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est directeur des assurances de biens et de responsabilité à la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA)
L’assurance face à l’accroissement des risques naturels
La France n’est pas épargnée par
la tendance à l’aggravation des sinistres majeurs – avant
tout, tempêtes et inondations – observée dans le monde
entier. Les assureurs en tirent les conséquences.
Les coûts liés aux événements
naturels s’aggravent graduellement à travers le monde. Selon
le groupe de réassurance Munich Re, les dégâts consécutifs
à des phénomènes climatiques se seraient élevés
à 55 milliards de dollars en 2002. Les différentes estimations
disponibles à la fin de 2002 évaluent le montant des dommages
assurés entre 10 milliards et 11,5 milliards de dollars. Même
si, entre 2001 et 2002, la charge des indemnisations supportée
par les sociétés d’assurances du fait des aléas
climatiques est restée relativement stable, on observe une aggravation
tendancielle des sinistres majeurs. Elle participe d’un double mouvement
:
- l’évolution de la matière assurée, avec un accroissement
de la densité de la population, ainsi qu’une concentration
des valeurs assurées dans des zones plus fortement exposées
au risque ;
- l’évolution du climat, qui résulte pour partie du réchauffement
de la planète. Comme le souligne Munich Re, 2002 a été,
avec 1998, l’année la plus chaude depuis que des relevés
de température sont effectués.
L’écrasante majorité des événements
climatiques est constituée des tempêtes et des inondations.
Sigma, la cellule de recherche du groupe de réassurance Swiss Re,
a ainsi estimé le montant des dommages assurés du fait des
inondations à plus de 3,9 milliards de dollars en 2002, dont 3,2
au titre de celles qui se sont produites fin juillet en Europe centrale,
ce qui en fait un sinistre majeur.
En France, les pluies diluviennes qui se sont abattues
dans le sud du pays en septembre 2002 auraient finalement causé
pour 700 millions d’euros de dommages assurés. La France a
été touchée par des inondations de grande ampleur
durant la dernière décennie, qu’il s’agisse de
la Somme en avril 2001 ou de l’Aude en novembre 1999 ou encore de
celles qui ont suivi les tempêtes Lothar et Martin en décembre
1999. Ces deux tempêtes ont affecté deux tiers des départements
français et donné lieu à 7,5 milliards d’euros d’indemnisation
au titre de la garantie tempête, et 275 millions d’euros au
titre des inondations.
Principaux événements
naturels survenus
en France depuis 1995 et coût estimé
en millions d’euros (*)
|
Janvier -février 1995 |
Inondations dans le Nord, l’Est
et l’Ouest |
396 Me
|
Août - septembre 1995
|
Cyclone aux Antilles |
122 Me
|
Novembre 1999
|
Inondations dans le Grand Sud
(Aude) |
285 Me
|
Décembre 1999 - Janvier
2000
|
Inondations, coulées de
boue touchant 66 départements |
275 Me
|
Décembre 1999 - Janvier
2000
|
Tempêtes Lothar et Martin |
7 500 Me
|
Avril 2001
|
Inondations dans la Somme |
100 Me
|
Mai 2001
|
Inondations du Rhône, de
la Meuse et de la Seine |
100 Me
|
Septembre 2002 |
Inondations du Sud-Est (estimation)
|
700 Me
|
|
|
|
(*) Seuls les événements
naturels dont le coût est supérieur à 100 millions
d’euros (euros courants) sont pris en compte. A cette liste,
il conviendrait d’ajouter les deux vagues de sécheresse
(1989-1993 et 1995-1999) pour un coût total de 2 439 millions
d’euros. |
Une tendance inscrite dans la durée
Bien avant ces tempêtes exceptionnelles, les sociétés
d’assurances, au travers de leur fédération professionnelle,
avaient souhaité dresser un inventaire synthétique des travaux
menés en matière de climatologie et déterminer les
conséquences des évolutions envisagées pour le domaine
assuranciel.
L’importante mobilisation scientifique depuis plus
de trente ans a en effet permis de mettre pour partie en lumière
les mécanismes gouvernant la formation et l’évolution
du climat. Conjointement à la connaissance qualitative des facteurs
intervenant dans le déterminisme du climat, des modèles,
mondiaux dans un premier temps, régionaux désormais, permettent
d’appréhender quantitativement les changements futurs.
Malgré le relatif mutisme des modèles quant
à la prévision des événements extrêmes
potentiels, de grandes tendances se dégagent permettant de conclure
à un accroissement substantiel de la sinistralité du fait,
principalement, des inondations.
