Catherine CARELY

Présidente de la chambre interdépartementale des notaires de Paris.

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Les excès de la loi Alur

La loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ajoute une strate supplémentaire à l'empilement des textes concernant le logement et à leur complexité, source d'incertitudes juridiques. Il serait temps de mettre en place un droit réaliste et flexible au service des citoyens.

Depuis plusieurs décennies, le logement est devenu un « marronnier » des sessions parlementaires. La loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (loi Alur), adoptée le 24 mars 2014, s'inscrit dans une succession quasi annuelle de lois cadres et d'ordonnances. Son exposé des motifs est l'illustration de son ambition, qui proclame une volonté de mettre en oeuvre une « stratégie globale, cohérente et de grande ampleur destinée à réguler les dysfonctionnements du marché, à protéger les propriétaires et les locataires, et à permettre l'accroissement de l'offre de logements dans des conditions respectueuses des équilibres des marchés ».
La loi fut votée dans la cacophonie au terme de débats très longs. Son adoption après de multiples amendements a mis en évidence l'hermétisme de ses 177 articles, que devaient compléter ou préciser plus de 200 décrets d'application.
Son ambition était de rompre avec les équilibres passés pour résoudre, enfin, la crise du logement par une succession de normes volontaristes dans tous les domaines interférant avec celui-ci. La ministre Cécile Duflot dut vite réduire ses ambitions. Le projet de loi, au fil de son élaboration, peina à définir les voies opérationnelles qui redonnent la confiance dans ce secteur sinistré. Il se heurta, en raison de la crise financière, à l'absence de nouveaux moyens financiers dans un domaine qui en dépend depuis longtemps.
Au volontarisme politique, certains auraient préféré davantage de pragmatisme. Le logement est, pour eux, représentatif d'un mal bien français que l'on retrouve dans d'autres axes de l'action publique. Vingt ans après l'article prémonitoire de Denis Olivennes sur la « préférence française pour le chômage 1 », pourrait-on titrer que la loi Alur témoigne de la préférence française pour la pénurie de logements ?
En septembre 2014, alors que seulement trois décrets d'application étaient parus et que seuls quelques volets de cette « cathédrale législative » étaient entrés en vigueur, le gouvernement actuel s'est engagé dans ce qu'il faut bien appeler son « détricotage ». Le plan d'urgence pour résoudre la crise du logement, dévoilé à la fin d'août, témoigne qu'une autre direction est retenue.

La difficile densification urbaine

Comme ses devancières, la loi Alur a souhaité renforcer la densification urbaine, « reconstruire la ville sur la ville » pour réaliser des économies de foncier. Mais cette ambition ne s'est jamais concrétisée depuis maintenant quinze ans qu'elle a été proclamée par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU). Elle se heurte au sentiment de la plupart des habitants que la densité de logements est déjà trop forte près de chez eux, à l'opposition des élus qui n'ont plus les moyens d'accueillir de nouveaux habitants, et à celle des professionnels de l'immobilier qui manquent des outils nécessaires pour procéder à des opérations de vraie ampleur. Les nouveaux outils juridiques sont de peu d'intérêt si les communes compétentes pour les PLU et les permis de construire n'ont pas les compétences techniques pour s'en servir. Il faut aussi trouver des partenaires privés acceptant de prendre le risque financier, rédiger des permis qui respectent une légalité complexe, alors que les recours, qu'il est parfois difficile de classer comme abusifs, sont entrés dans les moeurs. Il faut enfin compter avec les propriétaires de terrains, conscients de leurs droits, les investisseurs réticents à s'engager dans des acquisitions peu ou non rentables, et les acquéreurs de logements au pouvoir d'achat réduit.
Quel que soit le volontarisme politique de la loi, il est douteux qu'il suffise à triompher, dans une démocratie attachée à son cadre de vie, de la volonté des habitants et des contraintes du marché. Tout a été dit sur l'énorme écart qui existe entre l'ampleur des crédits publics consacrés au logement, le temps passé à concevoir des opérations d'envergure et le faible nombre de constructions dans notre pays. Tout a été écrit sur l'écart qui existe entre les terrains potentiellement disponibles pour recevoir des constructions et la faible capacité que nous avons de les mobiliser, malgré l'utile action des établissements publics fonciers.
Il faudra probablement, afin de rompre ce noeud gordien, passer à l'acte pour changer la gouvernance de l'urbanisme, créer des outils efficaces de regroupement des parcelles constructibles, s'assurer des équilibres financiers et recréer de la confiance.
Le droit ne suffira pas, surtout s'il est instable et technocratique.

