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Guy BERNFELD

était, au moment de la rédaction de cet article, directeur du patrimoine et de la Logistique d'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris*

* Depuis le 1er février 2003, Guy Bernfeld a rejoint la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts (SCIC) comme membre du comité exécutif, président du pôle des services de l’immobilier

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Santé : plaidoyer pour une approche territoriale

Dans le débat politique, social ou économique, la santé constitue un enjeu national, sinon européen, quel qu’en soit l’angle d’approche. L’avenir du système hospitalier public, la démographie médicale, l’égalité républicaine d’accès aux soins et sa répartition géographique, le vieillissement de la population, le financement du système de santé sont les thèmes actuellement les plus débattus.

Le président de la République a mis en exergue, pour son mandat, trois grands chantiers, qui ont ou auront un impact direct ou indirect sur le système de santé et particulièrement en matière de politique de prévention : le Plan national Cancer, l’intégration sociale des handicapés, la sécurité routière. Or, si le malade a besoin d’un point d’entrée facile pour accéder aux soins, le système est de fait très éclaté entre hôpitaux généraux et centres hospitalo-universitaires, médecine libérale, cliniques privées, hôpitaux privés ou relevant de fondations participant au service public hospitalier.

La séparation juridique entre le médico-social et le sanitaire crée aussi des lignes de rupture, là où la continuité serait nécessaire. La frontière est parfois incompréhensible sur le plan humain entre l’hôpital de soins de suite et de réadaptation à vocation gériatrique, la maison médicalisée et la maison de retraite, bien que très codifiée sur le plan de la réglementation et de la tarification.

Ce qui caractérise avant tout la réflexion sur la santé et la décentralisation de la politique de santé, c’est la complexité. Complexité de l’évolution des besoins de santé, de la gestion hospitalière, de la création de réseaux de soins privés/ publics avec la notion de continuum et de prise en charge globale du malade. Complexité de la demande territoriale de proximité, avec le besoin d’une offre très spécialisée et l’émergence de la télémédecine qui abolit l’espace géographique. Complexité de la recherche des bonnes liaisons entre les politiques de prévention et de santé publique, l’enseignement, la recherche, les soins et la valorisation par le biais de biotechnologies…

Privilégier la logique territoriale

La volonté de décentralisation du Premier ministre, l’expérimentation possible dans le domaine de l’éducation ou de la santé, rejoignent les préoccupations des ministères sociaux et des grands établissements publics en matière de stratégie territoriale.

L’Inspection générale des affaires sociales a produit, dans son rapport annuel 2001, une analyse sur les politiques sociales de l’Etat et les territoires. Les rédacteurs de ce rapport montrent que la santé a été l’un des premiers thèmes à bénéficier de la « territorialisation », « en tenant compte de la dynamique créée par l’intercommunalité et les pays et en procédant à des ajustements de périmètre pour être véritablement efficace » 1.

A l’instar de la mise en place des Agences régionales d’hospitalisation à partir des ordonnances de 1996, et de celle des schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS), des conférences régionales et des programmes régionaux de santé, la Région semble être pour les rédacteurs de ce rapport l’échelon le plus pertinent pour une stratégie territoriale. A l’interface entre le niveau central et les territoires de proximité, l’échelon régional s’affirme peu à peu comme le niveau stratégique de la déconcentration et de la mise en cohérence des projets territoriaux.

Les questions qui se posent sont nombreuses. Comment, à la fois, avoir un système de santé plus proche des besoins de la population, bien adapté en offre de soins, mais aussi aux rythmes de la vie des citadins d’aujourd’hui ? Comment offrir cette proximité, la rendre accessible à la fois physiquement par des transports publics, des capacités de stationnement, mais aussi compréhensible, lisible par des centres d’information, d’orientation, de prédiagnostic ? Comment avoir un deuxième avis ? Comment éviter de faire des urgences de l’hospitalisation publique l’ultime recours et le lieu de cette orientation ?

