Moins réguler, mieux réguler
Trop réguler ou pas assez sont deux maux, au même titre que la boulimie et l'anorexie. Au-delà de la formule, le constat n'est pas neutre puisqu'il explique, en grande partie, pourquoi notre pays affiche un taux de chômage structurel parmi les plus élevés des pays de l'OCDE.
Force est de noter que l'emploi est l'affaire des TPE-PME. Les chiffres relatifs à l'emploi peuvent être cependant interprétés de deux façons qui en changent, au final, radicalement les conclusions. De fait, en examinant le stock des effectifs salariés du secteur marchand sur dix ans 1, la part des entreprises de moins de 20 salariés reste globalement stable, passant de 40 % en 2002 à 42 % en 2012, d'après l'Insee. En revanche, en se focalisant sur les seules créations et destructions d'emplois, autrement dit le flux, qui s'avère être l'un des indicateurs fondamentaux de notre économie, le nombre de postes salariés a augmenté de plus de 750 000 unités sur dix ans pour les entreprises de moins de 20 salariés, alors qu'il se réduisait de 43 000 unités pour les entreprises de 50 salariés et plus.
On le voit donc, c'est le tissu des petites entreprises qui contribue à développer l'emploi en France et à créer de la richesse. Cela tord d'ailleurs le cou à trop d'idées reçues. L'amalgame notamment entre « petits boulots » et petite entreprise doit être fermement combattu. Par ailleurs, l'innovation n'est pas seulement le fruit des seules grandes entreprises, elle existe largement aussi dans les TPE, comme le prouve la multiplicité de start-up, bien souvent issues de la Net économie.
Qui croyez-vous, cependant, que l'on taxe le plus ? Bien évidemment les petits, afin que l'impôt soit bien une course à handicap. Le taux moyen d'impôt sur les sociétés s'élève, de fait, à 13 % pour les grands groupes et à 30 % pour les TPE-PME, alors que la loi fiscale est en apparence la même pour tous.
Il serait donc temps que, dans le domaine économique, les décideurs prennent au sérieux l'affirmation small is beautiful. Pour que cela soit, demain, encore plus vrai, il nous semble indispensable de concilier deux objectifs qui peuvent paraître contradictoires en première approche, mais qui, en réalité, constituent les prérequis d'une réduction du chômage et d'un retour durable de la croissance : moins et mieux réguler.
Moins réguler
Simplifier la vie des TPE et des PME est affiché par le gouvernement depuis quelques années comme un axe politique majeur. Il faut, tout à la fois, s'en féliciter et s'interroger sur la portée réelle des différents plans qui se succèdent. Indéniablement, les mesures prises depuis 2011 vont dans le bon sens, mais le chantier reste largement ouvert, tant en ce qui concerne le flux des nouvelles contraintes que le stock des obligations.
Sur le flux, de manière non limitative, la pénibilité, l'instauration des commissions territoriales, l'inflation des droits inscrits au compte personnel d'activité et le renforcement du rôle des syndicats constituent des manifestations de cette inflation torrentielle de nouvelles contraintes que l'on inflige aux entreprises, qui polluent la vie de leurs dirigeants , les découragent. Mais surtout, tous ces textes et règlements pénalisent notre économie et génèrent une anémie pernicieuse qui explique la dégringolade de notre pays dans les classements internationaux comparatifs.
Sur le stock, le constat d'un trop-plein de règles, de contraintes, de normes diverses ne fait malheureusement pas l'unanimité. Beaucoup trop de personnes, et même de personnalités qualifiées, assimilent encore ce sujet à une mystification servant à masquer une déréglementation libérale. Le débat actuel sur le Code du travail paraît particulièrement illustratif de cette attitude et, surtout, de notre incapacité à nous réformer. Or, qui peut nier le caractère démentiel d'un document passé de 600 articles en 1974 à 8 000 aujourd'hui ?
Un indicateur intéressant des méfaits de cette surréglementation s'observe à travers la structure des nouveaux contrats de travail. De 2000 à 2015, le poids des CDI est tombé de 24 % à 13 % alors que la part des CDD a explosé de 76 % à 87 %. De facto, face à l'amoncellement des textes, les entreprises n'ont le choix qu'entre des contrats très courts et des contrats longs très protégés. S'ajoute à cela le phénomène d'externalisation des contraintes, avec le recours au détachement de main-d'oeuvre étrangère. Au final, la confusion et la complexité des règles effraient toutes les personnes sensées. Il n'y a, dans ce constat, rien d'idéologique mais du simple bon sens. Il faut donc, à l'évidence, alléger les contraintes inutiles pour que les entrepreneurs puissent se concentrer non pas sur les tâches administratives, mais sur le développement de leurs entreprises et, par là même, sur la réduction du chômage.
Mieux réguler
Paradoxe ou préjugé trop commun, mieux réguler ne signifie pas pour moi le retour à l'état primitif, à l'anomie. Le pire cauchemar serait d'ailleurs une complexité croissante pour certains et l'absence totale de règles pour d'autres. Or, c'est précisément ce que nous vivons avec l'émergence de l'économie collaborative, qui permet à des particuliers d'échanger des biens ou des services via des plateformes numériques. Le problème n'est pas que cette offre émergente bouscule l'économie traditionnelle mais qu'elle constitue, faute de toute règle opérante, une concurrence déloyale directe pour les PME et les TPE. Les mêmes règles et contraintes doivent pourtant s'imposer à tous. À défaut, c'est notre modèle du vivre-ensemble qui est menacé.
Échapper à la réglementation, à la TVA, aux charges sociales et autres prélèvements est un fantasme partagé par plus d'un Français, mais reconnaissons que tout modèle économique sans régulation et redistribution conduit à la loi de la jungle.
On argumente que cela permet aujourd'hui à certains de sortir du chômage, d'avoir un revenu, et à d'autres de le compléter. Imaginons la réussite totale de ce nouveau moyen d'échanges sans régulation et redistribution. La fiche de paie deviendrait un doux souvenir, mais la couverture sociale et l'assurance chômage aussi ! Gageons encore que les infrastructures développées et entretenues grâce à nos impôts se verraient vite dans un tel état d'abandon qu'une voiture Uber aurait du mal à circuler et que trouver après le coucher du soleil l'adresse d'un appartement réservé sur Airbnb ne serait possible qu'avec l'aide de la lampe torche du smartphone et à condition d'avoir pu recharger celui-ci sur ce qu'il resterait du réseau public !
Il faut appliquer des règles qui, tout en répondant au refus tout à fait compréhensible de voir émerger une concurrence déloyale, permettent l'apparition d'une nouvelle forme d'échanges indéniablement légitime. Faire contribuer au financement de la protection sociale les revenus tirés de ces activités, au même titre que ceux des autres secteurs, et rendre obligatoire la vérification des qualifications et des formations requises, ne serait-ce que pour garantir la sécurité des consommateurs, constituent des exigences minimales. C'est à ces conditions que la menace se transformera en opportunité et que l'économie traditionnelle sera positivement « bousculée » pour s'adapter.
En conclusion, loin des discours officiels et des déclarations d'autant plus enflammées qu'elles sont hors sol, la réalité crue est que nos gouvernants, et leurs multiples conseillers surtout, raisonnent en se référant aux grands groupes et ne s'intéressent pas au sort des petites et moyennes entreprises. Tant qu'une telle situation perdurera, notre économie s'étiolera et nous pleurerons sur l'abîme de nos déficits.
- Précisément, entre 2002 et 2012, dernière année disponible (enquête DADS de l'Insee).
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2016-6/moins-reguler-mieux-reguler.html?item_id=3542
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