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Vincent RENARD

est économiste, directeur de recherche au CNRS et conseiller à la direction de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI)

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Foncier : saisir les opportunités

La réforme régionale pourrait permettre l’émergence d’un niveau de responsabilité adapté, entre la commune et l’Etat, pour définir le droit et encadrer la pratique de l’urbanisme.

La question foncière est récurrente. Jamais définitivement résolue, elle suscite depuis longtemps les mêmes demandes – bien légitimes – aux pouvoirs publics de la part des milieux de la construction, en priorité celle d’assurer un approvisionnement régulier en terrains à bâtir bien situés, à des prix raisonnables. L’énoncé même de cette demande met en évidence toute la difficulté pour définir et mettre en œuvre les politiques adéquates, dans un cadre de propriété privée des terrains.

Dans ce contexte général, une question spécifique est celle du bon degré de responsabilité pour mener des politiques foncières. Longtemps exercée de façon centralisée, en particulier par des politiques de planification urbaine et de constitution de réserves foncières, souvent par intervention directe de l’Etat ou d’établissements publics ad hoc sur les marchés fonciers, cette politique est aujourd’hui très largement décentralisée, essentiellement placée sous la responsabilité des communes. La nouvelle loi de décentralisation, impliquant surtout les régions, actuellement en préparation, devrait permettre une avancée supplémentaire.

Les malentendus de l’offre foncière

Quels ont été les résultats de la décentralisation en matière d’offre foncière ? Et que peut-on penser de l’accroissement du rôle des régions en la matière ?

Un premier point doit attirer notre attention : que signifie en réalité la « pénurie foncière », souvent dénoncée, qui serait responsable de tous nos maux, en particulier de la hausse du coût des produits immobiliers ? Y a-t-il manque de terrains à bâtir, des réglementations trop restrictives tarissent-elles le gisement foncier, faisant alors monter le prix des terrains ?

Suivant ce raisonnement mécaniste, la thérapeutique à appliquer serait alors assez simple : il suffirait de déréglementer, de faire des plans d’urbanisme plus généreux en droits à bâtir, d’appliquer avec souplesse les règles, et l’abondance de l’offre conduirait ipso facto à la réduction du prix des terrains.

L’apparente rigueur de ce raisonnement se heurte, à défaut de contre-preuve théorique incontestable, à la rude épreuve des faits : les politiques d’offre foncière, fondées le plus souvent à la fois sur la déréglementation et l’offre de terrains publics, se sont très généralement montrées contre-productives.

Dans le cas de la France, on peut rappeler, par exemple, au début des années soixante-dix, la politique « Chalandon » de déréglementation généralisée ; à la fin de cette même décennie, la création de « brigades de déblocage des permis de construire » ; ou encore, la politique menée au milieu des années quatre-vingt, d’abord avec la déréglementation du marché des bureaux suivie de l’ambitieuse loi Méhaignerie de 1986, comprenant un important volet de déréglementation.

Dans les trois cas, suivant des modalités distinctes et bien évidemment dans des contextes différents, l’effet obtenu a été inverse de celui espéré : même si le lien causal ne peut être strictement établi, on observe que la déréglementation a été suivie par une augmentation marquée des prix fonciers et, par suite, des produits immobiliers.

Le cas français n’est pas isolé, la concomitance des deux phénomènes est fréquente, pour ne pas dire générale. On peut prendre l’exemple très manifeste de la Grande-Bretagne, qui a mené au début des années quatre-vingt une politique musclée d’offre foncière, avec l’ensemble de la panoplie, déréglementation, offre foncière publique, le tout assorti de menaces de désaveu pour les municipalités qui manifesteraient une politique trop restrictive en matière de délivrance de « planning permissions ».

Confusion entre offre foncière théorique et offre réelle

Tel était l’objet de la circulaire (white paper - Livre blanc) de 1985 lifting the burden (pour alléger le fardeau), qui menaçait les communes dans ce cas, d’examiner avec faveur les demandes qui lui parviendraient des promoteurs (en Angleterre, les plans locaux d’urbanisme ne sont pas strictement opposables aux tiers, et le promoteur à qui la collectivité locale a refusé un permis peut faire appel directement au ministre pour lui demander de réviser la décision). Les années qui ont suivi ont donné lieu à une très vive croissance des prix fonciers…

L’explication ne va pas de soi, elle dépend évidemment du contexte macroéconomique, généralement haussier dans ces circonstances. Elle résulte certainement aussi d’une réaction psychologique rationnelle de la part de propriétaires fonciers, qui pensent opportun de conserver leur bien dès lors que les pouvoirs publics soulignent l’existence de pressions sur les marchés. Mais plus largement, cette inadéquation des politiques menées provient d’une confusion entre l’offre foncière potentielle, ou théorique, à savoir les terrains constructibles au sens de la réglementation, et l’offre réelle, c’est-à-dire les terrains effectivement proposés à la vente. Le raisonnement en termes d’offre foncière n’est pas suffisant, il importe de raisonner en termes de « production foncière », autrement dit d’observer l’ensemble de la chaîne qui conduit à la construction effective (réglementation, incitations financières, notamment fiscales, éventuellement obligation de mise sur le marché).