Face au besoin de proximité revendiqué par les citoyens, mais aussi largement par les élus, comment garantir la sécurité, des équipes en nombre suffisant de soignants et médecins, un plateau technique bien équipé ?

Concilier offre locale et offre régionale ou nationale

Or, en plus de cette offre locale, il faut nécessairement une offre nationale ou régionale mêlant étroitement soins, enseignement et recherche. La génomique, les neurosciences, la lutte contre le cancer, la recherche concernant les maladies d’Alzheimer et de Parkinson, la reconstruction avec le clonage thérapeutique, les xénogreffes, les organes bio-artificiels, la lutte contre les maladies cardio-vasculaires... demandent des moyens considérables qui doivent rester soit au niveau national, soit au sein des centres hospitalo-universitaires.

La loi hospitalière du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière a créé de nouveaux espaces de liberté, dans la relation des hôpitaux avec les autorités de tutelle : il n’y a plus de visa préalable, mais simplement un contrôle de légalité des délibérations du conseil d’administration. Les marchés passés par le directeur sont simplement soumis au contrôle de légalité. La loi a institué les projets d’établissement, c’est-à-dire la possibilité d’avoir une démarche stratégique cohérente et structurante. Elle marque aussi le début de la politique contractuelle, notion qui a été développée dans les ordonnances de 1996 avec l’obligation de passer un contrat d’objectifs et de moyens entre le niveau local et le niveau national.

Mais la loi de 1991 va plus loin car, si elle permet beaucoup de souplesse dans l’organisation, elle pose aussi le principe de l’évaluation des pratiques professionnelles. En 1996 s’ajoute l’obligation d’entrer dans un processus d’accréditation. La loi de 1991 prévoyait la possibilité pour les établissements d’instituer un intéressement collectif, les ordonnances de 1996 prévoient la contractualisation avec des Centres de responsabilité.

Enfin, dans les rapports avec l’environnement, le texte de 1991 laisse la possibilité de créer des groupements d’intérêt public ou des groupements d’intérêt économique. Ces espaces de liberté ont encore été élargis en 1996 avec les groupements de coopération sanitaire. La loi du 27 juillet 1999 a élargi les compétences des syndicats inter-hospitaliers sanitaires, qui peuvent maintenant exercer des activités de soins, et des groupements de coopération sanitaire, qui peuvent être titulaires d’autorisations d’équipements lourds.

Tous les outils existent pour plus d’autonomie, plus de coopération entre professionnels de santé à l’intérieur d’un espace territorial. Tout est prêt pour le fonctionnement en réseau, pour le maillage d’un territoire. Reste à résoudre le financement de ces opérations. C’est une priorité du ministre de la Santé.

Responsabiliser tous les acteurs

Par ailleurs, l’émergence des malades comme véritables acteurs du système de soins, et le renforcement du droit des malades, la participation des usagers aux conseils d’administration, la montée du consumérisme à l’hôpital, la charte du malade hospitalisé, la présence des parents comme coproducteurs de soins, l’information sur le dossier médical créent une perméabilité de plus en plus forte aux besoins exprimés et renforcent l’accroche au territoire.

Favoriser l’égalité d’accès aux soins

Enfin, il existe une vraie volonté de remettre l’homme au cœur du système de santé et de l’activité hospitalière pour faire évoluer l’organisation des soins, avec :

  • la prise en charge du malade en tant que personne et non pas uniquement sous l’angle d’un organe à traiter,
  • la prise en charge de la dépendance des personnes âgées,
  • la présence des parents auprès des enfants,
  • la lutte contre la douleur,
  • l’accompagnement de la fin de vie,
  • l’hospitalisation à domicile,
  • les appartements thérapeutiques…

Malgré l’existence de cette boîte à outils, pourquoi faut-il aller plus loin ?

