Changements climatiques : quels risques pour demain?
Depuis la conférence de Rio, en 1991, et au
vu des difficultés de la mise en place du protocole de Kyoto, le
thème du changement climatique est devenu un enjeu politique et
social incontournable, reflétant le caractère désormais
inéluctable des changements que les activités humaines apportent
à l’environnement global de notre planète. La maîtrise
de cette évolution met en jeu presque tous les aspects du développement
de nos sociétés, ainsi que nos comportements individuels,
au niveau du choix des filières énergétiques, de
l’organisation des modes de vie, du logement, du transport et des
habitudes de consommation.
Dès les années quatre-vingt, la communauté
scientifique a joué un rôle d’alerte important quant
à la possibilité d’un changement climatique : elle
l’a fait sur la base d’un dossier solide, qui est allé
en s’étayant au fil des années. Pour autant, personne
n’est en mesure de déterminer avec exactitude l’ampleur
des changements à venir et de leurs impacts. Le travail des scientifiques
au cours des dernières années permet donc d’esquisser
les contours d’un « risque climatique », mais le dimensionnement
des mesures nécessaires pour le prendre en compte relève
d’un débat politique, au sens le plus large de ce mot.
Le rôle des activités humaines
L’action de l’homme sur son environnement est
multiple. L’agriculture a privé l’Europe d’une grande
partie de ses forêts dès le Moyen Age, et ce phénomène
de déforestation se poursuit aujourd’hui de manière
intensive dans les régions tropicales. L’irrigation modifie
aussi les paysages naturels, avec quelquefois des conséquences
indirectes considérables, comme le montre le cas de la mer d’Aral.
La modification de la composition chimique de l’atmosphère,
avec l’augmentation de la teneur en gaz à effet de serre,
constitue cependant un phénomène tout à fait particulier,
à la fois parce qu’il est global et affecte l’ensemble
de la planète, et parce qu’il est cumulatif et que son importance
va grandir au cours des décennies à venir.
Certains chiffres ne sont plus contestables. Depuis le
début de l’ère industrielle, la teneur atmosphérique
en dioxyde de carbone, qui était restée depuis plusieurs
milliers d’années voisine de 280 ppm (parties par millions)
a dépassé 360 ppm. Dans le même temps, la concentration
en méthane a presque triplé, et plusieurs autres gaz ont
connu la même augmentation exponentielle de leur teneur, tels le
protoxyde d’azote ou les CFCs (jusqu’à leur interdiction
par le protocole de Montréal, qui a permis de stabiliser leur teneur).
Ces gaz ont tous un temps de recyclage relativement long
: si l’on cesse de les émettre, le temps de retour à
un équilibre est de l’ordre de la décennie pour le
méthane, du siècle pour le dioxyde de carbone, ou de quelques
siècles pour les CFCs : c’est pourquoi ils tendent à
s’accumuler dans l’atmosphère. Cet effet cumulatif les
distingue de gaz souvent plus réactifs ou toxiques, dont le cycle
est beaucoup plus rapide, qui posent des problèmes de qualité
de l’air dans les villes, mais ne sont pas en mesure de changer le
climat. De fait, plus que les tendances actuelles, c’est la poursuite
inéluctable de l’augmentation des gaz à effet de serre
qui pose problème. Le siècle qui commence devrait voir un
doublement de la teneur atmosphérique en CO2 pour presque tous
les scénarios envisageables.
Cette lenteur du cycle des gaz à effet de serre
a une autre conséquence : leur mélange à la surface
du globe est presque parfait. Il n’y aura donc aucune correspondance
entre le lieu des émissions et la localisation des effets du changement
climatique : les pollueurs ne seront en rien plus affectés que
les autres par les conséquences de cette pollution. Elle implique
enfin que, quoi que nous fassions pour réduire les émissions
de gaz à effet de serre, il faudra du temps pour que le bénéfice
s’en fasse sentir (et ce d’autant plus que la réponse
du système climatique ajoute aussi une inertie très grande).
D’autres gaz agissent sur le rayonnement de la planète.
