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est économiste, directeur de recherche au CNRS et conseiller à la direction de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI)
Foncier : saisir les opportunités
La réforme régionale pourrait permettre
l’émergence d’un niveau de responsabilité adapté,
entre la commune et l’Etat, pour définir le droit et encadrer
la pratique de l’urbanisme.
La question foncière est récurrente. Jamais
définitivement résolue, elle suscite depuis longtemps les
mêmes demandes – bien légitimes – aux pouvoirs
publics de la part des milieux de la construction, en priorité
celle d’assurer un approvisionnement régulier en terrains
à bâtir bien situés, à des prix raisonnables.
L’énoncé même de cette demande met en évidence
toute la difficulté pour définir et mettre en œuvre
les politiques adéquates, dans un cadre de propriété
privée des terrains.
Dans ce contexte général, une question
spécifique est celle du bon degré de responsabilité
pour mener des politiques foncières. Longtemps exercée de
façon centralisée, en particulier par des politiques de
planification urbaine et de constitution de réserves foncières,
souvent par intervention directe de l’Etat ou d’établissements
publics ad hoc sur les marchés fonciers, cette politique est aujourd’hui
très largement décentralisée, essentiellement placée
sous la responsabilité des communes. La nouvelle loi de décentralisation,
impliquant surtout les régions, actuellement en préparation,
devrait permettre une avancée supplémentaire.
Les malentendus de l’offre foncière
Quels ont été les résultats de la
décentralisation en matière d’offre foncière
? Et que peut-on penser de l’accroissement du rôle des régions
en la matière ?
Un premier point doit attirer notre attention : que signifie
en réalité la « pénurie foncière »,
souvent dénoncée, qui serait responsable de tous nos maux,
en particulier de la hausse du coût des produits immobiliers ? Y
a-t-il manque de terrains à bâtir, des réglementations
trop restrictives tarissent-elles le gisement foncier, faisant alors monter
le prix des terrains ?
Suivant ce raisonnement mécaniste, la thérapeutique
à appliquer serait alors assez simple : il suffirait de déréglementer,
de faire des plans d’urbanisme plus généreux en droits
à bâtir, d’appliquer avec souplesse les règles,
et l’abondance de l’offre conduirait ipso facto à la
réduction du prix des terrains.
L’apparente rigueur de ce raisonnement se heurte,
à défaut de contre-preuve théorique incontestable,
à la rude épreuve des faits : les politiques d’offre
foncière, fondées le plus souvent à la fois sur la
déréglementation et l’offre de terrains publics, se
sont très généralement montrées contre-productives.
Dans le cas de la France, on peut rappeler, par exemple,
au début des années soixante-dix, la politique « Chalandon
» de déréglementation généralisée
; à la fin de cette même décennie, la création
de « brigades de déblocage des permis de construire »
; ou encore, la politique menée au milieu des années quatre-vingt,
d’abord avec la déréglementation du marché des
bureaux suivie de l’ambitieuse loi Méhaignerie de 1986, comprenant
un important volet de déréglementation.
Dans les trois cas, suivant des modalités distinctes
et bien évidemment dans des contextes différents, l’effet
obtenu a été inverse de celui espéré : même
si le lien causal ne peut être strictement établi, on observe
que la déréglementation a été suivie par une
augmentation marquée des prix fonciers et, par suite, des produits
immobiliers.
Le cas français n’est pas isolé, la
concomitance des deux phénomènes est fréquente, pour
ne pas dire générale. On peut prendre l’exemple très
manifeste de la Grande-Bretagne, qui a mené au début des
années quatre-vingt une politique musclée d’offre foncière,
avec l’ensemble de la panoplie, déréglementation, offre
foncière publique, le tout assorti de menaces de désaveu
pour les municipalités qui manifesteraient une politique trop restrictive
en matière de délivrance de « planning permissions
».
Confusion entre offre foncière théorique
et offre réelle
Tel était l’objet de la circulaire (white
paper - Livre blanc) de 1985 lifting the burden (pour alléger le
fardeau), qui menaçait les communes dans ce cas, d’examiner
avec faveur les demandes qui lui parviendraient des promoteurs (en Angleterre,
les plans locaux d’urbanisme ne sont pas strictement opposables aux
tiers, et le promoteur à qui la collectivité locale a refusé
un permis peut faire appel directement au ministre pour lui demander de
réviser la décision). Les années qui ont suivi ont
donné lieu à une très vive croissance des prix fonciers…
L’explication ne va pas de soi, elle dépend
évidemment du contexte macroéconomique, généralement
haussier dans ces circonstances. Elle résulte certainement aussi
d’une réaction psychologique rationnelle de la part de propriétaires
fonciers, qui pensent opportun de conserver leur bien dès lors
que les pouvoirs publics soulignent l’existence de pressions sur
les marchés. Mais plus largement, cette inadéquation des
politiques menées provient d’une confusion entre l’offre
foncière potentielle, ou théorique, à savoir les
terrains constructibles au sens de la réglementation, et l’offre
réelle, c’est-à-dire les terrains effectivement proposés
à la vente. Le raisonnement en termes d’offre foncière
n’est pas suffisant, il importe de raisonner en termes de «
production foncière », autrement dit d’observer l’ensemble
de la chaîne qui conduit à la construction effective (réglementation,
incitations financières, notamment fiscales, éventuellement
obligation de mise sur le marché).
