© Valérie Jacob

Franck MIKULA

Secrétaire national chargé de l'emploi et de la formation à la CFE-CGC.

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Mettons de la cohérence dans les différents statuts salariés

Les formes d'emplois salariés atypiques et souvent précaires se multipliant, les partenaires sociaux et le législateur ont pris de nombreuses initiatives pour essayer de les limiter et de les encadrer. Des pas supplémentaires sont nécessaires pour assurer l'égalité de traitement entre les salariés.

« Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail. » C'est par cette phrase que s'ouvre le premier article de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 relatif à la modernisation du marché du travail, phrase consacrée dans le Code du travail depuis.

Le CDI est le contrat typique de l'emploi salarié, complété par les notions de temps plein, d'unicité d'employeur et de lieu de travail. Cette situation date du XIXe siècle, époque où le salariat connaît son essor.

Dans les années 1830, le salariat concernait moins de la moitié de la population active. Un siècle plus tard, il touchait les deux tiers des actifs (hors actifs agricoles). Et sa généralisation s'est accentuée après la Seconde Guerre mondiale avec le déclin de l'emploi agricole et des indépendants.

Cette mutation s'est accompagnée dans les années 1970 de l'explosion des emplois salariés des employés, des professions intermédiaires et des cadres. L'accès au salariat a également contribué à la hausse de la participation des femmes au marché du travail dans la deuxième moitié du XXe siècle.

Un fondement du droit du travail

Cette forme d'emploi constitue la base sur laquelle le droit du travail contemporain ainsi que celui de la protection sociale se sont construits : accès aux droits de la convention collective, à l'évolution professionnelle et à la qualification, à la formation professionnelle, au logement, aux prestations en espèces de la Sécurité sociale, à la couverture prévoyance. Mais c'est aussi de cette forme d'emploi que, dans la société, découlent une reconnaissance pour soi, dans sa famille et son entourage, et une considération dans les relations avec des institutions, bancaires notamment (accès au crédit).

Cependant, la nature de la relation salariale a tendance, depuis les années 1980, à se précariser sous diverses formes. Même si le CDI reste la norme de référence, représentant 77 % de l'emploi total et près de 87 % de l'emploi salarié, des formes particulières d'emploi se généralisent :

  • les embauches se font de plus en plus en CDD ou en intérim, et les durées sont plus courtes. Fin 2014, 70 % des embauches concernaient des CDD de moins d'un mois. C'est inédit ! La récurrence de périodes d'aller-retour entre activité et chômage augmente
  • parallèlement, le poids du travail à temps partiel a doublé en trente ans, pour atteindre plus de 18 % en 2013. Et plus des trois quarts des salariés à temps partiel déclarent le subir. La pluriactivité se développe, générant des problématiques de conciliation des emplois du temps, de déplacement et de multiplicité de statuts.

Des emplois atypiques et précaires

Les publics concernés par les formes d'emplois atypiques précaires sont principalement les jeunes, les femmes et les actifs peu qualifiés. Le développement des contrats atypiques a pour effet de les exclure du processus de reconnaissance professionnelle et de protection face aux risques, basés tous deux sur la continuité de la relation de travail. Le niveau de revenu peut conditionner aussi l'accès à des droits (temps partiel trop faible, par exemple, pour permettre des prestations financières en cas de maladie). En dehors du milieu professionnel, les effets se traduisent par un manque de reconnaissance dans la société et un déficit de considération pour les institutions. L'accès au logement devient compliqué.

Les salariés en CDI à temps plein voient également leur environnement bouleversé : remise en cause de l'unité temps (avec le forfait jours notamment) et/ou de l'unité de lieu (télétravail, mise à disposition, coworking).

La somme de toutes les formes atypiques peut se retrouver au sein de l'entreprise à l'occasion de missions ou de projets pour lesquels vont se côtoyer dans un collectif de travail constitué pour l'occasion des salariés en CDI à temps plein, en CDD ou mis à disposition, à temps partiel. Une multitude de statuts au service d'une même mission !

