est président de Qualibat.
Normes et réglementations : fortifiants ou poisons ?
Dans le bâtiment, si certaines réglementations sont indispensables, d'autres peuvent s'avérer nocives. Un tri sélectif s'impose donc afin d'éviter l'intoxication...
Face au sujet complexe de la réglementation, j'adopterai l'attitude des pharmacologues qui, comme les Grecs de l'Antiquité, savent que la substance administrée peut être à la fois le poison et le remède, ce que désigne le terme pharmakon en grec ancien. La métaphore de ces substances qui, comme l'arsenic, sont des fortifiants à faible dose et deviennent des poisons à forte dose, fonctionne pleinement.
Les raisons d'une polémique
La raison principale de la polémique sur le trop-plein de normes et réglementations est l'augmentation très significative de leur nombre dans le secteur du bâtiment elles entraînent pour certaines une hausse des coûts de construction et rendent plus difficile l'art de construire.
Cet accroissement est la conséquence directe de la complexification des bâtiments, auxquels on demande toujours plus de performances, toujours plus d'usages, toujours plus de services.
Aux dimensions de sécurité (stabilité, feu, sécurité sismique), de qualité acoustique et de qualité énergétique s'ajoutent les dimensions de santé environnementale (qualité de l'air intérieur notamment). Le vieillissement de la société, l'accueil des handicapés et le souhait partagé du maintien à domicile jusqu'aux âges les plus avancés ont conduit à des réglementations spécifiques.
À cela s'ajoutent des normes tirées d'options d'urbanisme transcrites dans les PLU et qui impactent le bâtiment (places de parking, locaux à vélos, tri sélectif...). On assiste donc à un empilement de normes et de réglementations qui est, au premier degré, la transcription de cette complexité croissante des bâtiments.
Parfois aussi, la société décide de durcir des réglementations existantes pour aller dans le sens de mouvements de société. C'est le cas du durcissement récent de la sécurité sismique (plus de protection) ou de celui de la réglementation thermique (étape indispensable de la transition énergétique). Nous n'arrêterons pas cette complexification des enjeux du bâtiment. Nous devons l'accepter comme une donnée et trouver des solutions.
Des normes indispensables et indiscutables
Au premier chef, les normes indiscutables sont celles qui appartiennent au mesurage, ou mesure, des caractéristiques des produits de construction, par exemple leurs caractéristiques d'isolation thermique : tout le monde trouve nécessaire d'avoir des unités de mesure normalisées et communes.
De la même manière, les normes de mesurage des ouvrages de bâtiment sont indispensables, par exemple la mesure des performances acoustiques (bruit aérien, bruit d'impact) ou les normes d'étanchéité à l'air. Les architectes et les bureaux d'études ainsi que les entrepreneurs ont besoin de ces normes pour concevoir et construire.
Les règles de l'art qui donnent naissance à des normes DTU sont, elles aussi, parfaitement acceptées car elles aident les acteurs à bien construire. Même les normes qui permettent de mesurer la compétence des acteurs (ce qui conduit à la qualification des entreprises et des bureaux d'études techniques) font l'objet d'un accord.
En ce qui concerne les normes de produits, il y a un consensus pour qu'elles ne soient pas seulement nationales mais d'envergure supranationale : normes EN à l'échelle de l'Europe, normes ISO à l'échelle mondiale. D'ailleurs, tout le monde se félicite de la dynamique de l'Europe à travers les normes EN, qui sont de création récente et souvent bousculent les normes ISO parce que plus modernes. On voit clairement l'intérêt dans la compétition économique mondiale de posséder des normes performantes. Toutes ces normes sont acceptées, souvent désirées, et ne font pas objet de débats.
Des normes et réglementations fortifiantes
Par normes fortifiantes, nous visons toutes celles qui font faire des progrès et « boostent » les innovations.
- Dans les normes de produits, il est possible de décider de renseigner de nouvelles caractéristiques et d'en prévoir la mesure dès lors, l'industriel souhaite que ses produits atteignent les meilleurs niveaux pour en faire un argument de vente.
Par exemple, les fiches FDES (fiches descriptives environnementales et sanitaires) ont conduit les industriels à argumenter sur la qualité de l'air et sur l'énergie grise 1 nécessaire à la fabrication de leurs produits.
Dans le même esprit, si l'on décide d'indiquer la « trace carbone » des produits de construction tout au long de leur cycle de vie, on observera des progrès très significatifs sur la durée de vie de ces produits et leurs capacités de recyclage.