La vapeur d’eau a un cycle très rapide, de quelques semaines,
trop rapide pour que les rejets anthropiques puissent l’affecter
de manière directe – sauf peut-être dans la stratosphère.
Mais sa teneur est en équilibre avec les conditions climatiques,
et peut augmenter fortement avec un réchauffement global. L’ozone
est lui aussi modulé par des effets complexes : dans la stratosphère
la formation photochimique est diminuée en présence de CFCs
; plus près du sol, dans la troposphère, l’ozone croît
avec la destruction de certains oxydes d’azote, processus catalysé
par la présence de méthane).
Ces gaz minoritaires de l’atmosphère jouent
un rôle climatique exceptionnel : en empêchant le rayonnement
infrarouge terrestre de quitter librement la planète (ce que ni
l’azote, ni l’oxygène ne savent faire), ils maintiennent
suffisamment de chaleur près du sol pour rendre la planète
habitable. L’effet de serre est donc un effet bénéfique,
mais son augmentation peut modifier la stabilité du système
climatique.
La croissance déjà effective des gaz à
effet de serre augmente le bilan radiatif de la planète de 2.4
Wm-2, une valeur qui peut être doublée ou triplée
dans les décennies prochaines, et qui est suffisante pour modifier
la température globale en surface de quelques degrés. Un
tel chiffre peut paraître faible : il est pourtant considérable.
La reconstitution des variations climatiques passées
à l’aide d’analyses de témoignages très
variés (carottes océaniques et glaciaires, coraux, séries
historiques, reconstitutions palynologiques, cernes d’arbres) montre
que les fluctuations de la température globale de la planète
au cours des derniers milliers d’années n’ont pas dépassé
une amplitude de quelques dixièmes de degré. Et si l’on
remonte plus loin dans le temps, seuls 5 à 6 degrés de variations
de température globale nous séparent du dernier maximum
glaciaire il y a 21 000 ans.
Le passé lointain
Dès que l’on parle de climat il est important
de préciser dans quel cadre on le fait, et bien des débats
qui entourent ces problèmes proviennent seulement d’une mauvaise
perception des échelles de temps qui entrent en jeu. Pour certains
« sceptiques » face au discours de la communauté scientifique
sur ces thèmes, l’étude des climats passés nous
montre que notre environnement a toujours varié : si telle région
de France a connu un climat tropical, puis des climats glaciaires répétés,
a quoi bon se soucier des « petites » fluctuations prévisibles
dues aux activités humaines ?
En fait, le temps au cours duquell’homme a commencé
à modifier son environnement ne constitue qu’un très
court instant par rapport à l’histoire de notre planète.
Les climats chauds auxquels on fait souvent référence datent
d’il y a quelques dizaines de millions d’années, quand les continents n’étaient
pas encore tout à fait en place et les grandes calottes glaciaires
absentes, l’atmosphère contenait encore beaucoup du CO2 originel,
qui n’avait pas été transformé en calcaire,
en charbon ou en pétrole.
Les cycles qui nous ont fait passer d’un âge
glaciaire à des conditions interglaciaires s’organisent à
des échelles de temps beaucoup plus courtes – quelques milliers
d’années correspondant à la perturbation de la trajectoire
de la Terre par la Lune et les grosses planètes du système
solaire. Mais le siècle écoulé où les activités
humaines commencent à jouer un rôle important s’inscrit
naturellement dans une période de 5000 ans d’une exceptionnelle
stabilité, pendant laquelle se sont développées nos
civilisations.
Le XXe siècle et après...
Même si l’analyse des signes avant-coureurs
du réchauffement climatique en fait un problème qui s’étudie
déjà au présent, il s’agit avant tout d’un
sujet de préoccupation pour les prochaines décennies. On
peut ainsi opposer de manière à peine simplifiée
un xxe siècle de diagnostic, où l’on a pu voir grandir
et commencer à analyser les premiers signes d’une perturbation
du climat, et un xxie siècle à l’échelle duquel
devraient se développer des modifications beaucoup plus profondes
de notre environnement.
