© Bruno Lévy

Alain MAUGARD

est président de Qualibat.

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Faut-il construire autrement ?

Le secteur de la construction va devoir apprendre à gérer les instabilités climatiques, et à les intégrer dès la conception des ouvrages. Il s’agira de trouver un compromis entre un niveau de risque acceptable et des coûts supportables.

L’alternance de périodes très froides et très chaudes, très sèches et très humides avec des épisodes de tempêtes et d’inondations plus intenses, incite à penser que nous entrons dans une période de contrastes climatiques beaucoup plus prononcés et nous éloignons du climat « tempéré ». Tous les modèles de simulation climatique prévoient, pour un doublement du CO2 dans l’atmosphère, une augmentation de deux à six degrés de la température moyenne sur la planète d’ici à la fin du xxie siècle. On ignore encore aujourd’hui, dans le détail, quelles pourront être les conséquences climatiques compte tenu des incertitudes sur les modèles utilisés et les hypothèses retenues.

Ces changements peuvent avoir des répercussions majeures sur le bâti : réduction très sensible de la durée de vie de certains matériaux sous l’effet de l’eau, désordres lourds générés par l’assèchement ou, au contraire, la saturation en eau des sols superficiels, impact des tempêtes sur l’enveloppe (couvertures, bardages…).

Cependant, il convient de distinguer les catastrophes naturelles qui se sont accrues sous l’effet du changement climatique de celles pour lesquelles la société n’accepte plus le même niveau de risque.

Inondations, glissements de terrain, neige, tempêtes, les risques ont augmenté au cours du siècle passé et sont imputables à la variabilité du climat naturel ou anthropique. En revanche, le risque sismique n’a pas augmenté mais le niveau d’acceptation sociale de ce phénomène, lui, a diminué. La société exige toujours plus de sécurité dans le bâtiment considéré comme un abri, un refuge, voire un cocon qui protège des agressions extérieures. Ce qui était accepté par les anciens ne l’est plus aujourd’hui.

Apprendre à gérer les instabilités climatiques

Le temps est un facteur important dans la prise en compte des accidents climatiques ou des catastrophes naturelles. La mémoire, vigilance de l’être humain vis-à-vis des risques, s’émousse très rapidement. En témoigne le nombre de constructions dans des zones inondables. Par ailleurs, à l’échelle humaine, la probabilité de vivre deux séismes, par exemple, est très faible. Faut-il prendre, pour autant, une « assurance tout risque » en adoptant des coefficients de sécurité maximum au prix d’un surcoût insurmontable pour se prémunir de catastrophes se reproduisant à l’échelle de plusieurs siècles ?

Le secteur de la construction va devoir apprendre à gérer les instabilités climatiques, et à les intégrer dès la conception des ouvrages. Il s’agira de trouver un compromis entre un niveau de risque acceptable et des coûts supportables. C’est une attitude ancestrale et permanente pour les constructeurs que de prendre en compte ces phénomènes. La nouveauté introduite par le changement climatique réside dans la rapidité probable des évolutions.

L’ensemble des réglementations, fondé sur une stabilité du climat, devra sans doute être revisité à l’aune des changements climatiques. Avec pour objectif la réduction des gaz à effet de serre, la Réglementation thermique 2000, et ses évolutions à l’horizon 2010, participe de cette idée, en intégrant le confort d’été.

Les tempêtes de 1999 qui ont touché des régions urbanisées sont une source d’enseignement pour faire évoluer les règles vent. A l’instar de la réglementation parasismique, on peut imaginer une adaptation de ces règles en fonction de l’usage du bâtiment (hôpital, préfecture, école…). Le CSTB a proposé une révision approfondie de la carte des vents extrêmes en collaboration avec Météo-France. A l’échelle européenne, une normalisation est en cours d’instruction. Elle repose sur une approche probabiliste des événements climatiques extrêmes pour définir les vitesses de vent et la hauteur de neige au sol de référence.

S’agissant des inondations, hormis pour les cuvelages, l’arrimage des réservoirs d’hydrocarbures, peu de règles prennent en compte ce phénomène climatique quelle que soit son origine : plaine ou torrentielle.

Sécurité, confort, productivité : un équilibre à repenser

Ces évolutions réglementaires nécessaires impliqueront de veiller à la compatibilité des mesures prises pour répondre à des exigences parfois contradictoires de confort et de sécurité. Ainsi la réduction des ponts thermiques, pour satisfaire aux exigences de la nouvelle réglementation, entraîne une diminution importante du nombre de liaisons mécaniques entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment. Ces dispositions fragilisent le bâtiment en cas de vent très fort ou de séisme.

Par ailleurs, des gains de productivité dans le bâtiment se sont opérés sur la matière. On a donc construit des bâtiments légers, avec en contrepartie une sensibilité au vent plus importante. Faut-il revenir à des systèmes constructifs plus lourds, donc plus consommateurs de matière et plus chers, pour s’affranchir de cette sensibilité et faire face à la probabilité de vents plus violents sur des territoires qui n’étaient pas exposés jusqu’à nos jours ?

Les systèmes constructifs de demain devront concilier des impératifs de sécurité, de confort et de productivité avec une conception très rigoureuse pour prendre en compte les différents aléas. La moindre erreur de conception ou de mise en œuvre décuple les conséquences d’une catastrophe naturelle.

D’ailleurs, la fréquence accrue de vents très violents comme les tornades nécessitera de réfléchir à certaines « délocalisations » d’architectures traditionnelles typiques d’une région. Ce n’est pas un hasard si la maison traditionnelle bretonne a des pignons en dur dépassant des toits. Les constructions avec un avant-toit prononcé sont plutôt mal adaptées aux tempêtes.

