Santé : plaidoyer pour une approche territoriale
Dans le débat politique, social ou économique,
la santé constitue un enjeu national, sinon européen, quel
qu’en soit l’angle d’approche. L’avenir du système
hospitalier public, la démographie médicale, l’égalité
républicaine d’accès aux soins et sa répartition
géographique, le vieillissement de la population, le financement
du système de santé sont les thèmes actuellement
les plus débattus.
Le président de la République a mis en
exergue, pour son mandat, trois grands chantiers, qui ont ou auront un
impact direct ou indirect sur le système de santé et particulièrement
en matière de politique de prévention : le Plan national
Cancer, l’intégration sociale des handicapés, la sécurité
routière. Or, si le malade a besoin d’un point d’entrée
facile pour accéder aux soins, le système est de fait très
éclaté entre hôpitaux généraux et centres
hospitalo-universitaires, médecine libérale, cliniques privées,
hôpitaux privés ou relevant de fondations participant au
service public hospitalier.
La séparation juridique entre le médico-social
et le sanitaire crée aussi des lignes de rupture, là où
la continuité serait nécessaire. La frontière est
parfois incompréhensible sur le plan humain entre l’hôpital
de soins de suite et de réadaptation à vocation gériatrique,
la maison médicalisée et la maison de retraite, bien que
très codifiée sur le plan de la réglementation et
de la tarification.
Ce qui caractérise avant tout la réflexion
sur la santé et la décentralisation de la politique de santé,
c’est la complexité. Complexité de l’évolution
des besoins de santé, de la gestion hospitalière, de la
création de réseaux de soins privés/ publics avec
la notion de continuum et de prise en charge globale du malade. Complexité
de la demande territoriale de proximité, avec le besoin d’une
offre très spécialisée et l’émergence
de la télémédecine qui abolit l’espace géographique.
Complexité de la recherche des bonnes liaisons entre les politiques
de prévention et de santé publique, l’enseignement,
la recherche, les soins et la valorisation par le biais de biotechnologies…
Privilégier la logique territoriale
La volonté de décentralisation du Premier
ministre, l’expérimentation possible dans le domaine de l’éducation
ou de la santé, rejoignent les préoccupations des ministères
sociaux et des grands établissements publics en matière
de stratégie territoriale.
L’Inspection générale des affaires
sociales a produit, dans son rapport annuel 2001, une analyse sur les
politiques sociales de l’Etat et les territoires. Les rédacteurs
de ce rapport montrent que la santé a été l’un
des premiers thèmes à bénéficier de la «
territorialisation », « en tenant compte de la dynamique créée
par l’intercommunalité et les pays et en procédant
à des ajustements de périmètre pour être véritablement
efficace » 1.
A l’instar de la mise en place des Agences régionales
d’hospitalisation à partir des ordonnances de 1996, et de
celle des schémas régionaux d’organisation sanitaire
(SROS), des conférences régionales et des programmes régionaux
de santé, la Région semble être pour les rédacteurs
de ce rapport l’échelon le plus pertinent pour une stratégie
territoriale. A l’interface entre le niveau central et les territoires
de proximité, l’échelon régional s’affirme
peu à peu comme le niveau stratégique de la déconcentration
et de la mise en cohérence des projets territoriaux.
Les questions qui se posent sont nombreuses. Comment,
à la fois, avoir un système de santé plus proche
des besoins de la population, bien adapté en offre de soins, mais
aussi aux rythmes de la vie des citadins d’aujourd’hui ? Comment
offrir cette proximité, la rendre accessible à la fois physiquement
par des transports publics, des capacités de stationnement, mais
aussi compréhensible, lisible par des centres d’information,
d’orientation, de prédiagnostic ? Comment avoir un deuxième
avis ? Comment éviter de faire des urgences de l’hospitalisation
publique l’ultime recours et le lieu de cette orientation ?
Face au besoin de proximité revendiqué
par les citoyens, mais aussi largement par les élus, comment garantir
la sécurité, des équipes en nombre suffisant de soignants
et médecins, un plateau technique bien équipé ?