Au vu des études scientifiques actuelles, l’accroissement
de la charge des sinistres entre 2000 et 2010 pour l’ensemble des
branches dommages aux biens en France pourrait être de 20 %.
Des dispositifs de couverture des événements
naturels
En France, l’indemnisation des conséquences
financières des événements naturels relève
de quatre dispositifs distincts selon la nature de l’agent causal
et de la victime.
Les dommages « mutualisables » dans le cadre des mécanismes
traditionnels de l’assurance et de la réassurance sont couverts
par des garanties contractuelles, facultatives ou obligatoires. Entrent
notamment dans cette catégorie les effets des tempêtes, de
la grêle, du poids de la neige sur les toitures et du gel.
Pour les dommages non-assurables, le législateur
français a mis en place en juillet 1982 un dispositif original
basé sur la solidarité entre tous les assurés en
dommages aux biens, qui bénéficient dans des conditions
réglementées d’une extension obligatoire de leurs garanties
dommages aux effets des catastrophes naturelles.
Sous ce régime sont considérés comme
les effets des catastrophes naturelles « les dommages matériels
directs non-assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité
anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à
prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher
leur survenance ou n’ont pu être prises » (article L.
125-1 du code des assurances). Le législateur a choisi de ne pas
préciser davantage, plutôt que d’énumérer
une liste d’événements dont l’exhaustivité
ou la non-exhaustivité ne serait pas exempte de critiques. Les
risques de catastrophe naturelle peuvent être réassurés
par la Caisse centrale de réassurance avec la garantie de l’Etat.
Deux fonds complètent ces dispositifs. Le Fonds
de prévention des risques naturels majeurs a vocation à
indemniser les personnes dont l’expropriation est rendue nécessaire
par une menace grave de survenance d’un mouvement de terrain, d’une
avalanche ou de crues torrentielles. Les dommages non-assurables subis
par les exploitations agricoles (récoltes non engrangées,
cheptels vivant hors bâtiments) relèvent du Fonds national
de garantie des calamités agricoles, institué par la loi
du 10 juillet 1964.
Il résulte du fonctionnement de ces dispositifs
que, dans notre pays, les victimes d’événements naturels
catastrophiques sont relativement bien indemnisées de leurs dommages
matériels par rapport à d’autres pays. Mais le maintien
de leur équilibre financier conditionne leur pérennité.
C’est notamment le cas pour le régime
des catastrophes naturelles institué par la loi du 13 juillet 1982.
En effet, si l’augmentation annoncée des précipitations
intenses se confirmait, les simulations suggèrent que le surcoût
pour le régime pourrait être de 600 millions d’euros
par période de dix ans. La volatilité des dommages n’étant
pas exclue, elle conduirait probablement à un appel plus fréquent
à la garantie de l’Etat prévu par la loi.
L’équilibre financier du régime des
catastrophes naturelles a d’ailleurs d’ores et déjà
été fragilisé, ces dernières années,
par un fort accroissement de la sinistralité. A l’augmentation
constante de la charge des sinistres « sécheresse »,
observée depuis 1989, est venue s’ajouter celle d’inondations
graves qui ont frappé la France en 1999 (Grand Sud au mois de novembre,
inondations consécutives aux deux tempêtes de décembre).
Cette même année, les Antilles étaient prises dans
la tourmente des cyclones José et Lenny.
A la suite de ces événements, notamment
les sécheresses, l’Etat a été contraint de relever
au moyen d’un arrêté le taux de prime additionnelle
de 9 % à 12 % s’appliquant aux contrats d’assurance de
dommages aux biens autres que les véhicules à moteur et
de mettre en place un système de franchise modulable afin de renforcer
la prévention.
L’évolution des risques et la prévention
En principe, la loi de 1982 instituant le régime
d’indemnisation des catastrophes naturelles s’inspirait non
seulement de la considération due aux victimes, mais aussi de préoccupations
relatives à la prévention : les pouvoirs publics s’engageaient
alors à élaborer des plans d’exposition aux risques
prévisibles (PER), dont l’objet était de déterminer
les zones exposées et de prescrire les mesures de prévention
nécessaires. Il y eut toutefois très peu de PER prescrits
et approuvés. En fait, le volet prévention de la loi fut
largement oublié.
La loi du 2 février 1995 – communément
appelée loi Barnier – a substitué les plans de prévention
des risques (PPR) aux PER. Cette réforme a permis tout à
la fois de clarifier, de simplifier et de rendre plus opérationnel
le dispositif de prévention des risques. Cette réforme s’est
notamment traduite par une prescription accrue de plans de prévention.
