Télécommunication : les réseaux, avenir du monde rural
Les réseaux de télécommunication
n’ont pas encore eu autant d’impact sur l’aménagement
du territoire que les réseaux routiers et ferroviaires. Ils constituent
pourtant une source d’espoir considérable pour le monde rural.
L’impact des transports sur le développement
local, la vie des régions ou des pays n’est plus à
conter. L’histoire des chemins de fer, qui attiraient tout autant
qu’ils effrayaient, a laissé des traces indélébiles
sur l’aménagement de notre territoire, amplifiées plus
récemment par l’impact des nouvelles technologies des trains
à très grande vitesse.
Les incidences du réseau routier sont tout aussi
sensibles et, comme pour l’infrastructure ferroviaire, elles se mesurent
maintenant beaucoup plus à la dimension transeuropéenne
du trafic, entraînant notamment de fortes migrations industrielles
et l’implantation des grandes plates-formes de distribution.
Les réseaux de télécommunication
n’ont, jusqu’à présent, pas eu la même influence.
A l’échelle de la voix et de quelques échanges de données,
l’effet des réseaux fixes – lissé qui plus est
par l’apparition de la mobilité et de la notion nouvelle de
communication anywhere, anytime (n’importe où, n’importe
quand) – place les régions dans une position plus égalitaire,
grâce à la construction et à la gestion en France
d’un réseau numérique de très grande qualité.
Après la période rendue célèbre
par le « 22 à Asnières », la France s’est
en effet dotée avant tout autre pays d’un réseau entièrement
numérique bâti sur la valeur et l’ampleur des efforts
de recherche et de développement dont le CNET (Centre national
d’études des télécommunications, aujourd’hui
France Télécom R&D) était le moteur et l’animateur
par ses efforts de recherche interne et l’articulation des développements,
tant en direction des grandes entreprises que des PME.
Un précurseur, le minitel
C’est ce réseau qui, par sa capacité
de commutation électronique notamment, a permis l’avènement
d’une première et grande avancée : le minitel. Permettant,
pour la première fois dans l’histoire des télécommunications,
l’accès à plus de vingt mille services et alliant à
l’échange traditionnel de la voix la possibilité d’échanger
des données et d’amorcer le commerce électronique en
générant de nouveaux emplois, il n’apparaît pourtant
maintenant que comme un embryon de ce que seront les réseaux multimédias
interactifs du futur.
L’arrivée de l’adressage IP (adresse
de l’ordinateur) traduit dans les médias par le « phénomène
internet » associé à ses futurs routeurs de très
forte capacité, est venue bouleverser la hiérarchie des
réseaux et orienter les échanges à partir de nouvelles
architectures. Certains s’accordent même à penser qu’en
une quinzaine d’années on transférera progressivement
l’ensemble des échanges multimédias en « tout
IP ».
L’ère de profonds bouleversements dans les
télécommunications s’est subitement ouverte avec les
dérégulations, marquant la fin des monopoles, mais aussi
la fin d’une certaine vision étatique de grands projets, les
fusions et les nouvelles alliances, qui n’en sont encore qu’à
leur phase initiale, l’explosion des mobiles et l’apparition
d’une concurrence des réseaux (fixes, mobiles, satellites,
radios), la progression fulgurante d’internet et très rapidement
la naissance d’un « besoin » d’internet rapide,
les démonstrations d’applications multimédias (voix,
données, images) et le rapprochement, parfois la fusion, des acteurs
télécoms, informatique et audiovisuel.
Echec aux calculs financiers outranciers
Dès lors, on pouvait penser que les choses suivraient
tranquillement leur cours. Or, il n’en a rien été et
il n’en sera certainement rien. Ces récentes évolutions
sont en réalité autant de convulsions : la politique de
concurrence a sans doute le mérite d’orienter certains paniers
tarifaires à la baisse, mais le risque est, d’un côté,
de ne pas voir survivre les nouveaux entrants et, de l’autre, de
fragiliser les majors. Enfin, dans ce paysage troublé, les dangers
pour l’économie sont encore plus exacerbés.
Le premier était de s’engager dans une voie euphorisante et
irraisonnée, proche de la spéculation boursière où
la maîtrise de l’aménagement et des architectures de
réseaux laissait la place à des calculs financiers outranciers
: construire son artère à quelques Gbit/s au tarif actuel
de facturation du kbit/s aboutit en effet à une telle rentabilité
apparente que le mirage devient une dure réalité lorsque
les Gbit/s à transmettre ne sont pas présents au rendez-vous
(entre 1998 et 2001 la capacité des réseaux aux Etats-Unis
a été multipliée par 500 quand…le trafic internet n’aurait été multiplié que (!) par cinq) 1.