Statut à deux vitesses entre les salariés en CDI à temps plein et les autres salariés ? La réponse semble évidente : on a dépassé les deux vitesses ! Même si la différenciation entre CDI et CDD-intérim peut demeurer, il nous semble indispensable d'appréhender la diversité des statuts des salariés de façon globale pour remettre de la cohérence dans l'accès aux droits des salariés et rétablir l'égalité de traitement.

Une nécessaire mise en cohérence

Comment s'y prendre ? La question n'est pas nouvelle pour les organisations syndicales, notamment la CFE-CGC, et les pouvoirs publics. Elle se pose depuis les années 1980. Mais son acuité n'a jamais été aussi forte. Le fait de rappeler en 2008 que le CDI est la forme normale de travail salarié en est l'illustration la plus nette.

De multiples initiatives ont été prises, débouchant sur des mesures législatives importantes. La plupart de ces initiatives sont issues de la négociation nationale interprofessionnelle entre confédérations syndicales et représentants nationaux des employeurs. La CFE-CGC a promu ou accompagné bon nombre de ces mesures.

Nous pouvons résumer les actions menées pour lutter contre les statuts de salariés à plusieurs vitesses en trois phases chronologiques.

. La première, dans les années 1990, vise à renforcer les droits des salariés en CDD et en intérim. Face aux pratiques de l'intérim et aux recours aux CDD, le choix a été fait au niveau national de reconnaître cette forme d'emploi atypique, avec comme contrepartie pour compenser les effets de l'intermittence de l'emploi, l'affirmation de droits pour ces salariés équivalents voire supérieurs à ceux des salariés en CDI. L'accord national interprofessionnel du 24 mars 1990 relatif aux CDD et au travail temporaire incarne ce choix.

Le droit à la formation professionnelle, à la protection sociale et au chômage, l'accès au logement et au crédit sont organisés pour tenir compte de la spécificité d'une intermittence dans l'emploi. Les principes inscrits dans cet accord ont été transposés dans le Code du travail par la loi du 12 juillet 1990.

. La deuxième phase, dans les années 2000, vise à défendre le CDI à temps plein contre différentes attaques. Elle est marquée par deux mouvements.

1. Le débat sur le temps de travail, levier d'une politique de l'emploi visant à permettre aux salariés précaires ou au temps de travail réduit d'avoir accès à un emploi plus stable et avec un volume d'heures plus important.

Cette politique est déclinée à travers la réduction de la durée légale du temps de travail de 39 heures à 35 heures hebdomadaires, avec des allégements de charges sociales en cas d'embauche. L'objectif est un partage du travail avec plus de CDI pour l'ensemble des salariés et plus de temps plein. Les organisations syndicales participent à cette politique en négociant la réduction du temps de travail avec des contreparties en termes d'embauches.

Parallèlement, le législateur vient renforcer les droits des salariés à temps partiel, notamment en encadrant le nombre et le temps des coupures quotidiennes et en réaffirmant l'égalité de traitement avec les salariés à temps plein.

2. Le débat sur le contrat de travail unifié.

Pour un meilleur fonctionnement du marché du travail, les économistes Pierre Cahuc et Francis Kramarz préconisent en 2005 l'unification du contrat de travail 1. La suppression du CDD aurait l'avantage de réduire ces inégalités et de simplifier le droit du travail. Cette proposition d'un contrat unique figurait déjà dans le rapport de Michel Camdessus de 2004. La nouveauté est qu'elle s'accompagne ici d'une liberté quasi totale de licenciement accordée aux employeurs, en échange du versement d'une taxe.

Cette proposition est rejetée par les employeurs (le CDD et l'intérim sont des réponses pertinentes à des surcroîts d'activité) comme par les organisations syndicales, voyant dans ce contrat de travail unique une façon d'affaiblir les garanties apportées au salarié par le CDI. Mais le sujet est sur la table. Il ne s'agit plus « d'améliorer » les droits des salariés précaires pour les rapprocher de ceux des salariés en CDI, mais « d'assouplir » les rigidités du CDI en s'inspirant des règles du CDD.