- Les réglementations techniques sur les ouvrages de bâtiment, pour autant qu'elles soient performancielles, constituent de puissants leviers d'amélioration de la qualité des bâtiments. Obligatoires, elles forcent tous les acteurs à franchir le pas de performance. Cependant, une analyse plus fine nous montre qu'elles n'en sont pas toutes au stade performanciel. La réglementation acoustique échappe à cette critique ainsi que, pour partie, la réglementation thermique. Ce n'est pas le cas pour les réglementations de sécurité sismique et de sécurité feu, qui comportent des pans entiers d'obligations de moyens. Cela ne l'est pas du tout pour la réglementation handicapés, qui raisonne pratiquement totalement en termes de moyens.
Nous reviendrons sur ce débat : réglementation performancielle ou réglementation de moyens. Mais à ce stade nous retiendrons que le pays qui prend de l'avance dans ses réglementations techniques favorise ses industriels car il leur offre un marché intérieur pour leurs innovations. L'avance prise par les Allemands sur la réglementation thermique a ainsi conduit l'industrie allemande à produire des verres peu émissifs, quelque cinq ans avant la France.
- Les labels volontaires sur les ouvrages.
C'est le cas du label BBC (bâtiment basse consommation), qui a précédé la RT 2012 de quatre années et a ainsi permis à nos industriels d'orienter tôt leurs programmes de recherche et d'innovation dans le bon sens. À travers cet exemple, nous voyons tout l'intérêt pour les industriels, mais aussi pour les meilleurs de nos concepteurs et de nos entrepreneurs, de connaître suffisamment tôt (à l'avance) l'avenir et de l'expérimenter.
C'est pourquoi, pour aller vers 2020, plus précisément vers le bâtiment responsable (réglementation bâtiment responsable 2020, RBR 2020), il est important de disposer au plus vite d'un label environnemental et énergétique qui préfigurerait les lignes de force de ce bâtiment responsable 2020. Si l'on annonce que ce label comptabilisera l'énergie grise du bâtiment, sa trace carbone tout au long de son cycle de vie, ses capacités d'effacement, de stockage de l'énergie, d'autoconsommation, ses capacités d'intégration à l'îlot et au quartier, alors tout le monde y verra plus clair et positionnera ses recherches et ses innovations dans le bon sens. C'est à ce prix que nous pouvons espérer nous mettre sur les créneaux porteurs.
Les risques d'empoisonnement
Qu'en est-il lorsque nous nous situons dans l'overdose ou dans l'abus ? De quelles intoxications pouvons-nous souffrir ?
- Intoxication par les coûts
En clair, la somme des normes et réglementations en vigueur entraîne une hausse des coûts jugée incompatible avec le marché du bâtiment qui a été diagnostiquée très justement par le gouvernement et les organisations professionnelles. Elle a donné lieu à un groupe de travail (groupe de travail numéro 1 d'Objectifs 500 000, rapporteuse générale Mme Nadia Bouyer 2) qui débouche sur des décisions d'ampleur significative et qui constitue, à ma connaissance, une première.
- Intoxication par étouffement de la créativité architecturale et de l'ingénierie
Le diagnostic n'est pas toujours partagé par l'ensemble des acteurs mais, à l'évidence, un excès de normes et de réglementations (pour les réglementations insuffisamment performancielles) peut conduire à contraindre l'architecture et l'ingénierie. À ce moment-là, le projet n'est que l'expression de toutes ces contraintes : il n'y a plus place pour l'inventivité et la création. Perspective souvent évoquée lors des durcissements successifs de la réglementation thermique (2000, 2005, 2012) sous l'appellation « bouteille thermos » et fort heureusement jamais advenue.
- Intoxication entraînant le blocage de l'innovation
Le rythme de modernisation et d'innovation dans le secteur du bâtiment a fortement augmenté ces dernières années et ne fera que croître à l'avenir. Il serait normal, en raisonnant de façon simple, que normes et réglementations suivent un rythme de mise à jour identique. Que se passe-t-il si les normes et réglementations restent figées ?
Ce risque est apparu dans la réglementation thermique qui, certes, avait prévu un titre V pour incorporer au fur et à mesure les innovations mais que, très justement, on a été obligé de rendre plus réactive aux innovations et en mesure d'accélérer l'instruction des dossiers.
Ce risque est également apparu dans le domaine des règles de l'art. C'est la raison pour laquelle le programme « Règles de l'art Grenelle environnement 2012 » (Rage) a été lancé et a choisi un système de recommandations professionnelles (élaboré très rapidement), adapté aux innovations des systèmes thermiques passifs et actifs du bâtiment alors que le rythme de fabrication des documents techniques unifiés (DTU) était trop lent et ne permettait pas cette adaptation.
