Effet de serre : mythes et réalités
Face à un réchauffement annoncé
de la planète dont il tempère les estimations, André
Fourçans plaide pour une stratégie progressive des pays
riches visant, par des investissements lourds dans la recherche sur les
technologies propres, à aider les pays en développement
à engager des politiques de croissance moins polluantes.
L’effet de serre, vous connaissez ? Il faudrait
être sourd et aveugle pour l’ignorer. Un iceberg qui se brise,
des pluies inattendues, un été accablant et voilà
notre effet de serre, et le changement climatique qui va avec, immédiatement
mis en cause. D’aucuns vont même jusqu’à considérer
qu’il y a là pour notre nouveau siècle un défi
au moins équivalent à celui des guerres du XXe siècle.
Fort heureusement, nous n’en sommes pas encore là.
Il reste que le sujet est d’une importance cruciale. Il est par ailleurs
hautement viscéral. Et les débats médiatiques aussi
bien que les opinions les plus en vue ne sont souvent que cela, des opinions,
qui ont un peu trop tendance à faire fi des connaissances scientifiques,
ou à en oublier les zones grises. Il convient donc de mettre un
peu de raison dans les débats. Et d’en examiner les tenants
et les aboutissants, non seulement en matière climatique mais également
en ce qui concerne l’économie de l’effet de serre car,
oui, c’est un problème économique par excellence.
Les scénarios de température
De combien pourrait monter la température au cours
du xxie siècle ? D’après le Groupe intergouvernemental
d’experts pour l’étude du climat (GIEC) mis en place
sous l’égide de l’ONU, le réchauffement devrait
se situer entre 1,4 °C et 5,8 °C1.
Plusieurs remarques sur ces chiffres sortis des ordinateurs.
Il s’agit de simulations et non de prévisions proprement dites,
fondées sur diverses hypothèses concernant les mécanismes
climatologiques, mais aussi les évolutions démographiques,
la croissance économique, l’utilisation des ressources naturelles
et les changements technologiques (d’où l’on voit, pour
ceux qui en douteraient, l’importance cruciale de l’économie
en matière de climatologie). Lesquelles de ces hypothèses
seront les bonnes ?
Impossible à savoir. Il ne faut donc jamais oublier
l’incertitude qui pèse sur les modèles, ce qui ne veut
pas dire qu’ils doivent être mis au rebut, mais qu’il
faut en interpréter les résultats avec prudence. Et ne pas
affirmer, comme on le fait trop souvent, que ces résultats sont
sûrs, ou pis, que le GIEC aurait « prouvé » que
la hausse du thermomètre à attendre serait de 5,8 °C2.
Des experts du célèbre Massachusetts Institute
of Technology (MIT), qui ont décortiqué la question, estiment
qu’il y aurait une chance sur cent pour que l’augmentation soit
de 5,8 °C en 2100 ! En fait, d’après la quasi-totalité
des travaux sur la question, l’estimation moyenne tourne autour de
+ 2,5 °C sur le siècle, la poussée la plus forte ayant
lieu dans la seconde moitié du xxie siècle.
Les causes du réchauffement
Maintenant, quelles sont les raisons de ce réchauffement
probable ? Et quelle est la part de l’homme dans le phénomène
? Questions difficiles s’il en est, tant la situation est complexe.
La température a oscillé depuis des centaines
de milliers d’années, avec des hauts et des bas, sans que
l’homme y soit pour quoi que ce soit. Avec des périodes de
réchauffement « courtes » (10 000 à 20 000 ans)
et de refroidissement plus longues (90 000 à 100 000 ans). Plus
près de nous, il y a eu un « petit optimum climatique »
du ixe au xive siècle, suivi d’une « petite période
glacière » jusqu’au xixe siècle, avec une nouvelle
poussée du mercure au xxe siècle (+ 0,6 °C). Avant le
xixe siècle, ces changements seraient surtout dus aux variations
de l’activité solaire et de l’orbite de la Terre, sans
oublier le rôle des volcans.
Les scientifiques sont en général d’accord
pour considérer que la hausse récente du thermomètre
résulterait aussi des activités humaines, notamment de l’émission
des gaz à effet de serre (GES par la suite), surtout du gaz carbonique
(le CO2) provenant de la combustion des énergies fossiles (charbon,
pétrole, gaz naturel).
Si l’on admet cette explication, quelle concentration
de CO2 accepter jusqu’en 2100 si l’on ne veut pas que la température
monte dangereusement ? Personne ne le sait vraiment, mais l’on considère
généralement (notamment le GIEC) qu’un niveau égal
au double du niveau préindustriel (certains vont jusqu’au
triple), soit environ une fois et demie le niveau actuel, ne conduirait
pas à un dérèglement dramatique du climat.
Dans cette optique, il faut examiner les conséquences possibles
du réchauffement et les coûts économiques, sociaux
et environnementaux qui pourraient en résulter.
