Ecosse : la nouvelle légitimité du gouvernement local
La décentralisation – ou, plus précisément,
le transfert de compétences – a été un axe majeur
de la réforme de l’Etat au Royaume-Uni ces dernières
années. Le 1er juillet 1999, un Parlement écossais s’est
réuni pour la première fois depuis…1707. Ce Parlement
détient le pouvoir législatif pour beaucoup d’aspects
de l’administration politique de l’Ecosse. Il a également
la responsabilité du contrôle des institutions du gouvernement
écossais. Ainsi, l’Ecosse qui était une nation sans
Etat au sein du Royaume-Uni dispose désormais du symbole visible
de la nation.
En dépit de son intégration à l’Angleterre
en 1707, l’Ecosse a toujours conservé certaines caractéristiques
d’une nation. Son passé, sa géographie, son système
d’éducation particulier, son droit local, ses traditions sportives
et religieuses, ses médias… ont contribué à
la prise de conscience de son identité nationale propre.
Le Scottish office (ministère écossais),
institué en 1885, était devenu un puissant appareil administratif
qui disposait d’un certain degré d’autonomie dans la
prise de décision et la gestion administrative de certains domaines
jusqu’en 1999. Il avait la charge de la politique écossaise
en matière d’éducation, de logement, de santé,
de développement économique, d’aide sociale, d’urbanisme,
de transport, d’agriculture, de pêche, de maintien de l’ordre
et de prisons. Il pouvait exercer ses pouvoirs assez largement à
sa guise, de même qu’il pouvait concevoir et mettre en œuvre
une politique britannique répondant aux besoins spécifiques
de tout ou partie de l’Ecosse. Son autonomie en matière de
gouvernement était toutefois limitée et il devait prendre
ses directives auprès des ministères britanniques de Whitehall.
Néanmoins, sa seule existence attestait d’une vision de l’Ecosse
comme une entité politique et pas seulement culturelle.
A partir des années soixante-dix, l’Ecosse
a pris progressivement plus fortement conscience de ses différences
et de son identité propre. Notamment pendant le gouvernement conservateur,
de 1979 à 1997. L’administration Thatcher était notoirement
impopulaire en Ecosse où le soutien au parti conservateur a considérablement
faibli. Le sentiment de déficit démocratique était
d’autant plus important que le Scottish office était considéré
comme insensible aux intérêts écossais. Cette défiance
a mis la pression sur le système politique unitaire du Royaume-Uni.
Transfert de compétences
Tout au long des années soixante-dix, quatre-vingt
et quatre-vingt dix, la réforme du Scottish office grâce
à un transfert de compétences a été un sujet
important sur l’agenda politique de l’Ecosse. Un référendum
sur l’autonomie du gouvernement local de l’Ecosse a été
organisé dès 1979, mais la courte majorité qui y
a été favorable n’a pas suffi en raison d’une
combinaison de facteurs, notamment un amendement de la Chambre des communes
à la Loi organique écossaise exigeant une majorité
de 40 % des suffrages de l’électorat écossais pour
son adoption. Avec l’effondrement du parti nationaliste écossais
aux élections générales de 1979, les partis britanniques
se sont trouvés encore moins enclins à satisfaire les demandes
écossaises…
La question de l’autonomie a refait surface au milieu
des années quatre-vingt. Le comportement politique et électoral
de l’Ecosse divergeait sensiblement par rapport à celui du
reste du pays. Le sentiment collectiviste, social-démocratique
et libéral restait fort en Ecosse alors qu’il s’affaiblissait
en Angleterre. C’est pourquoi pendant les années quatre-vingt
et quatre-vingt dix, les groupes de pression, les partis politiques et
les organisations sociales ont fait campagne pour l’autonomie.
L’élection en 1997 d’un gouvernement
travailliste a donné le signal de la fin du gouvernement du parti
conservateur en Ecosse. Les travaillistes obtenaient une majorité
écrasante tandis que le parti conservateur était pratiquement
rayé du paysage politique écossais avec 15,6 % des suffrages,
son score le plus bas depuis 1865. Un nouveau référendum
sur le transfert de compétences a donc été organisé,
donnant une nette majorité aux tenants de l’autonomie.
Le nouveau Parlement écossais
Jusqu’en 1999, le Scottish office était dirigé
par cinq ministres issus du parti majoritaire à la Chambre des
communes. Aujourd’hui, ce gouvernement est dirigé par onze
ministres et onze députés choisis au sein du Parlement écossais.
Le nouveau Parlement de 129 députés a été
élu en 1999. A l’issue de cette élection, les travaillistes
et les libéraux-démocrates ont formé une coalition.
Les commentaires qui ont entouré l’établissement
du Parlement écossais ont été dominés par
les idées d’une « nouvelle politique », d’une
« nouvelle ère de bi-partisme, de consensus et de transparence
de la politique écossaise ». Ils ont également mis
en avant la différence entre la politique menée en Ecosse
et celle qui était faite à Westminster ou Whitehall.