Comment anticiper ces changements ? Paradoxalement, prévoir
ce qui va se produire dans quelques décennies peut paraître
plus simple que de poser un diagnostic fiable sur ce qui est en train
de se passer. C’est que les perturbations par les gaz à effet
de serre ne sont pas les seules en cause. S’y ajoutent en particulier
l’émission d’aérosols, petites parcelles solides
et liquides, qui tendent le plus souvent à refroidir la planète
par réflexion du rayonnement solaire : elles ont un cycle de vie
court et leur effet n’est pas cumulatif. Il existe aussi un fond
de variabilité naturelle, spontanée du climat, qui peut
tenir soit à des processus internes, soit à la fluctuation
de facteurs tels que l’activité solaire ou les émissions
volcaniques.
Dans l’immédiat, caractériser le début
de changement climatique, c’est trouver les signes d’une situation
où l’impact des gaz à effet de serre commencerait juste
à dominer les autres sources de variabilité.
Depuis quelques années ces signes existent : l’augmentation
de la température globale de la planète, le caractère
très systématique du recul des glaciers, l’augmentation
du niveau de la mer, l’augmentation des températures de 0.6
à 0.9 degré depuis le début de l’ère
industrielle, avec une augmentation rapide au cours des dernières
décennies qui ne trouve actuellement pas d’autre explication
plausible que l’augmentation des gaz à effet de serre. En
revanche, il reste difficile d’interpréter comme étant
significatifs d’une tendance des événements plus locaux
(inondations, tempêtes).
Des modélisations de plus en plus réalistes
Le vingt-et-unième siècle sera au contraire
le moment où la croissance de l’effet de serre risque de dominer
de manière forte tous les autres signaux. Pour analyser cette situation,
la communauté scientifique a recours à des modèles
numériques, outils dont le développement constitue certainement
l’une de ses grandes réussites des dernières décennies.
La modélisation constitue une tentative de créer une planète
virtuelle, régie par des systèmes d’équations
qui représentent l’ensemble des processus qui mettent en route
la machine climatique : équations thermodynamiques liées
au rayonnement solaire ou terrestre, équations dynamiques permettant
de décrire l’évolution des courants océaniques
ou de la circulation atmosphérique.
Au fil des années, ces modèles sont parvenus
à représenter de manière particulièrement
réaliste le fonctionnement de notre planète : sous le seul
effet des équations fondamentales de la physique, il est possible
de simuler tous les grands modes de variabilité du climat : variations
saisonnières, moussons, événements comme El niño,
avec un réalisme croissant.
Ces planètes numériques ne ressemblent
pas complètement à la planète réelle : la
capacité de calcul des machines fixe des limites. Il n’est
pas possible de représenter le détail de structures régionales,
liées au relief par exemple – de même, le rôle
des nuages ou de la végétation sur l’énergétique
de la planète est nécessairement pris en compte de manière
statistique.
Les modèles n’ont pas non plus atteint leur
pleine capacité : si le couplage des aspects océaniques
et atmosphériques commence a être bien maîtrisé,
il reste encore beaucoup de progrès à faire, en particulier
pour mieux intégrer la part du cycle du carbone, ou le cycle de
certains composés atmosphériques tels que l’ozone,
le méthane ou les aérosols.
Mais les planètes numériques constituent
néanmoins une image désormais remarquablement proche et
réaliste du monde réel, et donc un cadre aussi rigoureux
et contraignant que possible pour explorer les futurs prévisibles
de la planète.
Quels changements ?
Les exercices numériques qui ont été
menés par une dizaine de groupes internationaux dans le cadre du
rapport du GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution
du climat) concluent ainsi à un réchauffement moyen de deux
à six degrés à l’horizon 2100 : la moitié
de cette fourchette reflète l’incertitude sur l’activité
humaine (comment se feront les émissions de gaz à effet
de serre dans les décennies à venir ?), et l’autre
une incertitude sur les modèles, qui traduit très largement
la difficulté de prise en compte des nuages.
