Faut-il construire autrement ?
Le secteur de la construction va devoir apprendre
à gérer les instabilités climatiques, et à
les intégrer dès la conception des ouvrages. Il s’agira
de trouver un compromis entre un niveau de risque acceptable et des coûts
supportables.
L’alternance de périodes très froides
et très chaudes, très sèches et très humides
avec des épisodes de tempêtes et d’inondations plus
intenses, incite à penser que nous entrons dans une période
de contrastes climatiques beaucoup plus prononcés et nous éloignons
du climat « tempéré ». Tous les modèles
de simulation climatique prévoient, pour un doublement du CO2 dans
l’atmosphère, une augmentation de deux à six degrés
de la température moyenne sur la planète d’ici à
la fin du xxie siècle. On ignore encore aujourd’hui, dans
le détail, quelles pourront être les conséquences
climatiques compte tenu des incertitudes sur les modèles utilisés
et les hypothèses retenues.
Ces changements peuvent avoir des répercussions
majeures sur le bâti : réduction très sensible de
la durée de vie de certains matériaux sous l’effet
de l’eau, désordres lourds générés par
l’assèchement ou, au contraire, la saturation en eau des sols
superficiels, impact des tempêtes sur l’enveloppe (couvertures,
bardages…).
Cependant, il convient de distinguer les catastrophes
naturelles qui se sont accrues sous l’effet du changement climatique
de celles pour lesquelles la société n’accepte plus
le même niveau de risque.
Inondations, glissements de terrain, neige, tempêtes,
les risques ont augmenté au cours du siècle passé
et sont imputables à la variabilité du climat naturel ou
anthropique. En revanche, le risque sismique n’a pas augmenté
mais le niveau d’acceptation sociale de ce phénomène,
lui, a diminué. La société exige toujours plus de
sécurité dans le bâtiment considéré
comme un abri, un refuge, voire un cocon qui protège des agressions
extérieures. Ce qui était accepté par les anciens
ne l’est plus aujourd’hui.
Apprendre à gérer les instabilités
climatiques
Le temps est un facteur important dans la prise en compte
des accidents climatiques ou des catastrophes naturelles. La mémoire,
vigilance de l’être humain vis-à-vis des risques, s’émousse
très rapidement. En témoigne le nombre de constructions
dans des zones inondables. Par ailleurs, à l’échelle
humaine, la probabilité de vivre deux séismes, par exemple,
est très faible. Faut-il prendre, pour autant, une « assurance
tout risque » en adoptant des coefficients de sécurité
maximum au prix d’un surcoût insurmontable pour se prémunir
de catastrophes se reproduisant à l’échelle de plusieurs
siècles ?
Le secteur de la construction va devoir apprendre à
gérer les instabilités climatiques, et à les intégrer
dès la conception des ouvrages. Il s’agira de trouver un compromis
entre un niveau de risque acceptable et des coûts supportables.
C’est une attitude ancestrale et permanente pour les constructeurs
que de prendre en compte ces phénomènes. La nouveauté
introduite par le changement climatique réside dans la rapidité
probable des évolutions.
L’ensemble des réglementations, fondé
sur une stabilité du climat, devra sans doute être revisité
à l’aune des changements climatiques. Avec pour objectif la
réduction des gaz à effet de serre, la Réglementation
thermique 2000, et ses évolutions à l’horizon 2010,
participe de cette idée, en intégrant le confort d’été.
Les tempêtes de 1999 qui ont touché des
régions urbanisées sont une source d’enseignement pour
faire évoluer les règles vent. A l’instar de la réglementation
parasismique, on peut imaginer une adaptation de ces règles en
fonction de l’usage du bâtiment (hôpital, préfecture,
école…). Le CSTB a proposé une révision approfondie
de la carte des vents extrêmes en collaboration avec Météo-France.