Concilier offre locale et offre régionale
ou nationale
Or, en plus de cette offre locale, il faut nécessairement
une offre nationale ou régionale mêlant étroitement
soins, enseignement et recherche. La génomique, les neurosciences,
la lutte contre le cancer, la recherche concernant les maladies d’Alzheimer
et de Parkinson, la reconstruction avec le clonage thérapeutique,
les xénogreffes, les organes bio-artificiels, la lutte contre les
maladies cardio-vasculaires... demandent des moyens considérables
qui doivent rester soit au niveau national, soit au sein des centres hospitalo-universitaires.
La loi hospitalière du 31 juillet 1991 portant
réforme hospitalière a créé de nouveaux espaces
de liberté, dans la relation des hôpitaux avec les autorités
de tutelle : il n’y a plus de visa préalable, mais simplement
un contrôle de légalité des délibérations
du conseil d’administration. Les marchés passés par
le directeur sont simplement soumis au contrôle de légalité.
La loi a institué les projets d’établissement, c’est-à-dire
la possibilité d’avoir une démarche stratégique
cohérente et structurante. Elle marque aussi le début de
la politique contractuelle, notion qui a été développée
dans les ordonnances de 1996 avec l’obligation de passer un contrat
d’objectifs et de moyens entre le niveau local et le niveau national.
Mais la loi de 1991 va plus loin car, si elle permet
beaucoup de souplesse dans l’organisation, elle pose aussi le principe
de l’évaluation des pratiques professionnelles. En 1996 s’ajoute
l’obligation d’entrer dans un processus d’accréditation.
La loi de 1991 prévoyait la possibilité pour les établissements
d’instituer un intéressement collectif, les ordonnances de
1996 prévoient la contractualisation avec des Centres de responsabilité.
Enfin, dans les rapports avec l’environnement, le
texte de 1991 laisse la possibilité de créer des groupements
d’intérêt public ou des groupements d’intérêt
économique. Ces espaces de liberté ont encore été
élargis en 1996 avec les groupements de coopération sanitaire.
La loi du 27 juillet 1999 a élargi les compétences des syndicats
inter-hospitaliers sanitaires, qui peuvent maintenant exercer des activités
de soins, et des groupements de coopération sanitaire, qui peuvent
être titulaires d’autorisations d’équipements lourds.
Tous les outils existent pour plus d’autonomie,
plus de coopération entre professionnels de santé à
l’intérieur d’un espace territorial. Tout est prêt
pour le fonctionnement en réseau, pour le maillage d’un territoire.
Reste à résoudre le financement de ces opérations.
C’est une priorité du ministre de la Santé.
Responsabiliser tous les acteurs
Par ailleurs, l’émergence des malades comme
véritables acteurs du système de soins, et le renforcement
du droit des malades, la participation des usagers aux conseils d’administration,
la montée du consumérisme à l’hôpital,
la charte du malade hospitalisé, la présence des parents
comme coproducteurs de soins, l’information sur le dossier médical
créent une perméabilité de plus en plus forte aux
besoins exprimés et renforcent l’accroche au territoire.
Favoriser l’égalité d’accès
aux soins
Enfin, il existe une vraie volonté de remettre
l’homme au cœur du système de santé et de l’activité
hospitalière pour faire évoluer l’organisation des
soins, avec :
- la prise en charge du malade en tant que personne et non pas uniquement
sous l’angle d’un organe à traiter,
- la prise en charge de la dépendance des personnes âgées,
- la présence des parents auprès des enfants,
- la lutte contre la douleur,
- l’accompagnement de la fin de vie,
- l’hospitalisation à domicile,
- les appartements thérapeutiques…
Malgré l’existence de cette boîte à
outils, pourquoi faut-il aller plus loin ?
- Le développement de la contractualisation interne représente
une condition de l’amélioration de la finalité
du service rendu à la population par une optimisation des moyens
qui lui sont consacrés.