Mais il aura fallu attendre un arrêté du 5 septembre 2000
instituant une modulation des franchises applicables en cas de sinistre,
en fonction du nombre d’arrêtés pris pour ce même
événement à compter de l’entrée en vigueur
de la loi Barnier, pour que le nombre de PPR prescrits augmente considérablement.
Au 30 octobre 2002, plus de 8 800 communes font l’objet d’un
PPR (3 475 communes ont un PPR approuvé et 5 430 ont un PPR prescrit
mais encore non approuvé).
Les augmentations de franchise (pouvant aller jusqu’au
quadruplement) sont supprimées en cas de prescription d’un
PPR dans la commune concernée. Toutefois, elles redeviennent applicables
si le plan n’est pas approuvé dans les cinq ans à compter
de la date de l’arrêté ayant prescrit ce plan.
Il va de soi que la prescription d’un PPR ne devrait
pas avoir pour finalité d’éviter l’application
des franchises majorées (ce qui est le cas lorsque le PPR est prescrit
après l’événement et avant que l’arrêté
interministériel constatant l’état de catastrophe naturelle
ne soit publié), mais d’engager un véritable processus
de prévention qui se concrétisera par des mesures effectives
applicables après l’approbation du PPR.
Améliorer l’information
L’aggravation tendancielle des dommages imputables
aux événements naturels évoquée dans la première
partie de cet article incite vigoureusement à mieux se préoccuper
de la prévention.
Les assureurs ont mis en place, le 1er mars 2000, une
structure permanente baptisée « Mission risques naturels
» (MRN). Son objectif est d’organiser les échanges d’informations
entre les assureurs et les pouvoirs publics, afin de mieux connaître
et de mieux analyser les risques naturels et d’aider les responsables
politiques dans l’orientation des actions de prévention. Elle
développe également des méthodes d’expertise
et de conseil à l’usage des assureurs pour les entreprises
et les particuliers. Elle teste et valide les techniques pouvant permettre
aux assureurs d’affiner la connaissance des enjeux économiques,
l’évaluation des cumuls de risques et des dommages réels
pour chaque société comme pour la profession dans son ensemble.
Renforcer la prévention
La volonté de prévenir et de réduire
les conséquences d’un événement climatique ne
cesse de se renforcer. En témoigne le Titre II (risques naturels)
du projet de loi qui doit être discuté à l’Assemblée
nationale et au Sénat dans le courant du premier trimestre 2003.
Ce projet prévoit notamment :
- l’obligation pour les maires de communes dotées
d’un PPR d’informer la population sur les caractéristiques
des risques connus de la commune, les mesures de prévention ou
de sauvegarde possibles, l’organisation des secours, les mesures
prises par la commune pour gérer le risque… ;
l’établissement par le préfet de schémas directeurs
de prévision des crues et l’organisation de l’information
à destination des collectivités locales ;
l’obligation pour les maires d’établir et d’entretenir
les repères des crues ;
- des servitudes d’utilité publique visant à créer
des zones de rétention temporaire des eaux pour réduire
les crues et des zones de mobilité d’un cours d’eau,
dont il résultera des obligations particulières pour les
propriétaires et exploitants de terrains et d’ouvrages situés
dans ces zones ;
- des dispositions pour réduire l’érosion des sols agricoles
lorsque celle-ci peut causer des dommages importants en aval ;
- un rôle accru du fonds de prévention des risques majeurs
;
- la sanction du comportement des assurés en catastrophe naturelle
qui ne prennent aucune précaution de nature à réduire
la vulnérabilité des biens ou activités assurés
;
- des obligations d’information lors de la vente de biens situés
dans des zones à risque ou déjà frappées par
un sinistre catastrophe naturelle.
Une plus grande responsabilisation des personnes publiques
ou privées concernées par l’exposition aux risques
naturels est évidemment nécessaire pour éviter à
l’avenir le dérapage financier de nos systèmes d’indemnisation.
Peut-être peut-on reprendre pour conclure cette phrase de l’exposé
des motifs du projet de loi : « Tant l’évolution des
conditions climatiques que celle des mentalités laisse à
penser qu’il faut, parallèlement au développement des
politiques de prévention et de protection, durablement apprendre
à vivre avec le risque et s’y préparer ».
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-2/l-assurance-face-a-l-accroissement-des-risques-naturels.html?item_id=2462
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