Quel niveau de décision ?
Cette question conduit à s’interroger sur
l’articulation adéquate entre les différents niveaux
de collectivités publiques pour mener une politique foncière.
Sur ce point, la France est dans une situation particulière puisqu’elle
est passée du système probablement le plus centralisé
en Europe à une configuration extrêmement décentralisée,
le pouvoir municipal – et de façon croissante intercommunal
– n’étant que très partiellement contrebalancé
par un niveau supérieur, en l’occurrence celui de l’Etat,
qui est peut-être trop éloigné des réalités
du terrain pour une intervention pertinente en la matière.
De façon très synthétique, on peut
dire que cette extrême décentralisation conduit à
un paradoxe, ou plus précisément à un comportement
souvent ambivalent des communes, qui ont tendance à pratiquer une
politique urbaine très flexible, révisant ou adaptant assez
facilement leur POS (maintenant PLU) limitant la prolifération
des réglementations. C’est que les propriétaires fonciers
sont aussi des électeurs qui peuvent être sensibles à
une certaine générosité dans la distribution des
permis de construire...
Mais en même temps, cette politique flexible peut
fort bien s’accompagner d’une politique malthusienne dans la
pratique de la mise en œuvre des règles. Le chemin qui mène
du terrain nu inconstructible à la délivrance du permis
et à la pose de la première pierre n’est pas un long
fleuve tranquille ; c’est un chemin cahotique parsemé d’épines
et de ronces, et le maire qui ne souhaite pas que la construction se développe
dans sa commune dispose de toutes les possibilités imaginables
pour y parvenir.
C’est en particulier le cas pour certaines formes
de construction, des logements sociaux par exemple, ou pour ces équipements
dont personne ne veut – à moins que la manne correspondante
en taxe professionnelle soit vraiment conséquente. Or, nulle règle
n’impose à un maire de développer sa commune, si l’on
excepte l’incitation au rééquilibrage social issue
de la loi SRU – la proportion de 20 % de logements sociaux –
d’ailleurs en cours de réaménagement dans la loi en
préparation.
Mais on peut aussi penser que l’intervention d’un
échelon intermédiaire entre la commune et l’Etat devrait
permettre de concevoir et de mettre en œuvre des politiques foncières
plus adéquates : il serait en effet suffisamment loin pour être
à l’abri des pressions de la propriété foncière,
et en même temps pas trop éloigné pour tenir compte
de la spécificité des territoires. Les Länder allemands
offrent un bon exemple de ce que peut être une politique foncière
décentralisée, à un échelon qui à la
fois fixe une règle du jeu adaptée à un territoire
particulier et en contrôle la mise en œuvre par les collectivités
locales, par exemple pour faire obstacle à des politiques malthusiennes.
Les politiques menées par les cantons suisses sont une autre illustration
intéressante de l’intervention d’un niveau intermédiaire.
La récente décision de la Cour constitutionnelle
espagnole qui invalide l’essentiel de la législation nationale
en matière d’urbanisme pour la confier aux régions
(« Comunidades autonomas ») offre un autre enseignement intéressant
sur cette question de la répartition des pouvoirs pour mener une
politique foncière assurant un meilleur équilibre entre
le respect des garanties de la propriété foncière,
les nécessités du (re)développement urbain et un
bon équilibre des territoires.
La mise en œuvre en France de la réforme régionale actuellement en gestation pourrait être une opportunité – au prix de l’acceptation par l’Etat d’une diminution importante de son rôle – d’une véritable réforme du droit et de la pratique de l’urbanisme et de la politique foncière
Bibliographie
- Les politiques foncières, Joseph Comby et Vincent Renard, PUF collections « Que sais-je », Paris, 1996
- Towards an urban renaissance, Detr (Department of the Environement, transportation and the Regions), GB, Report of the Urban Task Force chaired by Lord Rogers of Riverside, 1999
- Urbanisme: pour un pouvoir d’agglomération, Vincent Renard, in “La décentralisation en France », Ouvrage collectif réalisé par l’Institut de la décentralisation. La Découverte, Paris pp. 237 à 246, 1996
- Local policy for housing development, Roelof Verhage, European experiences, Ashgate, GB, 2002
- L’aménagement urbain en France. Une approche systémique, Thierry Vilmin, ministère de l’Equipement, Certu, 1999
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/foncier-saisir-les-opportunites.html?item_id=2469
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