  • Le développement de la contractualisation interne représente une condition de l’amélioration de la finalité du service rendu à la population par une optimisation des moyens qui lui sont consacrés.
  • La transformation des Agences régionales d’hospitalisation en Agences régionales de santé couvrant tout le champ sanitaire et du médico-social mettra fin à des coupures artificielles entre les dispositifs.
  • L’intercommunalité par rapport à la gestion hospitalière doit permettre de poser le problème de la présidence du conseil d’administration de l’hôpital, comme d’ailleurs pour les centres hospitalo-universitaires qui ont une vocation régionale ou nationale.
  • La santé des Français n’est pas identique selon les régions et une approche plus territoriale est source de correction des inégalités et favorise une offre plus fine et adaptée (en particulier pour certaines pathologies liées à des situations économiques ou sociales locales).
  • Enfin, l’état de vétusté des hôpitaux milite pour de nouveaux processus d’organisation de la maîtrise d’ouvrage, de nouveaux modes de financement, de nouvelles méthodes de mise en œuvre.

Les réflexions sur la création de sociétés d’économie mixte portant les projets de construction hospitalière, l’intervention des régions, les projets en participation public-privé, la mise à disposition de bâtiments avec engagement sur des niveaux d’exploitation et de maintenance contractuels sont autant de pistes à creuser. Il s’agit d’accompagner à la fois une modernisation des bâtiments et des équipements, une répartition plus conforme à l’évolution démographique des territoires et une approche plus décentralisée de la régulation des investissements hospitaliers, pour une meilleure réactivité aux impératifs de la modernisation et des mises aux normes.

Harmoniser l’évolution du système de santé et celle de l’hôpital

L’hôpital de l’avenir pourrait être une plate-forme de santé régionale, c’est-à-dire une tête de réseau, un point de connexion traversé par un système d’information reliant tous les acteurs de santé publique ou libérale avec, comme point commun, un identifiant unique du malade et un dossier médical numérisé et partagé. L’hôpital reposera de plus en plus sur un système d’information sophistiqué plutôt que sur un bâtiment monumental. L’hôpital est de moins en moins un lieu de séjour, et de plus en plus un lieu de passage.

Ceci va influencer la conception des espaces, où à côté du plateau technique vont se développer les surfaces réservés à l’ambulatoire, les espaces ouverts à d’autres acteurs comme la médecine libérale ou les associations de malades, des services complémentaires ou connexes à la santé.

Cet ensemble, vaste lieu d’échange de la santé, va devenir un point de convergence. Une telle mise en réseau est complexe, car elle repose sur l’abandon du cloisonnement et du fractionnement du système. Mais cette mise en miroir, et en contact de toute la chaîne, va impliquer largement l’abandon de la séparation nette entre le sanitaire et le social.

Ce regard qui change sur l’environnement, entraîne un travail avec de nombreux acteurs. Par exemple, les réseaux de cancérologie ont pour objet de garantir la qualité des soins en tous points du parcours du patient et de concilier la proximité et l’égalité des chances au sein du système. En matière de gérontologie, depuis les ordonnances de 1996, de nombreux décrets et circulaires ont précisé le concept du réseau, comme une réponse organisée à un territoire donné d’un ensemble de professionnels par rapport aux attentes, aux demandes et aux besoins des personnes âgées.

Les réseaux peuvent relier les établissements être thématiques, ou être des réseaux de santé de proximité. Il faut arriver à concilier la nécessaire organisation décloisonnée avec les besoins du malade.

Si l’hôpital veut rester une des pièces maîtresses de notre système de santé et répondre aux besoins futurs sanitaires et sociaux, il devra s’ouvrir sous les pressions conjuguées des évolutions techniques, de la démographie médicale et des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Cette mutation devrait être accompagnée de réflexions autour de l’architecture, de nouvelles procédures organisationnelles et de complémentarités exprimées sur des bases régionales. La gestion des médecins devra se rapprocher du terrain, pour favoriser la rapidité de nomination et leur adéquation à l’environnement.