Les conséquences et les coûts de
l’effet de serre
Bien sûr, les conséquences seraient différentes
selon que la température croît de 1 à 3 °C ou
de 6 °C. Si le chiffre moyen de + 2,5 °C est accepté, toujours
sur le xxie siècle, d’après le GIEC les précipitations
devraient augmenter dans les moyennes et hautes latitudes, l’enneigement
diminuer, le niveau des mers monter de 9 à 90 centimètres,
l’agriculture, la pêche et les zones côtières
être les plus touchées, la biodiversité être
affectée et certaines maladies peut-être se développer
(malaria, fièvre jaune, choléra).
Mais il y aurait aussi des avantages : des récoltes
plus fréquentes, des forêts plus vigoureuses (le CO2 accélère
la pousse de la végétation), des besoins de chauffage moindres
en hiver, donc moins de pression sur les ressources énergétiques,
etc. En résumé, le problème devrait rester gérable
pour les pays industrialisés, mais certains pays en développement
pourraient en subir des conséquences plus graves.
Les économistes se sont penchés sur la
question et ont estimé le coût du réchauffement, en
tenant compte de l’impact sur les différents secteurs économiques,
sur la santé, les écosystèmes, et même la qualité
de l’environnement, eh oui ! la boîte à outils de la
profession est surprenante. Les chercheurs convergent sur l’essentiel
: même si leurs chiffres ne sont pas identiques, les ordres de grandeur
sont proches3.
Que conclure de ces analyses ?
Le coût pour les Etats-Unis serait de 0,5 % à
1,3 % du PIB par an ; la facture serait un peu plus élevée
pour l’Europe (2,8 %) ; l’Inde et l’Afrique payeraient
le plus lourd tribut (environ 5 % de leur PIB). Le coût annuel pour
la planète dans son ensemble est estimé à 1,5 % du
PIB mondial. Si le thermomètre grimpait de quelque 6 °C sur
le siècle, scénario catastrophe, l’addition monterait
à 7-8 % du PIB de la planète.
Que conclure de ces analyses ? Que ce sont les pays pauvres qui auraient
à faire face à la charge la plus élevée. Surtout
dans l’hypothèse d’une catastrophe, dont la probabilité
est heureusement très faible, mais qu’il ne faut pas négliger,
principe de précaution exige.
Après avoir estimé les coûts du réchauffement,
l’économiste sait qu’il lui faut aussi évaluer
ceux de la lutte contre la hausse possible du mercure. Et comparer les
deux pour en tirer des instructions quant à la stratégie
à suivre, et pour éviter les gaspillages.
La facture de la lutte contre l’effet de serre dépend
de l’intensité et de la rapidité des mesures prises,
ainsi que du niveau auquel on souhaite stabiliser les émissions
de GES. Plus ce niveau est faible et plus sont grandes l’intensité
et la rapidité de la lutte, plus la facture est salée. Qu’on
en juge.
Pour stabiliser la température, il faudrait grosso
modo ramener les émissions de gaz nocifs au niveau préindustriel,
ce qui coûterait chaque année la bagatelle de quelque 8-9
% de la production mondiale ! Si les émissions sont stabilisées
au niveau de 1990, l’OCDE estime qu’il en coûterait tous
les ans une fraction non négligeable de la production, fraction
qui atteindrait 1 % du PIB en 2050 et 3 % en 2100. Une stabilisation à
- 20 % du niveau de 1990 déboucherait sur une « douloureuse
» de 3 % du PIB en 2050 et de 5 % en 2100. On le voit, des sommes
plutôt rondelettes.
Alors, que faire ? Si la facture annuelle du réchauffement
se situe aux alentours de 1,5 % du PIB mondial, comme on l’a vu,
et que le coût annuel estimé pour le combattre va de 1 %
à 5 % du PIB, quelle conclusion en tirer ?
Certains répondent : il ne faut rien faire tant
le coût de la lutte peut s’avérer prohibitif comparé
aux avantages qu’on pourrait en tirer. Les choses ne sont pas aussi
simples.
Une stratégie progressive
D’abord, les chiffres tombés des modèles,
s’ils donnent des informations précieuses, doivent être
pris avec prudence en raison de leur marge d’incertitude. Ensuite,
il ne faut pas oublier le risque de catastrophe, aussi minime soit-il.
Une approche « raisonnable », tenant compte
à la fois des incertitudes scientifiques sur les phénomènes
climatiques et sur les évaluations économiques, consisterait
à mettre progressivement en place diverses mesures, à des
coûts modérés et supportables pour les économies.
A partir de là, être prêt à agir plus vigoureusement
dans le futur, peut-être beaucoup plus vigoureusement, si les nouvelles
connaissances scientifiques le suggèrent et si la situation se
détériore.
