ambition en matière d'innovation sur la construction neuve.

Ainsi, dès 2009, la RIVP a souhaité réaliser des bâtiments très performants sur le plan énergétique, jusqu'à des réalisations à énergie positive dont la première a été livrée à l'automne 2013, avec un cahier des charges ambitieux et des intuitions à vérifier : ce type de construction est-il envisageable et compatible avec un urbanisme dense, est-il réalisable à des coûts raisonnables, a-t-il des qualités d'usage satisfaisantes et comment est-il vécu par les habitants ? Cette première réalisation, située 7 rue Guénot, dans le 11e arrondissement de la capitale, livrée à l'automne 2013, nous permet de dégager quelques enseignements en termes de méthode, de résultats et d'appropriation par les habitants.

Un process classique

Sur l'opération en elle-même et son déroulement, la RIVP a organisé un process classique, avec un cahier des charges précis sur les objectifs à atteindre et une rémunération satisfaisante de l'ensemble des participants à cette démarche. A posteriori, la qualité de cette opération démontre l'importance de consacrer des montants significatifs à l'ingénierie.

Ce concours a donné lieu à deux types de réponses : les premières, exclusivement techniques, reposant sur un catalogue de matériaux et procédés expérimentaux les autres, fondées sur la mise en cohérence de solutions performantes, mais éprouvées, une approche réglementaire renouvelée et surtout, comme le suggérait le cahier des charges, une très grande attention aux qualités d'usage du bâtiment. Ces réponses ont été privilégiées par le jury et le choix s'est porté sur une maîtrise d'oeuvre groupée dont le cabinet d'architectes Beaudouin-Bergeron était mandataire.

Ce bâtiment a été livré sans difficultés particulières à l'automne 2013. Il fait l'objet d'un suivi spécifique. Les réponses aux premières interrogations du maître de l'ouvrage ont toutes été positives. Ce type d'opération innovante est parfaitement réalisable dans un urbanisme haussmannien dense, à condition toutefois que la forme du bâtiment soit assez compacte. Cette condition était vérifiée en l'espèce. Autre test important : la reproductibilité de ce bâtiment. La réponse est également positive car il a été réalisé avec un process classique, avec un renforcement de l'ingénierie et la mobilisation des bonnes compétences au bon moment. C'est une réalisation dont l'originalité architecturale se remarque, mais elle est bien perçue, sans avoir donné lieu à débats ou à des recours d'urbanisme. La réalisation du chantier a fait l'objet d'un soin particulier pour prévenir les nuisances. Des réunions d'information et un affichage régulier ont permis de sensibiliser les riverains à la spécificité de ce bâtiment. En termes de coûts, ce bâtiment se situe dans la fourchette haute de ce que réalise la RIVP pour des opérations analogues les qualités intrinsèques de ce bâtiment conduiront à un bilan en coût global réel très favorable.

Quelles qualités d'usage ?

Le dernier registre de questions, le plus important, tenait aux qualités d'usage et à l'acceptabilité de ce bâtiment par les habitants eux-mêmes. La contrainte « énergie positive » a permis de développer une innovation importante en matière de conception d'ensemble : un patio avec éclairage zénithal donne une exceptionnelle qualité aux parties communes de l'immeuble et aux logements. La réflexion des architectes les a conduits à réinventer la cour parisienne, en résolvant au passage le problème de la sécurité incendie. Cette solution donne une convivialité exceptionnelle aux espaces communs et apporte un second éclairage à toutes les pièces de service des appartements.

Après deux saisons hivernales, les résultats sont presque conformes aux calculs théoriques, même si le bâtiment n'est pas tout à fait à énergie positive : la production reste un peu inférieure aux prévisions et les consommations un peu supérieures. Le suivi spécifique mis en place pour cet immeuble témoigne néanmoins que l'objectif est atteint en matière d'innovation. Avec 91 % de taux de satisfaction, c'est le plus haut score enregistré dans les enquêtes de satisfaction menées dans toutes nos réalisations trois mois après leur mise à l'habitation. La tenue exemplaire des parties communes témoigne de l'attachement des habitants aux qualités de cet immeuble. En matière de charges locatives, c'est également un succès car le coût moyen des charges est de 40 % inférieur à la moyenne constatée pour des immeubles comparables. Ce ratio doit encore être amélioré car certains contrats de maintenance sont chers. L'économie de kilowattheures conduit en effet à une multiplication des équipements, avec autant de contrats de maintenance pour chacun d'eux. Même si l'objectif de dépenser davantage en prestations techniques et moins en énergie est vertueux, l'optimum entre sophistication des contrats et consommation d'énergie n'est pas encore atteint. Les résultats de l'audit au terme de la seconde saison hivernale permettront de s'en approcher.

La sensibilisation aux spécificités du bâtiment

Le plus grand succès de cette opération tient sans aucun doute à l'appropriation immédiate de ce bâtiment par les habitants eux-mêmes, à la différence des opérations conduites en réhabilitation ou de mise en place d'équipements domotiques. En effet, dans ces dernières, il existe un décalage important entre les montants investis, les améliorations techniques et les gains réels pour les habitants. Cela est principalement dû à l'absence d'appropriation des équipements, voire à des changements de comportement. Rue Guénot, c'est la cohérence et la simplification de l'interface des équipements avec les habitants qui rendent l'innovation directement appropriable par ceux-ci. L'innovation a été expliquée aux habitants, en particulier par une sensibilisation aux spécificités du bâtiment à l'entrée dans les lieux et par un tableau d'affichage du fonctionnement du bâtiment en temps réel, mais, au quotidien, l'innovation simplifie la vie. Elle est perçue intuitivement en termes de qualité de matériaux, de conception, de soins apportés aux détails. La compréhension de l'ensemble du fonctionnement est très immédiate.

Osons un parallèle entre les plus grands succès en matière de numérique et les bâtiments à énergie positive, et plus largement l'innovation dans le bâtiment. Les plus grands succès dans le numérique reposent sur quelques principes simples : réponse à un besoin réel, lien direct avec l'utilisateur final, simplicité et qualité de l'interface utilisateur. La sophistication et l'innovation sont une part décisive du succès, mais elles doivent être invisibles. Le succès de cette première opération à énergie positive dans Paris, qui sera suivie par deux nouvelles réalisations en cours, nous montre la voie pour la prochaine génération de bâtiments et pour la construction dans son ensemble. La diffusion à grande échelle de l'innovation dans le bâtiment est à portée de main, elle sera décisive en termes de qualité environnementale et d'usage.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2015-6/partager-l-innovation.html?item_id=3479
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