est membre du directoire de Dexia Crédit Local
Les collectivités locales sont bien armées financièrement
Si l’Etat assume bien ses engagements, autonomie
financière et péréquation devraient permettre aux
collectivités territoriales dont la situation est globalement saine
de disposer de bonnes conditions d’exercice de leurs missions.
Décentraliser consiste à répartir
autrement l’exercice des pouvoirs publics et de la gestion des services
publics. Il ne faut donc pas s’étonner que la réforme
commence sur son versant institutionnel par une modification de la loi
constitutionnelle. Conforme en cela au « génie français
», le débat sur la décentralisation mérite
cependant d’être ouvert plus largement. Car se préoccuper
de la bonne architecture des pouvoirs et de la meilleure affectation des
compétences de chacun, c’est savoir qui fait quoi et c’est
essentiel ; mais s’intéresser à créer pour chacun
les conditions d’exercer au mieux ses missions est au moins aussi
indispensable !
D’ailleurs, tel qu’il a été initié
par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, le débat sur la décentralisation
a l’ambition d’aborder de front ces sujets. Les lois Defferre
avaient accompli en 1982 un pas politique fondamental dans notre histoire
institutionnelle en mettant fin à la tutelle de l’Etat, en
permettant des avancées significatives dans l’organisation
administrative de l’exercice des compétences. Mais la décentralisation
a désormais vingt ans et elle a acquis une maturité qui
légitime la reconnaissance de responsabilités politiques
nouvelles pour les collectivités territoriales.
Le défi qu’il convient aujourd’hui de
relever est d’une autre dimension : à la volonté de
mieux répartir les compétences publiques s’ajoute la
nécessité d’une évolution plus fondamentale
de notre « machine publique », selon des principes clairs.
A tous les échelons de la pyramide administrative, la répartition
des compétences devra se faire sous l’égide du principe
de subsidiarité et en tenant compte de plusieurs autres orientations
désormais inscrites dans la Constitution. A savoir, d’une
part, l’autonomie financière des collectivités territoriales
– permettant à chacune d’arbitrer librement sur ses recettes
et ses dépenses – et, d’autre part, la péréquation
entre collectivités territoriales assurant les redistributions
nécessaires pour atténuer les inégalités structurelles
entre territoires. Si l’on ajoute à cela le principe très
pragmatique du recours à l’expérimentation, on admettra
que le terrain est maintenant propice à la mise en œuvre des
propositions réformatrices qui n’avaient pas manqué
de fleurir depuis plusieurs années !
Spécialisation fiscale et impôt
partagé
La réforme ainsi engagée est d’autant
plus urgente que la mondialisation économique suscite une véritable
compétition des territoires dont nous sommes, que nous le voulions
ou non, partie prenante. On doit y répondre en faisant évoluer
nos pratiques séculaires, plutôt soucieuses jusqu’ici
de l’uniformisation des politiques économiques locales, vers
un souci de « différenciation positive » des initiatives
locales ou régionales — rejoignant en cela le mode de fonctionnement
de la plupart de nos grands partenaires européens qui ont connu
un cheminement historique différent du nôtre !
Une telle « révolution » institutionnelle
et économique du paysage local n’est bien évidemment
pas sans conséquences significatives dans le domaine financier
: quelles sont donc les perspectives d’évolution du régime
financier des collectivités territoriales ?
S’agissant de la fiscalité locale, deux orientations
complémentaires se dessinent :
- d’abord, la spécialisation fiscale. Lar-gement engagée
par la taxe professionnelle unique dédiée à certains
regroupements communaux, cette orientation aurait le mérite
si souvent recherché de la lisibilité : il s’agit
en effet d’identifier tel ou tel impôt à l’autorité
qui le décide, et de permettre au contribuable de mieux faire
l’évaluation du rapport « qualité-prix »
entre l’impôt levé et le service rendu. Cette spécialisation
fiscale est tout particulièrement indiquée dans le cas
des collectivités locales de « grande proximité
» que sont les communes et leurs groupements.
-
ensuite, l’impôt partagé. S’agissant des
régions et des départements, dont le rôle est
principalement et respectivement économique et social, la notion
de proximité est moins significative. Leur dédier une
part additionnelle qui porterait sur deux impôts nationaux,
l’un à connotation économique pour les régions
– la TIPP – l’autre à connotation sociale pour
les départements – la CSG – apparaît pertinent 1.
L’indispensable péréquation
La péréquation, qui est le moyen d’assurer
une redistribution de ressources entre les territoires les plus riches
et ceux qui sont moins bien lotis, est une question d’autant plus
épineuse à résoudre en France que les ressources
fiscales y représentent une part notoirement importante des recettes
locales. En outre, le fort émiettement des structures locales –
là encore une particularité française au sein de
l’Union européenne – multiplie d’autant les disparités.