Cette stratégie aurait de nombreux avantages.
Elle ne mettrait pas en péril le niveau de vie et permettrait de
maintenir la croissance économique dans les pays riches et dans
les pays pauvres. Peut-on imaginer un seul pays du Sud prêt à
sacrifier son développement et à rester dans la pauvreté
dans le seul but de traiter le problème du réchauffement
climatique ? Et les pays du Nord sont-ils d’accord pour sacrifier
leur croissance, avec toutes les conséquences sur le niveau de
vie et l’emploi qui en résulteraient ?
Solidarité Nord-Sud
Les nations en développement considèrent
que c’est aux pays industriels de prendre des mesures, car ce sont
eux les principaux pollueurs. Vrai, le Nord est aujourd’hui le plus
grand émetteur de gaz à effet de serre. Mais demain et après-demain
? La Chine représente déjà 14 % des émissions
(par comparaison, les Etats-Unis 25 %, la France seulement 1,5 %, merci
au nucléaire). Dans quelque temps les pays du Sud (essentiellement,
Chine, Inde et Brésil) entreront dans le club des plus grands pollueurs
de la planète si les tendances se poursuivent.
Si l’on veut inverser ces tendances, il est important
que les nations industrialisées aident celles en développement
à fabriquer des croissances moins polluantes. Comment ? Par des
transferts de technologies propres et adaptées à leurs besoins.
Pour ce faire, et pour parvenir à réduire eux-mêmes
leurs émissions de GES, il est impératif que les pays riches
investissent fortement dans la recherche sur ce type de technologies.
Objectif : favoriser l’innovation. Où en serons-nous dans
10, 20, 50 ou 100 ans ? Bien malin qui pourrait le dire. Mais l’économiste
sait que ce sont les innovations en tout genre qui assurent pour l’essentiel,
à long terme, l’amélioration du bien-être collectif
et individuel. Il n’y a pas de raison a priori pour qu’il en
aille autrement ici.
Une stratégie progressive aurait en outre l’avantage,
avec l’augmentation du niveau de vie et de la richesse, surtout dans
les pays pauvres, d’avoir davantage de ressources à consacrer
à la protection de l’environnement.
Et donc à la lutte contre le possible réchauffement
climatique. Tout cela exige, et exigera dans les décennies à
venir, des choix politiques et économiques clairs, et une stratégie
mondiale qui commence juste à prendre place.
- IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change, soit GIEC en français),
Climate Change 2001, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
- Quand un organisme aussi officiel
que le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) écrit noir
sur blanc, dans son rapport sur L’état de la population mondiale,
2001, page 9 : « Le groupe d’experts intergouvernemental pour
l’étude du changement climatique (…) évalue à 5,8 degrés centigrades l’ampleur du réchauffement de l’atmosphère
terrestre au cours du siècle qui s’ouvre… », on ne
peut que rester pantois.
- La recherche la plus complète
à ce jour est celle de deux professeurs à l’université
de Yale, W. Nordhaus et J. Boyer, Warming the World : Economic Models of
Global Warming, Cambridge, Mass., The MIT Press, 2000
Bibliographie
Livres et rapports :
- Fiscalité de l’environnement, Conseil d’analyse économique, La Documentation française, 1998
- Third Assessment Report, Climate Change 2001, Groupe intergouvernemental d’experts pour l’étude sur le climat (GIEC), IPCC, Cambridge University Presse, Cambridge, 2001
- Warming the world : Economic Models of Global Warming, Wiliman Nordhaus, Joseph Boyer, The MIT Press, Cambridge, Mass, 2000
- Les perspectives de l’environnement, Organisation de cooperation et de développement économique (OCDE), Paris, 2001
Articles :
- On Strategies for Reducing Greenhouse Gaz Emissions, Berts Bolin Haroon Kheshgi, Proceedings of the National Academy of Science of The United States, 24 avril 2001
- How to think about Human influence on Climate?, Chirs Forest, Peter Stone Henry Jacoby, MIT Joint Porgram on the Science and Policy Climate Change, Report n°68, octobre 2000
- Global Warming Policy : a Public Finance perspective, James Porterba, Journal of Economic Perspectives vol.7, n°4, automne 1993
- Energy modeling forum, Université de Standford, in The Energy Journal, Kyoto Special Issue, 1999
- Uncertainty Analysis of Global Climate Change Projections, Mort Webster, Chris Forest, John Reilly, Andrei Sokolov, Peter Stone, Henry Jacoby, Ronald Prinn, MIT Joint Program on the Science and Policy of Global Change, Report n°73, mars 2001
- Economic and Environmental Choices in the Stabilisation of Atmospheric CO2, T.Wigley, R.Richels, J.Edmonds, Nature, vol.379, 18 janvier 1996
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/effet-de-serre-mythes-et-realites.html?item_id=2460
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