Thierry MANDON

Secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification.

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Choisir la bonne méthode

« Si l'on veut simplifier, il faut réformer l'État », explique Thierry Mandon dans l'entretien qu'il a accordé à Constructif. Pour lui, la réussite de la démarche réformatrice repose largement sur le choix d'une méthode collaborative qui assure la
« coproduction » de la réforme par les différentes parties prenantes à l'issue d'un véritable dialogue.

Vous avez la charge à la fois de la réforme de l'État et de la simplification. Quel est à vos yeux l'intérêt de cette association ?
Thierry Mandon. La mise en place d'une politique systématique de simplification en direction des entreprises débouche nécessairement sur la réforme de l'État. On se rend compte, en effet, que la complexité — l'accumulation de règles, de normes, de décrets, de lois, etc. — renvoie bien souvent à une architecture de l'État et de son administration, à sa façon de travailler (par exemple avec un recours insuffisant au numérique) ou à son mode de fonctionnement trop hiérarchisé. Cette observation empirique se vérifie à l'étranger, où l'on constate que tous les pays qui ont entrepris de simplifier avant nous, tous sans exception, sont arrivés à ce constat : si l'on veut simplifier, il faut réformer l'État.

En matière simplification, vous avez déjà fait des avancées, en particulier dans le logement et pour les formalités applicables aux PME. Où en êtes-vous ? Comment comptez-vous aller plus loin ?
Pour la simplification en direction des entreprises, nous sommes aux débuts d'un cheminement qui sera long, mais nous avançons avec détermination : tous les six mois, nous nous engageons sur une cinquantaine de simplifications. Nous raisonnons par « paquets thématiques ». À l'issue d'ateliers collaboratifs entreprises-administration sur les dix moments clés de la vie des entreprises, nous avions choisi quatre premiers thèmes : l'environnement fiscal des entreprises, les TPE-PME, les démarches de la vie quotidienne et l'emploi.
Ce travail de coproduction est très important, car il nous permet de vérifier en amont de la proposition qu'une simplification est « faisable ». Dans les cinquante simplifications d'avril dernier, quatorze ont été mises en oeuvre par la loi votée en juillet et le reste passera par des décrets que nous prendrons avant la fin de l'année.
Nous comptons privilégier de nouveaux thèmes à l'avenir : la stabilité et la sécurité de l'environnement fiscal, les règles d'aménagement et d'urbanisme, la santé au travail, la clarification des statuts des entreprises individuelles ainsi que des sujets particuliers qui font l'objet de négociations entre partenaires sociaux tels que l'apprentissage ou les seuils.
Par ailleurs, le 8 octobre dernier, nous avons lancé un programme de simplification des démarches de la vie quotidienne des Français. Nous avons reçu plus de 1 500 suggestions, et à l'avenir, sans doute tous les trois mois, nous prendrons un « paquet » de mesures.

L'opinion assez générale en France, c'est que réformer l'État est une mission impossible...
La France est incapable de se réformer par le haut. Ce type de méthode ne passe pas, alors qu'il existe dans notre pays un vrai appétit de réforme.
Aujourd'hui, des gens brillants qui décident de tout, cela ne marche plus ! C'est pourquoi je mets en place une méthode collaborative et crée les espaces d'un véritable dialogue entre les uns et les autres.
Je comprends le scepticisme à l'égard de la réforme quand elle est menée selon des méthodes traditionnelles, mais j'espère démontrer qu'avec la coproduction des réformes j'ai choisi la bonne voie.
Je n'ai d'ailleurs rien inventé puisque tous les pays qui ont réussi à réformer - Danemark, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Royaume-Uni - ont procédé de cette façon.

Disposez-vous du temps nécessaire pour mener à bien la réforme de l'État d'ici à 2017 ?
C'est un travail de long terme qui ne sera pas terminé en 2017. Même si on avance en marchant et si on gagne du temps en s'inspirant très fortement de ce qui a réussi ailleurs, il faudra une dizaine d'années pour le mener à bien.
La formule de « choc de simplification », si elle illustre bien qu'il faut s'engager à fond, ne doit pas laisser penser qu'il y aurait une sorte de « grand soir ». En pratique, nous semons des petits cailloux...