Or, tant que les réseaux d’accès
et les services associés restent au niveau des débits et
des temps d’occupation actuels, ils ne sont effectivement pas au
rendez-vous, sauf pour quelques artères majeures. L’erreur
était grossière et le gonflement inévitable. La secousse
n’en est que plus vive. Mais la deuxième erreur, aux conséquences
encore plus dramatiques à terme, serait de rester bloqué
sur une approche fondée sur une sorte de consensus mou autour de
cette future société communicante, sans l’anticipation
indispensable à toute grande mutation. Avec un flou artistique
sur les notions de hauts, de très hauts ou d’ultra-hauts débits
et une mayonnaise de pseudo concurrence technologique où les rapports
d’experts successifs 2 brassent allégrement
UMTS, boucle locale radio (BLR), xDSL, WI-FI, HFC, satellite, en oubliant
parfois étrangement le potentiel de la fibre et en propageant souvent
des paradigmes sans aucun rapport avec la fulgurance de l’évolution
technologique.
Nous vivons en effet une accélération sans
précédent (le petit téléphone portable que
chacun a maintenant dans sa poche n’existait pas il y a dix ans et
surtout ne pouvait se concevoir sous cette forme il y a seulement quinze
ans) par la convergence de deux révolutions technologiques majeures
de la fin du siècle dernier, que sont l’optoélectronique
et la sub-microélectronique. Elles ouvrent la voie à la
construction de réseaux très large bande interactifs.
Après la fibre monomode (qui aujourd’hui
est banalisée au point d’être directement compétitive
avec une simple paire symétrique), l’amplification optique,
le multiplexage en longueurs d’ondes, entre autres avancées
décisives, ont amené à réaliser des systèmes
de 2 Gbit/s en 1990 pour des records de 32x42 Gbit/s sur 2400 km en 2002.
Demain, on parlera de réseaux tout optique multicolores, de commutation
optique et aux petits kbits des échanges vocaux actuels se substitueront
progressivement des artères susceptibles de traiter selon les strates
des dizaines de Mbits ou de Gbits pour une immense araignée planétaire
interactive.
Pour ne citer que quelques exemples, l’enregistrement
3D deviendra réalité, les claviers sans touches aussi. On
parlera à son grand écran, tour à tour ami fidèle
et conseiller, et entre réalité virtuelle et échanges
en temps réels, notre vie quotidienne s’en trouvera plus bouleversée
que par les progrès précédents des transports et
télécommunications. Au point de se poser la question : a-t-on
suffisamment d’imagination pour conceptualiser le monde communicant
de demain ?
Dans ce contexte, comment ne pas comparer les évolutions
et les ambitions nationales (ou par grandes zones d’influence marchande
et culturelle) et constater que des décalages critiques sont en
train de se produire en matière de boucle locale filaire ? Or,
la prospective en l’état n’est pas tant de savoir si
dans quinze ans nous aurons atteint un niveau raisonnable, mais bien de
savoir quel chemin nous y conduira.
Derrière cette technologie apparente et concrète
des futurs réseaux de télécommunications, ce sont
en effet des pans entiers de l’activité créatrice et
génératrice d’emplois qui se trouvent concernés
: l’éducation, la santé, la recherche et l’industrie,
le commerce, les loisirs… Les enjeux sont considérables et
il n’y aurait pire situation que de constater a posteriori les dégâts
dans une Europe vieillissante et submersible.
Comment ne pas être frappé par le fait que
certains pays comme la Corée, le Japon (et pourtant ils ont aussi
opéré la dérégulation), comprenant ces enjeux,
ont véritablement dressé une stratégie de très
haut débit où souvent la poussée de EFM (Ethernet
in the first mile) traduit bien cette fusion des mondes informatiques
et télécoms ?
Citons, à titre d’exemple, la « e-Japan
strategy » (décidée par IT Strategy Headquarters en
janvier 2001)3 :
« Réaliser un des réseaux Internet les plus avancés
au monde en cinq ans, et être capable d’apporter à tout
usager qui le souhaite un accès ultra haut débit always
on – toujours disponible – (30-100 Mb/s) à un prix abordable.
» Le but était d’alimenter en accès haut débit
au moins trente millions de foyers et en ultra haut débit always
on dix millions de foyers.
En fait, fin 2002, ceci est considéré comme
acquis et la priorité est déjà donnée aux
applications (les contenus thématiques).