- La transformation des Agences régionales d’hospitalisation
en Agences régionales de santé couvrant tout le champ
sanitaire et du médico-social mettra fin à des coupures
artificielles entre les dispositifs.
- L’intercommunalité par rapport à la gestion hospitalière
doit permettre de poser le problème de la présidence
du conseil d’administration de l’hôpital, comme d’ailleurs
pour les centres hospitalo-universitaires qui ont une vocation régionale
ou nationale.
- La santé des Français n’est pas identique selon
les régions et une approche plus territoriale est source de
correction des inégalités et favorise une offre plus
fine et adaptée (en particulier pour certaines pathologies
liées à des situations économiques ou sociales
locales).
- Enfin, l’état de vétusté des hôpitaux
milite pour de nouveaux processus d’organisation de la maîtrise
d’ouvrage, de nouveaux modes de financement, de nouvelles méthodes
de mise en œuvre.
Les réflexions sur la création de sociétés
d’économie mixte portant les projets de construction hospitalière,
l’intervention des régions, les projets en participation public-privé,
la mise à disposition de bâtiments avec engagement sur des
niveaux d’exploitation et de maintenance contractuels sont autant
de pistes à creuser. Il s’agit d’accompagner à
la fois une modernisation des bâtiments et des équipements,
une répartition plus conforme à l’évolution
démographique des territoires et une approche plus décentralisée
de la régulation des investissements hospitaliers, pour une meilleure
réactivité aux impératifs de la modernisation et
des mises aux normes.
Harmoniser l’évolution du système
de santé et celle de l’hôpital
L’hôpital de l’avenir pourrait être
une plate-forme de santé régionale, c’est-à-dire
une tête de réseau, un point de connexion traversé
par un système d’information reliant tous les acteurs de santé
publique ou libérale avec, comme point commun, un identifiant unique
du malade et un dossier médical numérisé et partagé.
L’hôpital reposera de plus en plus sur un système d’information
sophistiqué plutôt que sur un bâtiment monumental.
L’hôpital est de moins en moins un lieu de séjour, et
de plus en plus un lieu de passage.
Ceci va influencer la conception des espaces, où
à côté du plateau technique vont se développer
les surfaces réservés à l’ambulatoire, les espaces
ouverts à d’autres acteurs comme la médecine libérale
ou les associations de malades, des services complémentaires ou
connexes à la santé.
Cet ensemble, vaste lieu d’échange de la
santé, va devenir un point de convergence. Une telle mise en réseau
est complexe, car elle repose sur l’abandon du cloisonnement et du
fractionnement du système. Mais cette mise en miroir, et en contact
de toute la chaîne, va impliquer largement l’abandon de la
séparation nette entre le sanitaire et le social.
Ce regard qui change sur l’environnement, entraîne
un travail avec de nombreux acteurs. Par exemple, les réseaux de
cancérologie ont pour objet de garantir la qualité des soins
en tous points du parcours du patient et de concilier la proximité
et l’égalité des chances au sein du système.
En matière de gérontologie, depuis les ordonnances de 1996,
de nombreux décrets et circulaires ont précisé le
concept du réseau, comme une réponse organisée à
un territoire donné d’un ensemble de professionnels par rapport
aux attentes, aux demandes et aux besoins des personnes âgées.
Les réseaux peuvent relier les établissements
être thématiques, ou être des réseaux de santé
de proximité. Il faut arriver à concilier la nécessaire
organisation décloisonnée avec les besoins du malade.
Si l’hôpital veut rester une des pièces
maîtresses de notre système de santé et répondre
aux besoins futurs sanitaires et sociaux, il devra s’ouvrir sous
les pressions conjuguées des évolutions techniques, de la
démographie médicale et des nouvelles technologies de l’information
et de la communication. Cette mutation devrait être accompagnée
de réflexions autour de l’architecture, de nouvelles procédures
organisationnelles et de complémentarités exprimées
sur des bases régionales. La gestion des médecins devra
se rapprocher du terrain, pour favoriser la rapidité de nomination
et leur adéquation à l’environnement.
