Martin LAUQUIN

Cofondateur de The Creativists.

Nicolas MINVIELLE

Responsable du mastère Marketing, design et création d'Audencia Nantes et cofondateur de The Creativists.

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Faire du changement l'affaire de tous

Utiliser les clients comme source d'inspiration pour repenser ses stratégies, anticiper l'évolution des usages et des business models, utiliser les approches émergentes pour stimuler la créativité des collaborateurs : autant de pistes pour que les entreprises appréhendent différemment l'évolution de leurs métiers.

Les mutations en cours dans l'économie reconfigurent les règles du jeu de l'environnement concurrentiel : les taxis contre les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC), les hôteliers contre le logement chez l'habitant, la presse contre les moteurs de recherche et bientôt l'industrie cinématographique contre la vidéo à la demande (VOD).
Dans un monde qui change, l'entreprise performante est celle qui, toujours en éveil, comprend ces mutations et les anticipe. Pour relever les principaux défis du changement économique et de la réforme, l'entreprise doit se réinventer en réveillant le dynamisme de ses collaborateurs et en se rapprochant des usagers pour mieux cerner leurs besoins.

Les défis des entreprises françaises

Un exemple : à l'ère du 2.0, les logements doivent coller au plus près des désirs et besoins de leurs propriétaires. Dans ce contexte, la domotique voit son champ d'application s'accroître, comme l'illustre la dernière acquisition du fournisseur d'accès Google, qui a posé sur la table 3,2 milliards de dollars en début d'année pour racheter Nest Labs, fabricant de thermostats connectés (la troisième plus grosse acquisition de son histoire).
Thermostats activables à distance, détecteurs de fumée « bavards », systèmes de sécurité prédictifs la combinaison de l'électronique et de l'informatique représenterait le fruit de la synergie la plus avancée entre hommes et bâtiments. Force est de constater que l'innovation est ici appréhendée sous le seul angle technologique. Nos champions français, centrés sur la technologie et encouragés en ce sens par des kyrielles de programmes nationaux d'appui à l'innovation, ont trop souvent confondu recherche & développement et création de valeur. L'allocation des budgets favorise d'ailleurs des démarches ayant une forte dimension technique et laisse de côté les composantes sociales ou liées à l'usage de l'innovation.
Conséquence directe des approches techn push (les innovations qui partent de l'invention technologique pour aller vers le marché), les collaborateurs passent parfois davantage de temps à construire des plans d'actions qu'à préparer leur mise en oeuvre, par exemple en allant à la rencontre de leurs clients.
Dans le champ de la construction, mieux appréhender le comportement des usagers directement dans leur habitat doit permettre aux industriels de détecter leurs attentes, voire d'induire les comportements adéquats. Ainsi, les nouveaux logements devraient être pensés dans une logique demand pull (les innovations qui partent de besoins identifiés sur le marché) visant par exemple à mobiliser les habitants et à stimuler l'adoption d'« éco-gestes » préalables à la réduction des consommations d'énergie domestiques. Il s'agit de faire en sorte que l'usager devienne partie prenante du processus de conception et ne soit pas considéré uniquement comme une simple cible marketing.
La différence est de taille, et ce changement de perspective implique d'apprendre à observer différemment afin d'obtenir des données et des pistes de travail plus qualitatives et plus riches, mais aussi d'apprendre à travailler avec ces usagers pour maximiser les opportunités d'interaction.
On observe que les délais pour passer d'une idée à une offre sur le marché sont souvent très longs. Par peur d'un échec, ou pour des raisons de politique interne, des approches processuelles complexes et paramétrées ont été mises en place, intégrant des systèmes d'évaluation et de mesure interentreprises, alors même que les délais de mise sur le marché constituent un facteur clé de succès et que la comparaison à des référentiels de bonnes pratiques d'hier ne permet pas de garantir les meilleurs résultats de demain. Les démarches marketing et qualité peuvent fonctionner dans certaines situations comme un frein dans un environnement agile qui demande à repenser ces approches de mise sur le marché d'une offre.