En ce qui concerne la mise en œuvre, une attention particulière devra être portée aux attaches. Les toitures traditionnelles, réalisées à partir de matériaux lourds, s’opposent au soulèvement du vent. En revanche, les toitures légères, réalisées d’un seul morceau, s’avèrent beaucoup plus sensibles au vent et sollicitent les attaches. On assiste alors à un phénomène d’arrachement.

Une recherche est engagée au CSTB pour revoir les méthodes de conception. Lors des tempêtes de 1999, on a pu s’apercevoir que les charpentes sont souvent simplement posées sur la structure sans études préalables s’intéressant à la tenue de l’ensemble. En outre, les cheminées n’ont pas été suffisamment prises en compte dans l’étude des risques lors de la construction, alors qu’elles peuvent se révéler dangereuses lors de fortes tempêtes.

Compte tenu du risque reconnu de séismes dans certaines régions françaises et des enjeux économiques et sociaux, des travaux sont engagés pour élaborer un ensemble de dispositions de renforcement du bâti des constructions existantes. Il sera complété par une méthode permettant de calculer le « gain » attendu pour chacune des dispositions, en termes d’amélioration du comportement des bâtiments à des sollicitations sismiques.

Inondations : des mesures pour protéger les bâtiments

Aucune mesure efficace ne peut empêcher l’eau de pénétrer dans un bâtiment de conception courante. Il est même souhaitable qu’elle pénètre si la hauteur d’eau est importante, de manière à limiter les effets destructeurs dus à la poussée d’Archimède. On peut au mieux, dans certains cas, limiter cette pénétration afin, en particulier, d’éviter l’invasion par de l’eau polluée.

La solution définitive pour limiter les conséquences humaines et matérielles serait sans doute de construire dans des zones hors d’atteinte. Mais d’autres considérations font qu’il y a, et qu’il y aura toujours, des constructions dans les zones à risques. La solution réside dans des dispositions visant à réduire la vulnérabilité du bâtiment aux inondations, avec une conception favorisant l’évacuation de l’eau et le séchage de l’ouvrage.

Pour les inondations de plaine, de faible hauteur, il conviendra de prévoir, par exemple, des occultations efficaces complétées par un système de pompage. Le choix des matériaux est également important, d’autant qu’il faut peu de temps pour mouiller un matériau et beaucoup de temps pour le sécher.

Toutes les dispositions constructives favorables à la non-rétention des eaux seront bénéfiques à la remise en état des bâtiments. L’eau « cachée » est une source de problèmes à retardement, car elle favorise le développement des moisissures, notamment lorsque le bâtiment est à nouveau chauffé.

Le bon sens conduit à construire en hauteur pour mettre hors d’atteinte des eaux les parties vulnérables d’un bâtiment, à commencer par les zones d’habitation mais aussi les équipements techniques (tableau électrique, appareils de chauffage…).

Les fondations sont également à surveiller. Les inondations augmentent les risques d’instabilité du sol et de fissures dans l’ouvrage. De même, les changements de niveau de l’eau dans le sol peuvent causer des pathologies lourdes, par gonflement des argiles sensibles.

Réduire la vulnérabilité des réseaux

En ce qui concerne les inondations torrentielles, on pourrait imaginer des dispositifs de protection des bâtiments, comme des brise-lame dissipant l’énergie des flots, réduisant les effets mécaniques sur les structures et protégeant le bâtiment des chocs d’objets lourds flottants emportés par le courant.

L’efficacité et l’acceptation du coût de ces mesures restent toutefois à démontrer.
Toute mesure prise au niveau du bâtiment ou du quartier doit être cohérente avec l’ensemble de l’environnement local, régional ou interrégional. Les réseaux utiles à la vie urbaine deviennent des problèmes génériques. Une autoroute coupée même quelques heures par l’eau ou la neige désorganise complètement le système de communication et d’intervention des secours. Il en est de même pour l’énergie électrique ou l’alimentation en eau.

Pour pallier cette vulnérabilité des réseaux, les bâtiments deviendront de plus en plus autonomes en énergie avec des systèmes décentralisés de production d’électricité, en alimentation en eau avec les systèmes de récupération des eaux pluviales, en assainissement avec les procédés autonomes.

L’évolution du climat mobilise nos voisins européens, en particulier le Royaume-Uni et la Norvège qui ont pris des initiatives au niveau national.

Mobilisation européenne

Le Royaume-Uni a lancé en 1997 le programme United kingdom climate impacts programme (UKCIP) dont l’objectif est d’évaluer les impacts potentiels du changement climatique dans tous les secteurs d’activité et d’aider les parties concernées à préparer des mesures adaptées. Il traite un large éventail de questions concernant le cadre bâti, les infrastructures de transport et les réseaux.

La Norvège par l’intermédiaire de l’homologue du CSTB, le Norwegian research building institute (NBI), a lancé en octobre 2000, pour une durée de six ans, un programme de recherche concernant à la fois le parc existant et les constructions neuves. Il vise à étudier les modes d’adaptation de la société à ces modifications et à réviser les codes de calculs ainsi que les méthodes de planification et de construction des bâtiments.

Tant les Norvégiens que les Britanniques envisagent ces programmes dans le cadre de coopérations internationales compte tenu de la nature des problèmes posés. Le CSTB poursuit des recherches sur ces questions en relation avec ces partenaires.

Bibliographie

  • Le bâtiment demain et après-demain, éditions du CSTB, 1997
  • Inondations, guide de remise en état des bâtiments, Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction, septembre 2002
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/faut-il-construire-autrement.html?item_id=2464
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