- Intoxication par excès de contraintes urbaines
Dans ces normes et réglementations, il y en a certaines qui, en fait, reflètent des options d'urbanisme et même plus explicitement de modes de vie urbains. Or, tous les experts s'accordent sur l'idée que nos modes de vie urbains vont évoluer très rapidement pour diminuer l'empreinte écologique des villes (empreinte écologique incompatible avec les ressources de la planète). Nous allons vers la ville adaptable avec des formes de mobilité moins énergivores et moins « carbonées ». Déjà, on a remarqué le contresens qui consiste à exiger des places de parking dans les zones parfaitement desservies par les transports en commun il en est de même pour la rigidité d'implantation des locaux à vélos. Bref, il faut donner beaucoup plus de souplesse aux choix locaux d'urbanisme et débarrasser les normes et réglementations de cette dimension implicite urbaine. D'autant que les bâtiments seront amenés à changer d'usage à l'avenir et qu'il convient de moins les spécialiser qu'avant.
Que faire?
D'abord, il faut nous intéresser à la genèse de ces normes et de ces réglementations. Autant celles qui ont un temps de gestation long, qui sont discutées avec tous les acteurs et qui correspondent à des débats de société inscrits dans la durée paraissent bien nées, autant celles qui sont élaborées dans l'urgence sous le coup d'un accident médiatisé, donnant lieu à des réactions émotionnelles, doivent être regardées avec suspicion.
À la première catégorie se rattachent les réglementations thermiques et les réglementations de santé environnementales inscrites pour longtemps dans nos préoccupations de société; à la deuxième catégorie, se rattachent, par exemple, la réglementation sur les piscines et la réglementation sur les ascenseurs, prises toutes deux sous l'empire de l'émotion. Il y a aussi celles qui sont le fruit de lobbys : s'y rattachent la réglementation sur les ascenseurs et les normes électriques de confort multipliant les prises électriques.
Il faut ensuite faire le ménage dans l'accumulation de ces normes et réglementations pour ce faire, il faut à tout prix les hiérarchiser en privilégiant les réglementations prioritaires. Force est de constater la prédominance de réglementations sécuritaires dont la sévérité est sans cesse accrue et dont le coût peut être considéré comme déraisonnable. C'est ainsi que la révision de la carte des zones sismiques en France a donné lieu, par automaticité, à un renforcement des règles sismiques dans un contexte de très faible occurrence des secousses sismiques. L'ajout de réglementations très ambitieuses et très volontaires sur l'amiante peut avoir pour conséquence soit de bloquer des travaux de désamiantage qui auraient eu lieu, soit de faire ces travaux en dehors de toute réglementation dans la plus pure tricherie.
Il faut aussi prévoir, et ce n'est pas paradoxal, des dérogations à ces normes et ces réglementations. C'est la dérogation au nom du bon sens, au nom de la situation contextuelle. Si rien n'est prévu en termes de dérogation, cela conduit à des normes et réglementations qui veulent traiter tous les cas de figure et deviennent trop précises, trop longues et donc trop difficiles à assimiler.
Il vaut mieux une norme courte, une réglementation simple et performancielle avec des capacités d'adaptation et des possibilités de dérogation. La réglementation handicapés mériterait de passer au crible de ce regard. L'acharnement de l'adaptation totale et systématique des bâtiments — et notamment de tous les logements — au séjour des handicapés conduit à des effets contraires aux intentions de départs. Ainsi, demander que tous les balcons et terrasses soient accessibles conduit à diminuer le nombre des balcons et terrasses. L'obligation d'adapter tous les espaces de circulation dans les logements conduit à la suppression de ces espaces de circulation. On pourrait multiplier la liste des effets pervers de certaines réglementations. La meilleure façon de les éviter, c'est de permettre des dérogations sous contrôle intelligent.
Des outils au service d'ambitions sociétales
L'analyse a été conduite, les solutions esquissées. Nous avons écarté la solution radicale du « grand soir » : la suppression des normes et réglementations. Elle n'a pas de sens, car ces normes et réglementations dans le bâtiment sont certes des outils, mais des outils au service d'ambitions sociétales. Certaines de ces ambitions concernent au premier chef l'individu, c'est le cas de la sécurité, de la santé, du confort. D'autres concernent l'organisation de notre société et de nos modes de vie (handicapés, tri sélectif). D'autres enfin, plus récentes, renvoient à des dimensions planétaires : énergie, environnement, effet de serre.
Chacune d'elle a sa lisibilité, son utilité, plus ou moins fondamentale d'ailleurs, mais l'empilement sans hiérarchisation n'a pas de sens, pas de lisibilité et peut devenir contre-productif.
Il nous faut donc un pharmacologue qui doit être unique et qui représente notre responsabilité collective. À lui, à nous, si nous voulons rester dans le registre du remède et du fortifiant, d'exercer une pharmacovigilance de tous les instants.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2014-11/normes-et-reglementations-fortifiants-ou-poisons.html?item_id=3441
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