Des projets médicaux régionaux servis par
différentes équipes complémentaires et fonctionnant
en réseau permettraient d’éviter les redondances, les
concurrences coûteuses et parfois dangereuses pour les malades et,
en tout cas, des coûts supplémentaires. Il faudra définir
qui prend les initiatives, les gère, les coordonne. Il s’agit
là de rationaliser et d’insérer sur un espace géographique
une organisation des soins territoriaux par spécialité.
Un hôpital référent, communiquant
et transparent
L’hôpital doit répondre au défi
du vieillissement, au défi de travailler avec les autres, au défi
de la prévention, au défi de l’accessibilité
aux soins d’urgence. Compte tenu des bouleversements rapides du médical,
du technique et des systèmes d’information, il serait illusoire
de faire des projections à long terme. Néanmoins, on peut
penser que la plate-forme hospitalière sera conçue :
- autour d’un système logistique à flux tendu,
- d’une rapide accessibilité à tous les éléments
de l’hôpital avec le patient au centre du dispositif. Ce
ne sera plus au malade de se déplacer, mais il sera pris en
charge globalement,
- d’un plateau technique, plus utilisé en amplitude horaire,
et donc plus compact avec une véritable explosion des nouvelles
techniques d’imagerie et des systèmes d’aide à
la décision,
- avec des nouvelles techniques en diagnostic nécessitant,
par exemple, les manipulations cellulaires impliquant une centralisation
et une robotisation des laboratoires.
Enfin, il y aura moins de chambres, l’architecture
sera plus humaine et plus proche de lieux comme une aérogare, un
centre commercial un hôtel. L’autre tendance qui se développe
déjà, c’est la notion de « maisonnée »,
en particulier en gériatrie, unité quasiment pavillonnaire,
parfaitement identifiée au sein d’un bâtiment plus complexe.
Enfin, le bâtiment hospitalier va devoir être sinon flexible,
du moins versatile, c’est-à-dire adaptable.
L’évolutivité du bâtiment va
devenir une exigence, car comment savoir quel sera le service, quelle
sera la discipline qui va se développer ou s’atrophier dans
dix ans ? La conception doit donc être prospective, en particulier
en ce qui concerne les réseaux techniques et les trames de structures.
Si des valeurs hospitalières qui ont inspiré
tant de générations d’hospitaliers comme l’accueil,
l’égalité et la qualité des soins renvoient
à un long processus historique, les valeurs d’humanité
et de fraternité vont revenir au même niveau que les attentes
de technicité. L’hôpital encore trop centré sur
une logique d’organisation interne et non pas sur les besoins des
personnes malades, l’hôpital malade de cloisonnement et de
corporatisme, doit développer de nouvelles idées de solidarité
et de rapprochement des activités sanitaires, sociales, d’enseignement,
de recherche et de prévention. Les métiers doivent évoluer,
se moderniser ; la formation et la qualification professionnelle sont
des enjeux majeurs pour réussir cette nouvelle transformation de
l’hôpital et du système de santé.
L’hôpital qui se fond dans une communauté
d’agglomérations, qui attire, informe et soigne, est la composante
centrale de la chaîne de santé en train de se mettre en place
au profit des citoyens. Une approche plus locale, plus différenciée,
plus expérimentale, une approche territoriale de la santé
constitue un enjeu majeur pour la décentralisation encore à
parfaire et à poursuivre pour donner la même espérance
de vie à tous les Français, où qu’ils habitent,
avec des réponses adaptées aux besoins des bassins de vie.
Bibliographie
- Pour une approche territoriale de la santé, dirigé par Emmanuel Vigneron, préface de Claude Evin, Editions de l’Aube, 2003
- Santé et territoires, une nouvelle donne, dirigé par Emmanuel Vigneron, préface de Jacques Barrot, Editions de l’Aube, 2003
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/sante-plaidoyer-pour-une-approche-territoriale.html?item_id=2467
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