L'exemple de la vente immobilière

L'évolution depuis quinze ans de la vente d'un logement illustre le mal français de l'excès de procédures et de réglementation. C'est ainsi que le souci, légitime, de protéger l'acquéreur d'un bien immobilier a conduit à une accumulation des documents à produire avant la vente et désormais l'avant-contrat. Plus de dix diagnostics techniques (mesurage, amiante, plomb, termites, bilan énergétique, installation de gaz et d'électricité, mérule...) et autres plans de prévention des risques naturels ou technologiques ont été rendus obligatoires.
La loi Alur a ajouté à cette liste un nouvel ensemble d'informations relatives à la situation financière et juridique des copropriétés, auxquelles sont intégrés tous les modificatifs au règlement de copropriété et à l'état descriptif de division intervenus depuis l'origine, quand bien même ils ne concerneraient pas directement les lots vendus. Elle impose également la production d'une attestation du syndic de copropriété sur le point de savoir si le candidat acquéreur est à jour du paiement de ses charges. Un extrait de son casier judiciaire sera également prochainement requis pour déterminer s'il n'a pas déjà fait l'objet d'une condamnation à titre de « marchand de sommeil ». Une fois annexés, ces documents doivent également être notifiés à l'acquéreur aux fins de faire courir un délai de rétractation à son profit.
Certes, l'acquisition d'un bien immobilier est parfois l'affaire d'une vie et il est essentiel que l'acquéreur puisse savoir où il s'engage. Pour autant, la profusion des informations produit des effets inverses à ceux recherchés. Il est, depuis l'application de la loi, quasi impossible pour les parties de prendre connaissance des documents censés les informer en raison de leur volume. L'établissement d'un acte de vente apparaît une démarche de pure compilation dont l'effet est de créer de l'incompréhension, mais aussi une insécurité juridique dans l'avant-contrat si un document obligatoire était omis. Le législateur va donc devoir simplifier ce qu'il vient d'adopter. Une telle cacophonie aurait pu être évitée.
Ne suffirait-il pas que l'attention du vendeur et de l'acquéreur soit attirée par le notaire sur les principales difficultés ou les particularités de l'opération ainsi que sur la situation financière de la propriété ? Cette information, donnée par le notaire conseil des parties, serait en outre facilement accessible et donc mieux assimilée.
De son côté, le notariat a immédiatement mobilisé ses systèmes d'information et mutualisé les données disponibles dans les offices pour la transmission des informations requises par la loi permettant tant au vendeur qu'à l'acquéreur d'avoir une information rapide sur la copropriété.

Rapports locatifs : quel équilibre ?

L'équilibre entre l'intérêt des propriétaires et celui des locataires constitue pour les pouvoirs publics un enjeu constant dans un pays qui a la chance d'avoir un parc de logements cohérent. 58 % des Français sont propriétaires de leur résidence principale, niveau raisonnable en raison de la structure de notre population. La France se caractérise aussi par la force de son secteur locatif social, qui est indispensable dans un pays où les revenus modestes sont nombreux et où la précarité est forte. Notre pays a, enfin, la particularité de disposer d'un secteur privé qui reste majoritaire dans le logement locatif, et qui a vu depuis vingt-cinq ans les particuliers remplacer les institutionnels comme investisseurs.
Passer au « tout propriétaires » est aussi impossible qu'inopportun, même s'il est sain qu'à l'âge de la retraite, deux tiers des Français soient propriétaires d'un bien immobilier. C'est aujourd'hui un fait acquis. Accroître le parc de logements sociaux est délicat sur le plan budgétaire et ne présente d'intérêt collectif que si une véritable mobilité est organisée pour réserver les logements sociaux aux personnes qui en ont besoin. Financer la construction de logements locatifs privés signifie accepter une rentabilité de l'investissement. Celle-ci ne peut provenir que du niveau des loyers ou de l'aide publique. Or, il est illusoire de l'attendre du montant des loyers. Depuis trente ans, le niveau des loyers a augmenté de 40 % de plus que le revenu moyen des locataires. On conçoit bien que la stabilisation de l'effort des locataires privés soit un objectif d'intérêt général. Dès lors, il est difficile de se passer d'une aide publique à l'investissement privé. Celle-ci doit être bien calibrée pour éviter les effets d'aubaine, surtout en période de disette budgétaire, mais elle doit être efficace et pérenne pour éviter les effets de « stop and go » qui sont détestables pour le marché.