A l’échelle européenne, une normalisation est en cours
d’instruction. Elle repose sur une approche probabiliste des événements
climatiques extrêmes pour définir les vitesses de vent et
la hauteur de neige au sol de référence.
S’agissant des inondations, hormis pour les cuvelages,
l’arrimage des réservoirs d’hydrocarbures, peu de règles
prennent en compte ce phénomène climatique quelle que soit
son origine : plaine ou torrentielle.
Sécurité, confort, productivité
: un équilibre à repenser
Ces évolutions réglementaires nécessaires
impliqueront de veiller à la compatibilité des mesures prises
pour répondre à des exigences parfois contradictoires de
confort et de sécurité. Ainsi la réduction des ponts
thermiques, pour satisfaire aux exigences de la nouvelle réglementation,
entraîne une diminution importante du nombre de liaisons mécaniques
entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment.
Ces dispositions fragilisent le bâtiment en cas de vent très
fort ou de séisme.
Par ailleurs, des gains de productivité dans le
bâtiment se sont opérés sur la matière. On a donc construit des bâtiments légers,
avec en contrepartie une sensibilité au vent plus importante. Faut-il
revenir à des systèmes constructifs plus lourds, donc plus
consommateurs de matière et plus chers, pour s’affranchir
de cette sensibilité et faire face à la probabilité
de vents plus violents sur des territoires qui n’étaient pas
exposés jusqu’à nos jours ?
Les systèmes constructifs de demain devront concilier
des impératifs de sécurité, de confort et de productivité
avec une conception très rigoureuse pour prendre en compte les
différents aléas. La moindre erreur de conception ou de
mise en œuvre décuple les conséquences d’une catastrophe
naturelle.
D’ailleurs, la fréquence accrue de vents
très violents comme les tornades nécessitera de réfléchir
à certaines « délocalisations » d’architectures
traditionnelles typiques d’une région. Ce n’est pas un
hasard si la maison traditionnelle bretonne a des pignons en dur dépassant
des toits. Les constructions avec un avant-toit prononcé sont plutôt
mal adaptées aux tempêtes.
En ce qui concerne la mise en œuvre, une attention
particulière devra être portée aux attaches. Les toitures
traditionnelles, réalisées à partir de matériaux
lourds, s’opposent au soulèvement du vent. En revanche, les
toitures légères, réalisées d’un seul
morceau, s’avèrent beaucoup plus sensibles au vent et sollicitent
les attaches. On assiste alors à un phénomène d’arrachement.
Une recherche est engagée au CSTB pour revoir
les méthodes de conception. Lors des tempêtes de 1999, on
a pu s’apercevoir que les charpentes sont souvent simplement posées
sur la structure sans études préalables s’intéressant
à la tenue de l’ensemble. En outre, les cheminées n’ont
pas été suffisamment prises en compte dans l’étude
des risques lors de la construction, alors qu’elles peuvent se révéler
dangereuses lors de fortes tempêtes.
Compte tenu du risque reconnu de séismes dans
certaines régions françaises et des enjeux économiques
et sociaux, des travaux sont engagés pour élaborer un ensemble
de dispositions de renforcement du bâti des constructions existantes.
Il sera complété par une méthode permettant de calculer
le « gain » attendu pour chacune des dispositions, en termes
d’amélioration du comportement des bâtiments à
des sollicitations sismiques.
Inondations : des mesures pour protéger
les bâtiments
Aucune mesure efficace ne peut empêcher l’eau
de pénétrer dans un bâtiment de conception courante.
Il est même souhaitable qu’elle pénètre si la
hauteur d’eau est importante, de manière à limiter
les effets destructeurs dus à la poussée d’Archimède.
On peut au mieux, dans certains cas, limiter cette pénétration
afin, en particulier, d’éviter l’invasion par de l’eau
polluée.