Contrairement à Westminster, le nouveau Parlement
écossais se devait d’être moderne et le lieu d’échanges
courtois, voire « familiaux ». Les députés et
les commissions se sont vus doter d’une plus grande initiative législative.
Pour autant, le cadre institutionnel de la vie politique écossaise
est resté aussi empreint des anciennes pratiques de Westminster
que de nouvelles idées généreuses ! Les fonctionnaires,
les médias et même le grand public ayant été
élevés dans la tradition et les rituels de Westminster et
Whitehall, la balance entre innovation et imitation a plutôt penché
en faveur de l’imitation.
Au cours de ses trois premières années
d’exercice, il est toutefois devenu clair que l’exécutif
ne pouvait pas imposer un fonctionnement au Parlement comme c’est
le cas à la Chambre des Communes. Bien au contraire, c’est
le Parlement qui a tenu en échec le gouvernement écossais
sur de nombreuses questions politiques.
Toutefois, la restauration de la légitimité
du gouvernement écossais est sans doute l’évolution
la plus significative de la vie politique écossaise ces dernières
années. Et si un débat se poursuit aujourd’hui sur
le statut constitutionnel de l’Ecosse, il doit être replacé
dans ce contexte de légitimité retrouvée. En effet,
aucun pan significatif de la société écossaise ne
remet en question les fondations démocratiques du nouvel ordre
constitutionnel. Le parti nationaliste écossais lui-même,
s’il souhaite toujours l’indépendance, reconnaît
la légitimité de l’organisation actuelle.
L’Exécutif écossais
Après le transfert des compétences, le
Scottish office est devenu le Scottish executive. Il compte environ 4000
fonctionnaires, localisés pour la plupart à Edimbourg. Ce
gouvernement est très centralisé et n’a de véritables
réseaux locaux qu’en matière d’agriculture et
de pêche.
L’Ecosse a toujours eu ce que l’on pourrait
appeler une « culture bureaucratique propre » car les fonctionnaires
étaient en général nés et éduqués
en Ecosse. Il est important de noter que, même après le transfert
des compétences, il n’y a pas de fonction publique écossaise
distincte : tous les fonctionnaires écossais continuent à
appartenir à la fonction publique britannique. La fonction publique
– comme la Couronne et le Parlement britanniques – fait en effet
partie, aux termes de la Constitution du Royaume-Uni, des domaines réservés.
Ce système qui ne se retrouve ni au Canada ni en Australie, pas
plus qu’en Allemagne par exemple, pourrait cependant faire naître
potentiellement des conflits de « loyauté ».
Avant 1999, l’Exécutif écossais était
lié au système politique central de Whitehall par tout un
réseau de commissions ministérielles et officielles. Depuis,
de nouveaux mécanismes de coordination ont été mis
en place mais un germe de conflit peut toujours apparaître…
Le tableau ci-dessous montre les compétences législatives
et parlementaires du Parlement écossais. Les domaines non réservés
sont ceux pour lesquels le nouvel exécutif écossais détient
les pouvoirs politiques et administratifs.
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Les compétences du Parlement écossais |
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Domaine réservés (compétences
non transférées) |
Domaine non réservés (compétences
du Parlement écossais) |
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Marché commun des biens et services |
Développement économique |
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Défense & sécurité |
Education |
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Droit du travail |
Environnement |
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Union monétaire |
Santé |
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Santé (certains domaines) Médecine |
Logement |
|
Médias et culture |
Gouvernement local |
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Certaines réglementations professionnelles |
Droit et affaires locales |
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Surveillance des frontières |
Travailleurs sociaux |
|
Sécurité sociale |
Formation |
|
Réglementation et sécurité des
transports |
Transports |
|
Les principaux ministères
Le ministère du Développement a la charge
de nombreux domaines de compétences du gouvernement écossais
: justice sociale, revitalisation des banlieues, finances locales, administration
locale, occupation des sols, contrôle de la construction, fonds
structurels européens, infrastructures routières et transports...
Le ministère de l’Education gère les
classes maternelles, primaires et secondaires, les sports et la culture.
Le ministère des Entreprises et de la formation
continue, localisé à Glasgow, apporte son soutien aux ministères
écossais dans les domaines du développement économique
et industriel, du tourisme, de l’éducation supérieure
et de la formation continue.
Le ministère des Finances et des services centraux
a la responsabilité des relations avec le Parlement, de la coordination
des relations avec le gouvernement britannique et l’Europe, des relations
avec le gouvernement local et apporte son soutien au cabinet écossais.
Le ministère de la Santé conduit la politique
de la santé et assure l’administration du système national
de la santé en Ecosse.
Le ministère de la Justice est un nouveau département
ministériel qui rassemble le ministère de l’Intérieur
de l’ex-Scottish office et l’administration de la justice écossaise.