Des pistes de progrès

La complémentarité entre le secteur locatif social et le secteur locatif privé n'a pas été suffisamment explorée. Il faudrait autoriser plus fréquemment qu'on ne le fait aujourd'hui des transferts entre ces deux parcs. Pourquoi le secteur privé ne construirait-il pas à titre temporaire des logements sociaux ou des logements privés à loyers modérés, alors même qu'une partie du parc social serait vendue à ceux des locataires qui souhaitent acheter ? Cela n'a été réalisé jusqu'à présent qu'à doses homéopathiques, alors qu'une vraie marge de manoeuvre existe.
La loi Alur a souhaité changer une donne estimée trop favorable aux propriétaires, avec la création d'une garantie universelle des loyers que compenserait l'encadrement de ceux-ci.
Mais la garantie universelle des loyers, qui visait à protéger les bailleurs contre les risques d'impayés de loyers par l'octroi d'une assurance gratuite, s'est vite révélée irréaliste. Elle est devenue optionnelle, parce que très peu de propriétaires l'ont trouvée opportune compte tenu des modalités d'assurance que l'État pouvait offrir. En effet, le Premier ministre vient de décider de la réserver aux logements loués à certaines catégories de la population (notamment les étudiants ou les personnes en situation précaire).
Il semble en être de même de l'encadrement des loyers, qui nécessite que soit déterminé, par bassin d'habitat, un loyer médian de référence, ce qui est indispensable pour fixer une limite haute de loyers acceptables. Or, la diversité du parc locatif est grande. En outre, faute d'observatoires (à l'exception de quelques villes comme Paris), il y aurait très vite une insécurité sur le loyer de référence, donc sur la légalité du loyer perçu par le propriétaire. L'encadrement des loyers est devenu un chiffon rouge pour beaucoup d'observateurs et de propriétaires, alors qu'il fonctionne sous une forme voisine sans difficulté apparente dans des pays comme l'Allemagne. D'où la décision de recentrer l'encadrement des loyers sur quelques agglomérations où le déséquilibre est manifeste.
On a pu parler de « détricotage » de la loi Alur sur cette question essentielle. Il reste à souhaiter que cette longue période de conflit ait pu faire avancer le débat. Là encore, c'est la pénurie de logements de qualité adaptés aux besoins de la population qui est en cause. Cette pénurie n'est pas générale. Elle peut être combattue, excepté dans des villes comme Paris où le déséquilibre entre l'offre et la demande existera toujours.

Vers un droit réaliste

La loi Alur a été parfois injustement stigmatisée alors qu'elle est plutôt une illustration parmi d'autres d'un mal français bien connu, une tendance à la centralisation et à la normalisation qui se traduit par un dérèglement du droit. Pour le doyen Carbonnier, dont le sombre diagnostic reste d'actualité, notre système juridique souffre d'une inflation qui l'affaiblit progressivement : inflation de textes, inflation des volumes de textes, inflation de dispositions bavardes ou idéologiques, inflation de normes techniques. L'impact concret de la loi s'affaiblit d'autant. Les normes de droit sont pourtant utiles, lorsqu'elles sont bien pensées et réfléchies. Prenons l'exemple de la loi Carrez, qui a mis en place un système utile de mesurage répondant à un vrai problème d'information. Mais le plus souvent, nos normes se transforment en voeux pieux, et elles sont souvent contournées.
Ce qui est en cause, autant que l'inflation des normes, c'est la complexité des procédures et la multiplication du nombre d'acteurs, qui créent une incertitude juridique sur ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Notre pays a décentralisé au profit des communes le pouvoir de décision, mais l'État veut protéger les particuliers, parfois malgré eux, parfois contre les professionnels, imposer des préoccupations d'intérêt général de court et moyen termes. Tout cela allonge les délais, et accroit les coûts.
Il suffit d'observer dans les agglomérations le nombre de terrains gelés pendant de longues années en attente de construction pour se convaincre qu'il n'y a pas de pénurie de foncier.
Finalement, l'évolution des travaux, du vote et de l'exécution de la loi Alur montre la voie à suivre : la garantie universelle des loyers va concerner des catégories sociales bien définies et l'encadrement des loyers ne se fera que dans quelques agglomérations. Inutile donc de construire des cathédrales qui ne répondent pas aux besoins. Privilégions un droit réaliste et donc « flexible », au sens de Jean Carbonnier, qui permette de répondre à la diversité de nos préoccupations. Et tentons de le faire vivre dans le quotidien de nos cités avec imagination et pragmatisme.

Texte rédigé en septembre 2014.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2014-11/les-exces-de-la-loi-alur.html?item_id=3439
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