Logement : poursuivre le mouvement engagé
L’intervention des collectivités locales
dans l’habitat s’est déjà renforcée. Elle
pourrait encore s’accroître et apporter des réponses
mieux adaptées à des besoins spécifiques.
Avec, en France, un parc de 29,5 millions de logements
pour 60 millions d’habitants, soit l’un des taux les plus élevés
d’Europe, une construction neuve qui s’est maintenue au-delà
de la barre symbolique des 300 000 réalisations par an au cours
des dernières années, des circuits financiers robustes,
un contexte de taux d’intérêt historiquement favorable,
la question du logement dans notre pays peut apparaître parfois
comme définitivement réglée, ne nécessitant
que de simples réglages conjoncturels.
Dans ces conditions, très favorables en apparence,
pourquoi se poser la question de son éventuelle décentralisation,
alors que d’autres domaines semblent plus prioritaires ?
L’histoire du logement qui connaît des cycles
de long terme enseigne modestie et pugnacité. Le désintérêt
se paie cher et longtemps, comme l’exemple récent de la Suède
le montre. Ce pays, qui a connu la situation favorable d’une offre
de logement abondante, de bonne qualité et d’une pression
démographique faible, avait « baissé la garde ».
La crise du logement qui s’y est développée a replacé
le logement au cœur des grandes questions politiques du pays. Elle
a conduit à un réinvestissement massif de la collectivité
dans les aides financières directes au logement, à un niveau
actuellement très supérieur à celui observé
en France.
Or, des signaux récents doivent conduire à
redoubler de vigilance et éviter à tout prix de tomber dans
le « piège suédois ».
Premier signal d’inquiétude, l’offre
de logements disponibles est sans aucun doute devenue insuffisante, en
dépit d’un taux de construction maintenu à un niveau
élevé.
Ce signal est clairement renforcé par les résultats
de la dernière enquête Logement réalisée en
2002 dont le fait marquant est le degré historiquement bas de la
vacance de logements, à moins de 7 %.
Autre signal révélateur, l’évolution
des prix du logement – locatif et accession – qui va bien au-delà
de l’augmentation des revenus disponibles et que la baisse des taux
d’intérêt ne suffit pas à expliquer. A la différence
de la fin des années quatre-vingt-dix, cette envolée touche
toutes les grandes agglomérations. L’insuffisance de l’offre
n’y est pas étrangère.
Evolution de la demande
De manière plus structurelle, dans le domaine
du logement, l’évolution de la demande rejoint celle que l’on
peut constater pour d’autres biens de consommation : plus grande
segmentation, émergence rapide de besoins nouveaux comme le logement
des étudiants ou des travailleurs saisonniers dont les conditions
d’hébergement restent particulièrement précaires,
désaffectation, voire obsolescence totale d’une partie du
parc alors que son amortissement financier n’est pas encore achevé.
Quelques évolutions majeures sur le plan démographique
amplifient cette demande structurelle : décohabitation avec le
besoin d’accueil partagé des enfants, demande de mobilité
en fonction des « temps de la vie », vieillissement de la
population et besoin de maintien à domicile, pour ne citer que
les plus importantes.
Même si les termes en sont renouvelés, la
question du logement reste très largement devant nous. S’interroger
sur sa décentralisation est donc nécessaire.
Le premier facteur indispensable à la décentralisation
est d’ordre financier.
Le logement reste un secteur très consommateur
de capitaux, mais l’alimentation de ce secteur est aujourd’hui
assurée : l’accession à la propriété
relève de mécanismes financiers banalisés. Depuis
la réforme du prêt à taux zéro, les fonds d’épargne
sont suffisants pour l’alimentation de la construction neuve et la
réhabilitation HLM. L’alimentation financière du secteur
n’est donc plus un obstacle à la décentralisation.
Cette question de la ressource financière et de sa régulation
rendait la question de la décentralisation du logement incongrue,
il y a encore une décennie. L’existence actuelle de marges
de manœuvre change radicalement la donne pour l’avenir.
Réalité locale
L’émergence de l’intercommunalité
devrait faciliter la décentralisation. Les agglomérations
et les pays, qui correspondent à la réalité des «
bassins d’habitat », sont en quelques années devenus
une réalité politique. Cette condition essentielle de la
cohérence des politiques d’habitat est désormais remplie.
Par ailleurs, les collectivités locales jouent
un rôle central dans le processus de construction par la maîtrise
des règles d’urbanisme, déterminante non seulement
pour la construction neuve, mais aussi pour l’évolution du
parc de logements. Les plans locaux d’urbanisme, qui remplaceront
progressivement les plans d’occupation des sols, doivent traiter
l’ensemble des questions d’habitat.