La solution définitive pour limiter les conséquences
humaines et matérielles serait sans doute de construire dans des
zones hors d’atteinte. Mais d’autres considérations font
qu’il y a, et qu’il y aura toujours, des constructions dans
les zones à risques. La solution réside dans des dispositions
visant à réduire la vulnérabilité du bâtiment
aux inondations, avec une conception favorisant l’évacuation
de l’eau et le séchage de l’ouvrage.
Pour les inondations de plaine, de faible hauteur, il
conviendra de prévoir, par exemple, des occultations efficaces
complétées par un système de pompage. Le choix des
matériaux est également important, d’autant qu’il
faut peu de temps pour mouiller un matériau et beaucoup de temps
pour le sécher.
Toutes les dispositions constructives favorables à
la non-rétention des eaux seront bénéfiques à
la remise en état des bâtiments. L’eau « cachée
» est une source de problèmes à retardement, car elle
favorise le développement des moisissures, notamment lorsque le
bâtiment est à nouveau chauffé.
Le bon sens conduit à construire en hauteur pour
mettre hors d’atteinte des eaux les parties vulnérables d’un
bâtiment, à commencer par les zones d’habitation mais
aussi les équipements techniques (tableau électrique, appareils
de chauffage…).
Les fondations sont également à surveiller.
Les inondations augmentent les risques d’instabilité du sol
et de fissures dans l’ouvrage. De même, les changements de
niveau de l’eau dans le sol peuvent causer des pathologies lourdes,
par gonflement des argiles sensibles.
Réduire la vulnérabilité
des réseaux
En ce qui concerne les inondations torrentielles, on
pourrait imaginer des dispositifs de protection des bâtiments, comme
des brise-lame dissipant l’énergie des flots, réduisant
les effets mécaniques sur les structures et protégeant le
bâtiment des chocs d’objets lourds flottants emportés
par le courant.
L’efficacité et l’acceptation du coût
de ces mesures restent toutefois à démontrer.
Toute mesure prise au niveau du bâtiment ou du quartier doit être
cohérente avec l’ensemble de l’environnement local, régional
ou interrégional. Les réseaux utiles à la vie urbaine
deviennent des problèmes génériques. Une autoroute
coupée même quelques heures par l’eau ou la neige désorganise
complètement le système de communication et d’intervention
des secours. Il en est de même pour l’énergie électrique
ou l’alimentation en eau.
Pour pallier cette vulnérabilité des réseaux,
les bâtiments deviendront de plus en plus autonomes en énergie
avec des systèmes décentralisés de production d’électricité,
en alimentation en eau avec les systèmes de récupération
des eaux pluviales, en assainissement avec les procédés
autonomes.
L’évolution du climat mobilise nos voisins
européens, en particulier le Royaume-Uni et la Norvège qui
ont pris des initiatives au niveau national.
Mobilisation européenne
Le Royaume-Uni a lancé en 1997 le programme United
kingdom climate impacts programme (UKCIP) dont l’objectif est d’évaluer
les impacts potentiels du changement climatique dans tous les secteurs
d’activité et d’aider les parties concernées à
préparer des mesures adaptées. Il traite un large éventail
de questions concernant le cadre bâti, les infrastructures de transport
et les réseaux.
La Norvège par l’intermédiaire de
l’homologue du CSTB, le Norwegian research building institute (NBI),
a lancé en octobre 2000, pour une durée de six ans, un programme
de recherche concernant à la fois le parc existant et les constructions
neuves. Il vise à étudier les modes d’adaptation de
la société à ces modifications et à réviser
les codes de calculs ainsi que les méthodes de planification et
de construction des bâtiments.
Tant les Norvégiens que les Britanniques envisagent
ces programmes dans le cadre de coopérations internationales compte
tenu de la nature des problèmes posés. Le CSTB poursuit
des recherches sur ces questions en relation avec ces partenaires.
Bibliographie
- Le bâtiment demain et après-demain, éditions du CSTB, 1997
- Inondations, guide de remise en état des bâtiments, Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction, septembre 2002
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/faut-il-construire-autrement.html?item_id=2464
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