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Philippe VALLETOUX

est membre du directoire de Dexia Crédit Local

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Les collectivités locales sont bien armées financièrement

Si l’Etat assume bien ses engagements, autonomie financière et péréquation devraient permettre aux collectivités territoriales dont la situation est globalement saine de disposer de bonnes conditions d’exercice de leurs missions.

Décentraliser consiste à répartir autrement l’exercice des pouvoirs publics et de la gestion des services publics. Il ne faut donc pas s’étonner que la réforme commence sur son versant institutionnel par une modification de la loi constitutionnelle. Conforme en cela au « génie français », le débat sur la décentralisation mérite cependant d’être ouvert plus largement. Car se préoccuper de la bonne architecture des pouvoirs et de la meilleure affectation des compétences de chacun, c’est savoir qui fait quoi et c’est essentiel ; mais s’intéresser à créer pour chacun les conditions d’exercer au mieux ses missions est au moins aussi indispensable !

D’ailleurs, tel qu’il a été initié par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, le débat sur la décentralisation a l’ambition d’aborder de front ces sujets. Les lois Defferre avaient accompli en 1982 un pas politique fondamental dans notre histoire institutionnelle en mettant fin à la tutelle de l’Etat, en permettant des avancées significatives dans l’organisation administrative de l’exercice des compétences. Mais la décentralisation a désormais vingt ans et elle a acquis une maturité qui légitime la reconnaissance de responsabilités politiques nouvelles pour les collectivités territoriales.

Le défi qu’il convient aujourd’hui de relever est d’une autre dimension : à la volonté de mieux répartir les compétences publiques s’ajoute la nécessité d’une évolution plus fondamentale de notre « machine publique », selon des principes clairs. A tous les échelons de la pyramide administrative, la répartition des compétences devra se faire sous l’égide du principe de subsidiarité et en tenant compte de plusieurs autres orientations désormais inscrites dans la Constitution. A savoir, d’une part, l’autonomie financière des collectivités territoriales – permettant à chacune d’arbitrer librement sur ses recettes et ses dépenses – et, d’autre part, la péréquation entre collectivités territoriales assurant les redistributions nécessaires pour atténuer les inégalités structurelles entre territoires. Si l’on ajoute à cela le principe très pragmatique du recours à l’expérimentation, on admettra que le terrain est maintenant propice à la mise en œuvre des propositions réformatrices qui n’avaient pas manqué de fleurir depuis plusieurs années !

Spécialisation fiscale et impôt partagé

La réforme ainsi engagée est d’autant plus urgente que la mondialisation économique suscite une véritable compétition des territoires dont nous sommes, que nous le voulions ou non, partie prenante. On doit y répondre en faisant évoluer nos pratiques séculaires, plutôt soucieuses jusqu’ici de l’uniformisation des politiques économiques locales, vers un souci de « différenciation positive » des initiatives locales ou régionales — rejoignant en cela le mode de fonctionnement de la plupart de nos grands partenaires européens qui ont connu un cheminement historique différent du nôtre !

Une telle « révolution » institutionnelle et économique du paysage local n’est bien évidemment pas sans conséquences significatives dans le domaine financier : quelles sont donc les perspectives d’évolution du régime financier des collectivités territoriales ?

S’agissant de la fiscalité locale, deux orientations complémentaires se dessinent :

  • d’abord, la spécialisation fiscale. Lar-gement engagée par la taxe professionnelle unique dédiée à certains regroupements communaux, cette orientation aurait le mérite si souvent recherché de la lisibilité : il s’agit en effet d’identifier tel ou tel impôt à l’autorité qui le décide, et de permettre au contribuable de mieux faire l’évaluation du rapport « qualité-prix » entre l’impôt levé et le service rendu. Cette spécialisation fiscale est tout particulièrement indiquée dans le cas des collectivités locales de « grande proximité » que sont les communes et leurs groupements.
  • ensuite, l’impôt partagé. S’agissant des régions et des départements, dont le rôle est principalement et respectivement économique et social, la notion de proximité est moins significative. Leur dédier une part additionnelle qui porterait sur deux impôts nationaux, l’un à connotation économique pour les régions – la TIPP – l’autre à connotation sociale pour les départements – la CSG – apparaît pertinent 1.

L’indispensable péréquation

La péréquation, qui est le moyen d’assurer une redistribution de ressources entre les territoires les plus riches et ceux qui sont moins bien lotis, est une question d’autant plus épineuse à résoudre en France que les ressources fiscales y représentent une part notoirement importante des recettes locales. En outre, le fort émiettement des structures locales – là encore une particularité française au sein de l’Union européenne – multiplie d’autant les disparités.