Enfin, la question de principe est dépassée
: le rôle des collectivités locales est d’ores et déjà
essentiel dans le secteur du logement. Elles exercent directement un certain
nombre de compétences que la loi leur a conférées,
en particulier dans le domaine social : plans départementaux pour
le logement des plus démunis, fonds de solidarité logement...
En termes d’investissements financiers, leur intervention croit régulièrement
pour atteindre actuellement environ la moitié de celle de l’Etat.
Le rôle des collectivités locales dans le
domaine du logement s’est donc déjà renforcé.
La question posée n’est pas celle d’un transfert pur
et simple d’un bloc de compétences, mais l’évolution
d’un système complexe.
Décentraliser les aides à la
pierre
Les caractéristiques actuelles des aides à
la pierre 1 incitent à plus de décentralisation. Alors
que leur montant joue un rôle déterminant dans l’accès
au logement en influant directement sur les niveaux de loyers envisageables,
elles sont globalement insuffisantes (la France se situe plutôt
dans le bas de la fourchette des pays européens si l’on prend
en compte le montant des aides à la pierre par habitant) et surtout
mal adaptées géographiquement. Elles apparaissent souvent
« surdimensionnées » dans les zones où les besoins
sont faibles, et très insuffisantes dans les secteurs où
les marchés du logement sont tendus, en particulier en Ile-de-France.
Introduire plus de décentralisation dans les aides
à la pierre permettrait une optimisation de ces aides, et leur
adaptation à une échelle géographique suffisamment
fine pour appréhender la diversité des marchés du
logement. A volume d’aides constant, cette meilleure adéquation
doit assurer des conditions d’accès au logement plus efficaces.
Plus de décentralisation, c’est aussi une
réponse plus rapide, mieux ciblée face à l’émergence
de besoins nouveaux, parfois très spécifiques, que des outils
généralistes s’avèrent incapables de traiter.
Comment répondre à la situation parfois dramatique du logement
universitaire ? Comment répondre avec la même panoplie financière
aux besoins de logement des travailleurs saisonniers, touristiques ou
agricoles, ou à ceux résultant de la reconversion des bassins
industriels ? Ces besoins sont actuellement mal satisfaits, alors qu’ils
correspondent à des enjeux économiques ou sociaux essentiels
pour la vie locale. Les aides à la personne sont également
impuissantes à résoudre ces problèmes.
Plus de décentralisation, c’est assurer plus
efficacement la fluidité des « marchés de l’habitat
». Tous les praticiens savent qu’il suffit que l’une des
composantes de ces marchés soit affaiblie pour que ce soit l’ensemble
du système qui se paralyse. Ainsi, les programmes locaux de l’habitat
les plus élaborés abordent cette question de la segmentation
des différentes composantes de la demande. Et les collectivités
locales apportent souvent des compléments de financement, peu visibles,
peu lisibles, pour assurer cette indispensable fluidité. Davantage
de décentralisation doit être synonyme de circuits et de
modes de réponse plus courts, plus réactifs par rapport
à la demande.
Le cas du parc privé
Porteur de valeurs patrimoniales, témoin de l’histoire
et de l’âme des villes et villages, mais assurant aussi la
fonction de mobilité résidentielle, le parc de logements
privés est soumis à des évolutions contrastées.
Il est au cœur des interrogations concernant la décentralisation.
Le rôle joué par l’Agence nationale
pour l’amélioration de l’habitat (Anah) pour accompagner
les mutations de ce parc s’est avéré déterminant.
En une génération, son action a permis de mettre l’essentiel
de ces logements aux normes de confort nécessaires à des
conditions de vie dignes du début du xxie siècle.
Grâce à la souplesse d’intervention
que lui permet sa nature d’établissement public doté
d’un conseil d’administration, son action s’est avérée
adaptable en fonction de l’évolution des enjeux du parc privé.
Cela lui a permis de mettre en œuvre une modulation fine de ses moyens
d’intervention pour répondre à des besoins territoriaux
différents. Enfin, à travers la politique d’opérations
programmées d’amélioration de l’habitat (Opah)
qui représente la moitié des logements subventionnés,
son action a été conduite dans un cadre largement contractualisé
avec les collectivités locales.
La loi Solidarité et renouvellement urbains a
modernisé le cadre d’intervention de l’Agence en renforçant
son ancrage dans les politiques locales de l’habitat. L’Anah
intervient désormais sur la totalité du parc de logements
privés, propriétaires bailleurs et propriétaires
occupants. Le conseil d’administration a retenu des priorités
d’intervention qui correspondent aux grandes questions contemporaines
concernant l’habitat : mobilisation du parc privé pour l’émergence
d’une offre locative sociale et intermédiaire ; préservation
de la santé et de la sécurité des habitants ; prise
en compte du développement durable.