Vous avez indiqué que la réforme de l'État est aussi une question de « moment ». Est-ce le moment aujourd'hui ?
Dans la période actuelle, une politique publique qui ne coûte pas et qui peut rapporter, c'est intéressant ! Prenons la simplification, par exemple : dans les leviers de la compétitivité du pays, la baisse du coût des charges peut rapporter 0,7 point de PIB selon l'OCDE. L'Allemagne et la Grande-Bretagne, qui veulent économiser chaque année 4 à 5 milliards d'euros de charges pesant sur les entreprises, ne font pas autre chose. C'est pour cela que je pense que c'est le moment.

Quelles sont les priorités de la réforme de l'État?

Nous nous sommes fixé trois axes de travail : la redéfinition des missions de l'État, le développement du numérique et la qualification du « top management ».
Notre réflexion sur les missions de l'État porte sur leur efficacité et leurs moyens. Jusqu'à présent, on a demandé aux administrations de faire mieux avec moins, en se plaçant sur le seul terrain de l'efficience. Désormais nous voulons interroger la pertinence même des actions menées par l'État : qui doit mener telle ou telle action, et à quel niveau, central ou déconcentré ? Nous voulons élaguer afin de nous concentrer sur ce qui est vraiment indispensable.

Est-il possible que l'État renonce à certaines de ses missions ?
Ce n'est pas possible, c'est indispensable ! On ne pourra jamais plus avoir des dépenses publiques représentant
57 % du PIB. L'État doit se concentrer sur ses missions essentielles.
Prenons l'exemple de la politique du logement : elle coûte 42 milliards d'euros par an, et pourtant on ne construit pas assez de logements, il y a de très nombreux demandeurs de logement et les prix dans les grandes villes sont très élevés. Nous devons nous placer dans une problématique d'efficience et de pertinence. Est-ce que l'on ne peut pas se poser des questions simples ? Dans les commissions d'attribution de logements sociaux, est-ce normal que l'État attribue huit logements sur dix ? Ne vaudrait-il pas mieux rapprocher le pilotage des responsables de terrain, qui connaissent les gens ?
Nous voulons donc veiller à ce que l'État exerce seulement des missions pertinentes, mais aussi vérifier l'efficacité de ses actions à l'aune des objectifs fixés par les politiques. L'État doit en effet contribuer à égaliser les chances et préparer l'avenir.
Nous allons donc évaluer l'efficacité des politiques publiques en matière d'éducation, de santé, de logement, d'aides publiques aux entreprises et de formation. Ce travail sera finalisé en janvier 2015 et soumis à un séminaire gouvernemental le mois suivant.
Nous voulons également développer la mutualisation des moyens au sein de l'État. Nous avons déjà commencé avec l'informatique en donnant aux services du Premier ministre le pouvoir d'organiser l'appareil informatique de l'État. Nous allons réfléchir à la façon de procéder pour les achats de l'État ou encore pour la gestion de son parc immobilier.

Le numérique est votre deuxième axe d'action...
Absolument. En dehors de quelques réels succès — les impôts ou le chèque emploi-service universel —, l'État a une utilisation très insuffisante du potentiel du numérique. Il faut développer son usage pour simplifier la vie des entreprises, notamment. Dès l'été 2015, on pourra proposer une nouvelle feuille de paie. Mais le numérique impose aussi plus d'horizontalité à l'administration, ce qui est une bonne chose.
Nous avons donc lancé en septembre une grande consultation sur le numérique afin de disposer en janvier 2015 d'un programme de modernisation de notre outil qui inclut la définition des services, des méthodes de travail et des infrastructures nécessaires pour sa mise en oeuvre et son application.

Et pour la modernisation du « top management » de la haute fonction publique ?
Nous avons un vrai problème de manque de diversité de ce « top management ». Il faudra donc revoir les règles de fonctionnement et de recrutement dans la haute fonction publique qui éloignent trop de talents. Il faut aussi revoir les principes de la formation permanente des élites de l'État : quand on sort de l'ENA à 23 ans, on ne sait pas tout et pour toute sa vie professionnelle sans formation ultérieure ! Sur ce thème, un groupe de travail fera des préconisations d'ici la fin janvier.
Cet axe de réflexion est important, car une fonction publique diversifiée et modernisée piloterait plus vite et plus fortement le changement.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2014-11/choisir-la-bonne-methode.html?item_id=3442
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