Quel niveau de décision ?

Cette question conduit à s’interroger sur l’articulation adéquate entre les différents niveaux de collectivités publiques pour mener une politique foncière. Sur ce point, la France est dans une situation particulière puisqu’elle est passée du système probablement le plus centralisé en Europe à une configuration extrêmement décentralisée, le pouvoir municipal – et de façon croissante intercommunal – n’étant que très partiellement contrebalancé par un niveau supérieur, en l’occurrence celui de l’Etat, qui est peut-être trop éloigné des réalités du terrain pour une intervention pertinente en la matière.

De façon très synthétique, on peut dire que cette extrême décentralisation conduit à un paradoxe, ou plus précisément à un comportement souvent ambivalent des communes, qui ont tendance à pratiquer une politique urbaine très flexible, révisant ou adaptant assez facilement leur POS (maintenant PLU) limitant la prolifération des réglementations. C’est que les propriétaires fonciers sont aussi des électeurs qui peuvent être sensibles à une certaine générosité dans la distribution des permis de construire...

Mais en même temps, cette politique flexible peut fort bien s’accompagner d’une politique malthusienne dans la pratique de la mise en œuvre des règles. Le chemin qui mène du terrain nu inconstructible à la délivrance du permis et à la pose de la première pierre n’est pas un long fleuve tranquille ; c’est un chemin cahotique parsemé d’épines et de ronces, et le maire qui ne souhaite pas que la construction se développe dans sa commune dispose de toutes les possibilités imaginables pour y parvenir.

C’est en particulier le cas pour certaines formes de construction, des logements sociaux par exemple, ou pour ces équipements dont personne ne veut – à moins que la manne correspondante en taxe professionnelle soit vraiment conséquente. Or, nulle règle n’impose à un maire de développer sa commune, si l’on excepte l’incitation au rééquilibrage social issue de la loi SRU – la proportion de 20 % de logements sociaux – d’ailleurs en cours de réaménagement dans la loi en préparation.

Mais on peut aussi penser que l’intervention d’un échelon intermédiaire entre la commune et l’Etat devrait permettre de concevoir et de mettre en œuvre des politiques foncières plus adéquates : il serait en effet suffisamment loin pour être à l’abri des pressions de la propriété foncière, et en même temps pas trop éloigné pour tenir compte de la spécificité des territoires. Les Länder allemands offrent un bon exemple de ce que peut être une politique foncière décentralisée, à un échelon qui à la fois fixe une règle du jeu adaptée à un territoire particulier et en contrôle la mise en œuvre par les collectivités locales, par exemple pour faire obstacle à des politiques malthusiennes. Les politiques menées par les cantons suisses sont une autre illustration intéressante de l’intervention d’un niveau intermédiaire.

La récente décision de la Cour constitutionnelle espagnole qui invalide l’essentiel de la législation nationale en matière d’urbanisme pour la confier aux régions (« Comunidades autonomas ») offre un autre enseignement intéressant sur cette question de la répartition des pouvoirs pour mener une politique foncière assurant un meilleur équilibre entre le respect des garanties de la propriété foncière, les nécessités du (re)développement urbain et un bon équilibre des territoires.

La mise en œuvre en France de la réforme régionale actuellement en gestation pourrait être une opportunité – au prix de l’acceptation par l’Etat d’une diminution importante de son rôle – d’une véritable réforme du droit et de la pratique de l’urbanisme et de la politique foncière

Bibliographie

  • Les politiques foncières, Joseph Comby et Vincent Renard, PUF collections « Que sais-je », Paris, 1996
  • Towards an urban renaissance, Detr (Department of the Environement, transportation and the Regions), GB, Report of the Urban Task Force chaired by Lord Rogers of Riverside, 1999
  • Urbanisme: pour un pouvoir d’agglomération, Vincent Renard, in “La décentralisation en France », Ouvrage collectif réalisé par l’Institut de la décentralisation. La Découverte, Paris pp. 237 à 246, 1996
  • Local policy for housing development, Roelof Verhage, European experiences, Ashgate, GB, 2002
  • L’aménagement urbain en France. Une approche systémique, Thierry Vilmin, ministère de l’Equipement, Certu, 1999
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/foncier-saisir-les-opportunites.html?item_id=2469
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