La déclinaison de ces priorités est inscrite
dans des programmes d’action territorialisés, sur une base
départementale, mais qui peuvent l’être par bassin d’habitat.
Ils sont élaborés et approuvés par les commissions
locales d’amélioration de l’habitat dont la composition
paritaire est calquée sur celle du conseil d’administration
de l’Agence.
Il est désormais possible d’approfondir cette
démarche dans le sens d’une plus grande décentralisation.
Une véritable autonomie serait donnée au
niveau local avec des structures individualisées pour lesquelles
différentes voies sont envisageables : établissement public
spécifique, groupement d’intérêt public. Quelle
qu’en soit la nature, cette structure serait dotée d’un
conseil d’administration fixant, par bassin d’habitat, des modalités
d’intervention. Afin de concilier taille critique d’intervention
et adaptation locale, le niveau régional paraît le mieux
adapté, mais la diversité des situations rend cette question
délicate. Le niveau élémentaire d’intervention,
sur le plan opérationnel, serait par conséquent les intercommunalités,
au premier rang desquelles se situeraient les agglomérations.
Dans une telle configuration, une agence nationale garderait
une véritable légitimité, mais avec des missions
redéfinies : réflexion générale sur les grands
objectifs en termes d’habitat, évaluation des politiques conduites,
solidarité nationale dont les catastrophes récentes suite
aux inondations ou accidents technologiques ont clairement montré
l’absolue nécessité, et, éventuellement, péréquation
financière.
Cette organisation qui constitue un prolongement des
évolutions récentes, est en quelque sorte inscrite dans
la réalité actuelle de l’Anah.
A travers des conventions signées entre l’Agence
et les conseils régionaux, actuellement au nombre de sept, la réalité
d’une action concertée entre l’Anah et les régions
ou les départements concernés est très proche de
ce schéma.
La présence d’acteurs du logement représentant
les propriétaires bailleurs, les propriétaires occupants,
les locataires, les opérateurs et associations aux côtés
des élus est un gage de pertinence dans la définition des
politiques et une garantie quant à l’efficacité de
leur mise en œuvre.
Des précautions à prendre
Ce schéma, qui concerne aujourd’hui les aides
au parc privé, pourrait être adapté à d’autres
aides à la pierre. Il pourrait permettre une politique d’aide
à l’accession à la propriété mieux ciblée,
plus ambitieuse sur le parc ancien. Concernant les aides au logement social
public, il suppose de résoudre certaines difficultés spécifiques,
touchant notamment au statut et à la compétence territoriale
des organismes HLM.
Si la décentralisation est à portée
de main dans le domaine du logement, elle ne peut s’envisager qu’en
respectant certaines précautions.
L’acuité des problèmes de logement
concernant les personnes défavorisées, le débat public
concernant le parc de logements sociaux dans les villes (article 55 de
la loi SRU), les difficultés insurmontables pour redonner espoir
et dignité dans les quartiers qui cumulent pauvreté de la
population et faiblesse de ressources fiscales, ont montré que
les tentations de repli sur soi et d’égoïsmes locaux
pouvaient parfois prendre le dessus. Aller jusqu’au bout de la décentralisation
dans le domaine du logement suppose ainsi de résoudre ces questions
collectivement et de se donner des garde-fous fiables et pérennes.
Il convient également de veiller aux conditions
d’évolution du système. La situation actuelle est hétérogène,
une politique du logement efficace suppose de prendre en compte des équilibres
parfois construits patiemment au fil des années. Compte tenu de
cette complexité et du risque de voir se mettre en place une «
décentralisation à rebours », l’expérimentation
est la méthode la plus pertinente, voire la seule possible.
Dans ce domaine complexe qu’est le logement, une
décentralisation peut indiscutablement apporter des réponses
mieux adaptées à tout un chacun. Conduite sans précautions,
elle peut aussi être un échec collectif. Plusieurs voies
sont désormais ouvertes : l’exemple de l’Anah et les
quelques pistes évoquées pour de futures évolutions
ne constituent que l’un des schémas possibles. Pour réussir,
chacun devra impérativement faire preuve d’écoute et
de dialogue avec, au centre des réflexions, les habitants de la
cité, tous les habitants, sans que quiconque ne reste en chemin.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/logement-poursuivre-le-mouvement-engage.html?item_id=2468
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