Il a la charge des services de police, de pompiers, de la justice et des
relations avec les professions de justice.
Le ministère de l’Environnement et de l’Agriculture
conseille les autres ministères sur les politiques liées
à l’agriculture, au développement rural, à l’agro-alimentaire,
à l’environnement et à la pêche.
L’exercice
du service public
Les fonctionnaires de l’exécutif écossais
sont très peu en contact direct avec le public. Aujourd’hui,
l’appareil bureaucratique de l’administration publique en Ecosse
combine dans un réseau complexe la fonction publique traditionnelle
qui est suppléée par des agences publiques, des bureaux publics
non ministériels, des autorités de santé publique,
des autorités locales, des associations, le secteur privé,
etc.
Pour comprendre le gouvernement en Ecosse, il faut bien
voir cette multiplicité des lieux de prise de décision,
tant géographique que sectorielle. La plupart des services publics
sont rendus localement par des institutions très diverses.
Le terme d’Organisations non-gouvernementales quasi
autonomes (Quangos) est celui qui désigne ces institutions qui
ne sont pas directement liées au gouvernement central mais rendent
des services publics pour son compte. Ces institutions ont nettement grandi
(en nombre et en taille) dans un passé récent.
Les conseils locaux écossais affirment souvent
qu’en tant qu’organismes élus au suffrage direct, ils
pourraient et devraient prendre en charge beaucoup des fonctions assumées
aujourd’hui par les organisations non-gouvernementales. Compte tenu
de l’estime des hommes politiques et des fonctionnaires des services
centraux pour ces conseils locaux, un tel transfert est hautement improbable.
Le rôle des conseils locaux
Pourtant, ces conseils locaux – l’Ecosse en
compte trente-deux – sont un pivot de toute politique du gouvernement
écossais visant à améliorer la vie des Ecossais les
moins favorisés. Ils sont aussi responsables de nombreux services
publics, notamment l’éducation, l’aide sociale, le logement,
les transports, la police, la lutte contre le feu, les loisirs et les
activités culturelles. Mais ils sont considérés comme
une administration de troisième rang qui a pour fonction de rendre
des services publics au plan local. Leur existence n’est pas garantie
par la Constitution et leur structure pourrait très bien être
modifiée par le Parlement écossais.
Les partenariats public/privé (PPP) noués
entre des entreprises privées et des organismes publics (gouvernement
central ou conseils locaux) assument une part croissante des services
publics du gouvernement écossais. L’exécutif écossais
suit ainsi la politique menée depuis 1997 par le gouvernement travailliste.
Le financement public/privé devient en effet la méthode
reine pour le financement des projets d’investissement. Ecoles, routes,
hôpitaux et prisons ont été construits par des entreprises
privées qui en assument l’exploitation avant de les rétrocéder
– au bout de 25 à 35 ans – au secteur public.
L’influence des institutions britanniques
Le « poids » de Londres demeure important
à bien des égards pour le gouvernement écossais.
D’abord parce que le gouvernement et le Parlement nationaux sont
à l’origine même du transfert de compétences.
Mais aussi parce que l’ultime souveraineté est toujours à
Londres qui détient le contrôle final dans de nombreux domaines,
notamment la défense, la politique étrangère, la
politique économique, la sécurité sociale, la culture…
Les transferts de financements attestent de la dépendance
de l’Ecosse à l’égard du Trésor britannique.
Le Parlement écossais ne peut augmenter le taux de base de l’impôt
sur le revenu de plus de 3 pence par livre sterling. C’est un pouvoir
limité. L’exécutif écossais est, lui, pratiquement
entièrement dépendant du Trésor britannique tandis
que les conseils locaux ne couvrent que 20 % de leurs dépenses
grâce à des taxes foncières.
En conclusion, s’il est trop tôt pour porter
un jugement sur l’efficacité des réformes de 1999,
la création d’un Parlement a incontestablement donné
une nouvelle légitimité au gouvernement écossais.
La dépendance financière de l’Ecosse par rapport au
gouvernement central demeure toutefois un problème. Mais jusqu’à
présent, il n’y a eu que très peu de tensions entre
l’exécutif écossais et le gouvernement de Tony Blair,
ce qui pourrait évidemment changer en cas de victoire électorale
d’un autre parti politique.
La répartition des compétences entre le
gouvernement central et les conseils locaux en Ecosse est demeurée
relativement stable et très proche de celle de l’Angleterre.
Il reste une culture centralisatrice forte dans les institutions politiques
britanniques et il faudra sans doute des années pour que l’exécutif
écossais s’en affranchisse, s’il y parvient jamais.
L’Ecosse a cessé d’être une «
nation sans Etat » et dispose des principaux attributs d’un
Etat. La souveraineté réside toujours à Westminster
mais l’Ecosse a un véritable appareil institutionnel de gouvernement
grâce à son exécutif et à son Parlement.
Bibliographie
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