L’excellent article de prospective de Technology
futures inc.4 donne une typologie nord-américaine
des débits en 2015 qui va de 50 % des habitations accédant
à 24 Mb/s à 28 % ayant des accès entre 50 et 100
Mb/s et seulement 3 % d’usagers encore à un débit de
1,5 Mb/s.
On voit là la formidable accélération
qui se prépare pour des accès véritablement très
haut débit, dont seule « la fibre à profusion »
(ou Fiber to Anywhere dans les réseaux extérieurs et dans
les bâtiments (LAN - réseaux d’entreprises, SoHo –
réseaux de PME, home cabling – câblage de la maison)
peut assurer la pérennité. Un exemple volontairement caricatural
: transmettre un DVD de 7,2 GB avec un modem de 56 kbits de la côte est à la côte
ouest des Etats-Unis prendrait 13 jours, soit un temps supérieur
à celui du record du Pony Express, rendu célèbre
par les aventures de Lucky Luke. Avec une liaison Giga Ethernet, ceci
se fait en une minute.
Les atouts du haut débit pour le monde
rural
Curieusement, dans cette approche de futurs services
et usages, on peut mettre en exergue le paradoxe du monde rural et y voir
une source d’espoir face à la désertification et au
vieillissement des populations. Le monde rural des petits bourgs conserve
en effet une forte convivialité, une vie associative riche et créative,
et donc un potentiel d’usages collectifs et partagés.
Communautés de communes ou pays se sont dotés
de moyens suffisants pour réaliser des équipements que chaque
budget communal pris individuellement rendait inaccessible.
L’accès au très haut débit
(comparé en cela à la porte d’accès d’une
ancienne cité qui, dans notre cas, devient une « petite cité
numérique de caractère ») et son exploitation dans
des lieux de vie (médiathèque, bibliothèque, école,
centre social, maison de retraite, mairie, salle des fêtes...) avec
des notions d’animateur à temps partagé (analogue à
ce qui s’est pratiqué en matière de sport ou de culture,
par exemple) pourrait ainsi constituer le « paradoxe numérique
du monde rural » : nouvelles valeurs telles que « aménagement
du temps » (donner une autre valeur au temps), traitement et diffusion
de l’information autour de la bibliothèque rurale numérique
(info ciblée, digérée, partagée, mémoire,
thèmes), fédération ou création de communautés
(forums, veillées numériques), temps partagé, traitement
et diffusion de l’information, e-commerce (l’acheteur rural
numérique malin), nouveaux horizons pour petits artisans et commerçants,
outil de développement local et de désenclavement, création
de nouveaux métiers...
Bref, un monde qui se préparerait à l’accès
et aux usages de services nouveaux, beaucoup mieux qu’à travers
l’accès individuel et pour longtemps problématique.
L’impact serait alors fort : allier un cadre de vie agréable
à un accès privilégié au potentiel des futurs
réseaux très large bande.
Conscientes de « quelque chose tournant autour
de cette potentialité des hauts débits », mais avec
beaucoup de difficultés pour approcher cette notion, et ce d’autant
plus que la stratégie globale est floue et encombrée d’incertitudes
réglementaires, de nombreuses collectivités, par exemple
les départements du Rhône, du Tarn, de la région Basse
Normandie, tentent d’établir un véritable déploiement
de hauts débits au-delà des obstacles classiques rencontrés
(129 gros projets sont actuellement recensés).
Ainsi, la question fondamentale de ces enjeux de décentralisation et de communications très hauts débits est claire : la richesse d’une région se mesurera-t-elle, dans une ou deux décennies, à l’aune de son développement d’échanges multimédias interactifs ? En l’absence d’une politique de planification nationale, prendre en compte dès à présent cette dimension de l’aménagement territorial devrait être l’une des préoccupations majeurs des responsables politiques et économiques
- Réf. : Idate News
n° 229.
- Voir encadré Bibliographie (1-4), page
51.
- Voir Bibliographie (5).
- Voir Bibliographie (6).
Bibliographie
- (1) Réseaux à hauts débits : nouveaux contenus, nouveaux usages, nouveaux services, J.C Bourdier, 2001
- (2) Territoires numériques : les réseaux hauts débits, nouveaux enjeux du développement local, CCI, 2001
- (3) Internet haut débit et mesures gouvernementales, CSTI, 2001
- (4) Haut débit, mobile : quelle desserte des territoires ?, CES, 2001
- (5) Broadband policies in Japan, experiences and challenges, Y.Taniwaki
- (6) The local exchange in 2015, L.K.Vanston, Technology Futures Inc.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/telecommunication-les-reseaux-avenir-du-monde-rural.html?item_id=2470
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