Des projets médicaux régionaux servis par différentes équipes complémentaires et fonctionnant en réseau permettraient d’éviter les redondances, les concurrences coûteuses et parfois dangereuses pour les malades et, en tout cas, des coûts supplémentaires. Il faudra définir qui prend les initiatives, les gère, les coordonne. Il s’agit là de rationaliser et d’insérer sur un espace géographique une organisation des soins territoriaux par spécialité.

Un hôpital référent, communiquant et transparent

L’hôpital doit répondre au défi du vieillissement, au défi de travailler avec les autres, au défi de la prévention, au défi de l’accessibilité aux soins d’urgence. Compte tenu des bouleversements rapides du médical, du technique et des systèmes d’information, il serait illusoire de faire des projections à long terme. Néanmoins, on peut penser que la plate-forme hospitalière sera conçue :

  • autour d’un système logistique à flux tendu,
  • d’une rapide accessibilité à tous les éléments de l’hôpital avec le patient au centre du dispositif. Ce ne sera plus au malade de se déplacer, mais il sera pris en charge globalement,
  • d’un plateau technique, plus utilisé en amplitude horaire, et donc plus compact avec une véritable explosion des nouvelles techniques d’imagerie et des systèmes d’aide à la décision,
  • avec des nouvelles techniques en diagnostic nécessitant, par exemple, les manipulations cellulaires impliquant une centralisation et une robotisation des laboratoires.

Enfin, il y aura moins de chambres, l’architecture sera plus humaine et plus proche de lieux comme une aérogare, un centre commercial un hôtel. L’autre tendance qui se développe déjà, c’est la notion de « maisonnée », en particulier en gériatrie, unité quasiment pavillonnaire, parfaitement identifiée au sein d’un bâtiment plus complexe. Enfin, le bâtiment hospitalier va devoir être sinon flexible, du moins versatile, c’est-à-dire adaptable.

L’évolutivité du bâtiment va devenir une exigence, car comment savoir quel sera le service, quelle sera la discipline qui va se développer ou s’atrophier dans dix ans ? La conception doit donc être prospective, en particulier en ce qui concerne les réseaux techniques et les trames de structures.

Si des valeurs hospitalières qui ont inspiré tant de générations d’hospitaliers comme l’accueil, l’égalité et la qualité des soins renvoient à un long processus historique, les valeurs d’humanité et de fraternité vont revenir au même niveau que les attentes de technicité. L’hôpital encore trop centré sur une logique d’organisation interne et non pas sur les besoins des personnes malades, l’hôpital malade de cloisonnement et de corporatisme, doit développer de nouvelles idées de solidarité et de rapprochement des activités sanitaires, sociales, d’enseignement, de recherche et de prévention. Les métiers doivent évoluer, se moderniser ; la formation et la qualification professionnelle sont des enjeux majeurs pour réussir cette nouvelle transformation de l’hôpital et du système de santé.

L’hôpital qui se fond dans une communauté d’agglomérations, qui attire, informe et soigne, est la composante centrale de la chaîne de santé en train de se mettre en place au profit des citoyens. Une approche plus locale, plus différenciée, plus expérimentale, une approche territoriale de la santé constitue un enjeu majeur pour la décentralisation encore à parfaire et à poursuivre pour donner la même espérance de vie à tous les Français, où qu’ils habitent, avec des réponses adaptées aux besoins des bassins de vie.

Bibliographie

  • Pour une approche territoriale de la santé, dirigé par Emmanuel Vigneron, préface de Claude Evin, Editions de l’Aube, 2003
  • Santé et territoires, une nouvelle donne, dirigé par Emmanuel Vigneron, préface de Jacques Barrot, Editions de l’Aube, 2003
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/sante-plaidoyer-pour-une-approche-territoriale.html?item_id=2467
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