Mais il est remarquable de voir que tous les résultats
s’accordent sur un réchauffement important, accompagné
par un relèvement du niveau de la mer de 20 centimètres
à un mètre, et un dérèglement du régime
des pluies (en général, on s’attend à ce que
les régions sèches le deviennent plus, et que les régions
humides subissent des précipitations plus intenses). Il faut parler
de dérèglement du climat, plus que de réchauffement.
Sur ces prévisions à un siècle d’échéance,
l’unanimité qualitative de modèles développés
dans des contextes nationaux très différents est tout à
fait remarquable.
Elle est moins claire lorsque l’on cherche à se projeter au-delà
de 2100. Pourtant, à cet horizon encore, les conséquences
des émissions actuelles de gaz à effet de serre se font
sentir, via l’inertie du système climatique : pourra-t-il
y avoir modification de l’écoulement du Gulf Stream ? Le rôle
modérateur de la végétation qui reprend en permanence
une partie du CO2 va-t-il diminuer ? Peut-on imaginer un effondrement
d’une partie des grandes calottes glaciaires ? A toutes ces questions
la réponse reste qu’il s’agit de risques plausibles…
sans que l’on puisse faire de prévision exacte de ce qui peut
se passer, ni à partir de quand.
Il existe donc des éléments forts qui témoignent
de la solidité du diagnostic de la communauté scientifique
sur ces problèmes de changement climatique : d’abord l’unanimité
des modèles à prévoir un réchauffement futur
important ; ensuite, l’évolution récente du climat,
qui témoigne déjà d’un impact de l’augmentation
des gaz à effet de serre, en accord avec les prévisions
des modèles.
Si nous voulons stabiliser l’évolution du
système climatique, la tâche est énorme : il faudrait
diviser par deux ou trois les émissions mondiales de gaz à
effet de serre. Il ne faut cependant pas se laisser démobiliser
par un tel chiffre. C’est surtout la rapidité avec laquelle
le dérèglement de la planète peut croître dans
le futur qui constitue le facteur de risque majeur.
En effet, un changement climatique signifie essentiellement
un dérèglement rapide des conditions auxquelles nous nous
sommes habitués pendant de longues années : excès
de précipitations ou sécheresse, ou encore tempêtes
à des endroits inattendus, perte d’un certain nombre de paysages
(banquise d’été dans l’Arctique), fragilisation
des zones côtières où vit une population immense,
déplacement du domaine des maladies à vecteur… Beaucoup
de ces événements se produiront de manière inattendue,
et c’est la capacité d’adaptation des sociétés
concernées qui en déterminera la gravité : le climat
constituera une contrainte supplémentaire, source de tensions et
de conflits dans un monde qui en compte déjà beaucoup.
Nous ne sommes donc pas dans un processus de tout ou
rien : tout contrôle, même incomplet, des évolutions
en cours est un facteur positif qui peut permettre aux populations concernées
de commencer à s’adapter. Par ailleurs, notre système
climatique contient des seuils de danger, au-delà desquels toute
évolution peut devenir irréversible et incontrôlable.
Nous ne savons pas caractériser ces seuils avec exactitude. Mais
toute politique qui diminue le risque de les franchir va dans le bon sens.
L’important est donc probablement de se doter d’outils
qui permettent une maîtrise, même partielle, de la situation.
Nous ne saurons que plus tard et progressivement dans quelle mesure il
faudra prolonger et infléchir les mesures prises à Kyoto
pour qu’elles soient suffisantes. Mais nous pouvons être sûrs
d’une chose : c’est dès maintenant qu’il faut commencer.
Bibliographie
- Climat d’hier à demain, Sylvie Joussaume, CNRS, éditions/CEA, Paris, 2000
- Le climat de la terre, Robert Sadourny, Dominos/Flamarion, 1994
- Le climat est-il devenu fou ?, Robert Sadourny, ed.Le Pommier, Paris 2002
- Numéro spécial de la revue « La Jaune et la Rouge », revue de l’amicale des anciens élèves de l’Ecole Polytechnique, mai 2000
- Quand l’océan se fâche, Duplssey, Odile Jacob, 1996
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/changements-climatiques-quels-risques-pour-demain.html?item_id=2457
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