Des approches éprouvées

En favorisant l'intelligence et le projet collectifs, un certain nombre d'approches permettent de catalyser l'émergence de marchés novateurs, prometteurs pour l'avenir. Pensée créative, observation des usages, maquettage rapide : de nouvelles méthodologies se diffusent à tous les niveaux de l'entreprise et transforment radicalement la manière dont elle travaille avec ses collaborateurs et ses clients.
Nombre d'innovations n'auraient pas été possibles s'il n'y avait pas eu un changement de point de vue. C'est l'une des composantes d'une démarche de création qui consiste à concevoir en empathie avec les usagers. Pour ce faire, une des techniques consiste à mettre en place une approche « vis ma vie » au travers de laquelle un designer se met en situation d'usage réel. Se mettre dans la peau d'un malvoyant avec des lunettes permettant de simuler un handicap et tenter de se déplacer dans un environnement inconnu permet de remettre en perspective le rôle des informations signalétiques, de l'éclairage, des contrastes, etc. Comment amener des industriels, entrepreneurs ou artisans à se mettre dans la peau du client et non à se positionner comme simples prestataires de services ? Comment arriver à analyser ces changements dans les comportements et à les prendre en compte très en amont dans les démarches de conception ?
Les usagers peuvent faire preuve d'une capacité d'innovation importante dans leurs usages de produits et services dont l'entreprise a tout intérêt à s'inspirer. Elle peut aussi développer des démarches de travail externalisées. Si l'on prend l'exemple du bâtiment, nombre de « bidouilleurs, bricoleurs et autres usagers extrêmes » ont des idées à apporter aux entreprises. Ainsi, la comparaison entre l'image idéale de la salle de bains proposée dans une revue de décoration et les détournements d'usage adoptés par les habitants permettra de souligner des aspects déterminants dans la conception de ces lieux : la diversité des usagers (parents, enfants, amis...) implique notamment une « évolutivité » de l'aménagement qui n'est que peu ou pas prise en compte par les industriels. Comment capitaliser sur cette manne créative, et aller y trouver des approches décalées, plus proches des besoins des usagers ?
Et si on travaillait comme les start-up ? Dans la mesure où elles sont incapables de se projeter sur un marché qu'elles sont en train de construire (il n'y a pas de données sur des marchés qui sont à inventer), les start-up ont développé des méthodes de conception particulièrement agiles et frugales. À titre d'exemple, plutôt que de construire une offre et de la tester, ces entreprises mettent en place des démarches de type « construction, mesure, apprentissage ». L'idée sous-jacente est de tester des « bouts » d'offre, qu'elle soit produit ou service, et de ne pas hésiter à étouffer les projets dans l'oeuf dès que les retours sont négatifs. Au fur et à mesure que ces tests sont effectués et en capitalisant sur la connaissance générée, les offres sont mises sur le marché et se retrouvent en adéquation avec les besoins des usagers.

De nouveaux modes de travail

Promouvoir de nouveaux modes de travail plus collaboratifs et itératifs, notamment au travers d'ateliers multiacteurs, peut être un excellent moyen pour valoriser le capital humain en interne. En effet, le travail en atelier permet de faire participer un nombre important d'acteurs internes et de jouer sur leur diversité pour favoriser l'appropriation. Cette démarche vise autant les phases amont, telles que le diagnostic, que les phases aval, plus critiques, de mise en place des projets. Chaque acteur se trouve ainsi en mesure de valoriser son rôle et son apport, ainsi que ses expertises et les difficultés auxquelles il se trouve confronté. Énoncées clairement et partagées, ces questions facilitent ensuite la mise en oeuvre des projets. Ici encore, de nombreuses questions se posent sur la manière de mettre autour de la table des parties prenantes nombreuses et ayant toutes des problématiques différentes. Ainsi peut-on imaginer qu'un appel d'offres soit co-construit en atelier et que la sélection de l'entreprise gagnante se fasse sur un autre critère que le prix.
Les démarches créatives sont devenues essentielles pour tirer parti des apports des collaborateurs, des usages et de la multidisciplinarité des profils (designers, anthropologues, « start-upers »...).
Bien entendu, ce n'est pas la panacée, et il peut exister d'autres formules, collectives ou individuelles. Y recourir implique de la part des entreprises une adaptation tant au niveau organisationnel qu'en ce qui concerne la gestion des projets et des parcours individuels, ce qui implique un engagement fort sur le long terme qui doit dépasser les simples effets de mode.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2014-11/faire-du-changement-l-affaire-de-tous.html?item_id=3448
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