Pour avancer en la matière, il faudrait déconcentrer la péréquation « verticale » aujourd’hui en place au travers des diverses dotations de l’Etat, en prônant une redistribution en deux temps :

  • un temps de « volontarisme d’aménagement du territoire » grâce à des enveloppes territorialisées destinées à servir toutes les collectivités locales d’une même région et qui seraient définies par la loi de Finances, dans un souci de corriger les disparités régionales ;
  • puis un temps de « distribution rapprochée », qui prendrait en compte les particularismes constatés dans le temps et dans l’espace au niveau régional – et dont la répartition serait mise en œuvre par des Comités régionaux de finances locales.

Mais on peut aussi concevoir, au niveau national ou territorial, d’expérimenter une « péréquation horizontale », telle qu’elle est parfois pratiquée dans certains autres pays européens, en vue d’établir des mécanismes égalisateurs des ressources ou des besoins entre collectivités de même niveau.

Novations espérées

Au total, c’est donc certainement dans le domaine financier que les novations les plus prometteuses peuvent être envisagées. Surtout si l’on admet enfin de reconsidérer le mythe français de l’égalité ! L’attachement à une uniformité de façade s’accommode chez nous souvent trop bien de profondes inégalités, masquées par un formalisme pesant qui voudrait faire croire que les territoires sont partout gérés selon les mêmes dispositifs, puisque administrés par les mêmes types de structures ! Il est d’ailleurs intéressant de noter que jusqu’ici décentralisation et réformes des finances locales ont été des politiques disjointes : la taxe professionnelle, le vote des taux, la création de la Dotation globale de fonctionnement (DGF), la tentative d’impôt local sur le revenu, la Taxe professionnelle unique d’agglomération… ces réformes-clés ont été souvent le fruit de circonstances et n’ont donc pas été en leur temps intégrées dans une politique délibérée d’évolution du rôle des collectivités publiques ! Le débat actuel a fort justement lié ces deux termes, et il faut espérer que ce rendez-vous si attendu ne sera pas manqué.

Une situation financière saine

Mais les collectivités territoriales sont-elles en état de faire face à ce nouveau défi – elles qui ont su si bien évoluer au cours des vingt dernières années ? La réponse est bien entendu positive car leur situation est globalement saine, même si les enjeux actuellement en débat peuvent parfois inquiéter certains responsables locaux.

Leur situation financière globale est aujourd’hui particulièrement bonne, sachant qu’il existe bien sûr des disparités parfois importantes d’une collectivité territoriale à l’autre. Le bilan de vingt ans de gestion « décentralisée » se traduit notamment par l’amélioration des principaux agrégats macro-économiques. Alors qu’en 1982 les collectivités territoriales enregistraient, comme l’Etat, un déficit d’environ 1 point de PIB, elles dégagent en 2002 une capacité de financement équivalant à 0,2 point de PIB. De même, si la dette représentait une année de recettes courantes en 1982, elle s’établit aujourd’hui à hauteur de 75 % seulement des ressources courantes. Les collectivités territoriales ont donc réussi à mener une gestion saine tout en consolidant leur rôle de principal investisseur public.

Pourtant, même si cette situation financière favorable devrait leur permettre d’envisager sereinement des évolutions significatives de leur rôle, certains responsables locaux peuvent être légitimement préoccupés, voire inquiets, quant à leur capacité à faire face à de nouvelles obligations. Ce sentiment est renforcé par leur conviction que l’Etat a trop souvent statué de façon léonine sur leurs budgets, et par les failles de la politique « contractuelle » menée depuis plusieurs années, qui ne suffit pas à les prémunir contre une attitude fort peu respectueuse de leurs prérogatives. Face à ces inquiétudes, la nouvelle donne constitutionnelle est de nature à endiguer les tentations bureaucratiques d’en haut. De plus, les responsables locaux pourront utilement se faire les promoteurs d’une meilleure coordination de leurs politiques financières locales, en soutenant par exemple l’organisation d’une Conférence annuelle entre associations d’élus et ministères.

Plus de 50 000 décisions budgétaires locales annuelles – prises sans aucune concertation d’ensemble – ont fait, depuis 2000, des collectivités territoriales les « bons élèves de Maastricht », et les services publics de proximité qu’elles rendent semblent satisfaire la majorité de nos concitoyens. Grâce aux perspectives ouvertes dans le cadre de la nouvelle décentralisation, alliées à une meilleure prise en compte du pouvoir local comme acteur économique essentiel du développement de ce pays, les finances locales demeureront certainement un atout majeur du succès français. Car les responsables des collectivités territoriales françaises sauront – comme ils l’ont fait depuis 1982 – montrer leur capacité tout à la fois d’adaptation aux exigences requises dans un monde en rapide évolution, d’innovation dans l’étendue des services rendus à leurs populations et de rigueur dans leurs choix financiers.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/les-collectivites-locales-sont-bien-armees-financierement.html?item_id=2466
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