Pour avancer en la matière, il faudrait déconcentrer
la péréquation « verticale » aujourd’hui
en place au travers des diverses dotations de l’Etat, en prônant
une redistribution en deux temps :
- un temps de « volontarisme d’aménagement du territoire
» grâce à des enveloppes territorialisées
destinées à servir toutes les collectivités locales
d’une même région et qui seraient définies
par la loi de Finances, dans un souci de corriger les disparités
régionales ;
- puis un temps de « distribution rapprochée »,
qui prendrait en compte les particularismes constatés dans
le temps et dans l’espace au niveau régional – et
dont la répartition serait mise en œuvre par des Comités
régionaux de finances locales.
Mais on peut aussi concevoir, au niveau national ou territorial,
d’expérimenter une « péréquation horizontale
», telle qu’elle est parfois pratiquée dans certains
autres pays européens, en vue d’établir des mécanismes
égalisateurs des ressources ou des besoins entre collectivités
de même niveau.
Novations espérées
Au total, c’est donc certainement dans le domaine
financier que les novations les plus prometteuses peuvent être envisagées.
Surtout si l’on admet enfin de reconsidérer le mythe français
de l’égalité ! L’attachement à une uniformité
de façade s’accommode chez nous souvent trop bien de profondes
inégalités, masquées par un formalisme pesant qui
voudrait faire croire que les territoires sont partout gérés
selon les mêmes dispositifs, puisque administrés par les
mêmes types de structures ! Il est d’ailleurs intéressant
de noter que jusqu’ici décentralisation et réformes
des finances locales ont été des politiques disjointes :
la taxe professionnelle, le vote des taux, la création de la Dotation
globale de fonctionnement (DGF), la tentative d’impôt local
sur le revenu, la Taxe professionnelle unique d’agglomération…
ces réformes-clés ont été souvent le fruit
de circonstances et n’ont donc pas été en leur temps
intégrées dans une politique délibérée
d’évolution du rôle des collectivités publiques
! Le débat actuel a fort justement lié ces deux termes,
et il faut espérer que ce rendez-vous si attendu ne sera pas manqué.
Une situation financière saine
Mais les collectivités territoriales sont-elles
en état de faire face à ce nouveau défi – elles
qui ont su si bien évoluer au cours des vingt dernières
années ? La réponse est bien entendu positive car leur situation
est globalement saine, même si les enjeux actuellement en débat
peuvent parfois inquiéter certains responsables locaux.
Leur situation financière globale est aujourd’hui
particulièrement bonne, sachant qu’il existe bien sûr
des disparités parfois importantes d’une collectivité
territoriale à l’autre. Le bilan de vingt ans de gestion «
décentralisée » se traduit notamment par l’amélioration
des principaux agrégats macro-économiques. Alors qu’en
1982 les collectivités territoriales enregistraient, comme l’Etat,
un déficit d’environ 1 point de PIB, elles dégagent
en 2002 une capacité de financement équivalant à
0,2 point de PIB. De même, si la dette représentait une année
de recettes courantes en 1982, elle s’établit aujourd’hui
à hauteur de 75 % seulement des ressources courantes. Les collectivités
territoriales ont donc réussi à mener une gestion saine
tout en consolidant leur rôle de principal investisseur public.
Pourtant, même si cette situation financière
favorable devrait leur permettre d’envisager sereinement des évolutions
significatives de leur rôle, certains responsables locaux peuvent
être légitimement préoccupés, voire inquiets,
quant à leur capacité à faire face à de nouvelles
obligations. Ce sentiment est renforcé par leur conviction que
l’Etat a trop souvent statué de façon léonine
sur leurs budgets, et par les failles de la politique « contractuelle
» menée depuis plusieurs années, qui ne suffit pas
à les prémunir contre une attitude fort peu respectueuse
de leurs prérogatives. Face à ces inquiétudes, la
nouvelle donne constitutionnelle est de nature à endiguer les tentations
bureaucratiques d’en haut. De plus, les responsables locaux pourront
utilement se faire les promoteurs d’une meilleure coordination de
leurs politiques financières locales, en soutenant par exemple
l’organisation d’une Conférence annuelle entre associations
d’élus et ministères.
Plus de 50 000 décisions budgétaires locales
annuelles – prises sans aucune concertation d’ensemble –
ont fait, depuis 2000, des collectivités territoriales les «
bons élèves de Maastricht », et les services publics
de proximité qu’elles rendent semblent satisfaire la majorité
de nos concitoyens. Grâce aux perspectives ouvertes dans le cadre
de la nouvelle décentralisation, alliées à une meilleure
prise en compte du pouvoir local comme acteur économique essentiel
du développement de ce pays, les finances locales demeureront certainement
un atout majeur du succès français. Car les responsables des
collectivités territoriales françaises sauront – comme
ils l’ont fait depuis 1982 – montrer leur capacité tout
à la fois d’adaptation aux exigences requises dans un monde
en rapide évolution, d’innovation dans l’étendue
des services rendus à leurs populations et de rigueur dans leurs
choix financiers.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/les-collectivites-locales-sont-bien-armees-financierement.html?item_id=2466
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