Ce débat rebondit lors de la négociation nationale interprofessionnelle sur la modernisation du marché du travail qui débouche sur l'accord du 11 janvier 2008. Devant la revendication des employeurs de créer un CDI à objet défini (sans remettre en cause les autres contrats existants), la riposte des organisations syndicales est de créer à titre expérimental un CDD à objet défini. Nouveau type de contrat prévu par un accord de branche, il peut avoir une durée plus longue que le CDD classique et est réservé à certaines missions qualifiées, ce qui fait que seuls des cadres peuvent y être soumis. L'expérimentation aboutit à une légalisation de ce contrat et à son inscription dans le Code du travail par la loi du 20 décembre 2014.

. La troisième phase, dans les années 2010, vise à remettre le CDI au coeur de la relation de travail. Alors que l'emploi salarié à temps plein se disloque sous les effets de la crise financière de 2008, les partenaires sociaux tentent de nouvelles réponses afin de reconstituer un CDI à temps plein pour les personnes qui se partagent entre plusieurs employeurs ou « clients ». C'est avec cet objectif qu'est menée en 2010 la négociation nationale interprofessionnelle sur les groupements d'employeurs. Des employeurs se regroupent pour partager un salarié qui sera en CDI et dont l'employeur unique sera le groupement. Après l'échec de la négociation fin 2011, le législateur reprend la main. Dans la négociation nationale interprofessionnelle sur la sécurisation de l'emploi qui débouchera sur l'accord du 11 janvier 2013, les pistes avancées ont des objectifs similaires : taxation des CDD courts pour rendre plus coûteuse l'utilisation de ce contrat, qui fragilise les droits des salariés et coûte cher au régime d'assurance-chômage, en grave déficit. Les représentants des entreprises de l'intérim, y voyant une forte menace pour leur activité, obtiennent une exonération de cette taxe s'ils réduisent la précarité des intérimaires. Naît ainsi le CDI intérimaire ! La mobilisation de la forme du CDI dans une relation triangulaire salarié-entreprise d'intérim-entreprise utilisatrice est reconnue :
- Sécurisation du portage salarial, forme d'emploi fictivement salarié mettant en relation un porteur d'affaire avec une société de portage qui est son employeur de circonstance, pour réaliser sa mission auprès de son client. L'intérêt pour le salarié porté est de pouvoir bénéficier de la protection sociale liée au salariat (retraite, couverture maladie et assurance-chômage) en cas de période sans activité.
- Seuil minimal de la durée du travail hebdomadaire de 24 heures pour le temps partiel. Les statistiques confirmant la faiblesse du volume d'heures des salariés à temps partiel, entraînant la pauvreté malgré un travail salarié, et la proportion sans cesse grandissante du travail à temps partiel subi, les partenaires sociaux signataires de l'accord du 11 janvier 2013 imposent un seuil de temps partiel de 24 heures hebdomadaires. L'objectif est d'augmenter le volume des heures offertes aux salariés à temps partiel pour le rapprocher d'un temps plein, source de revenus et d'intégration plus importante dans le collectif de travail, et qui permet d'accéder à des outils d'évolution professionnelle. Un seuil plus faible est possible si un accord de branche étendu le prévoit ou à la demande du salarié.

De nouvelles réponses à trouver

Ces exemples de réponses, loin d'être exhaustifs (nous n'avons pas développé les règles de l'assurance-chômage relatives à l'activité partielle ou réduite), visent à relever le défi du développement des formes d'emplois atypiques ces vingt dernières années. Ils montrent la recherche permanente par les partenaires sociaux comme par le législateur d'ajustements aux situations. Mais de nouvelles adaptations sont nécessaires. En particulier pour répondre aux questions relatives au droit du travail et à la protection sociale que posent actuellement les pratiques liées aux plateformes numériques. Les travailleurs d'Uber sont la face visible d'une problématique qui a des ramifications plus vastes. Les récents rapports de Bruno Mettling 2 et de Pascal Terrasse 3 envisagent différentes solutions pour que ces travailleurs (notamment du numérique) ne soient pas les nouveaux salariés précaires ou pauvres de demain, voire les fossoyeurs des conditions de travail des autres travailleurs.

Une fois encore, des réponses doivent être trouvées. En tant qu'organisation syndicale du personnel d'encadrement, notre but est de maintenir un cadre global et visible pour les travailleurs qualifiés amenés à exercer leur activité sous des statuts multiples, qui s'accompagnent d'une atomisation de leurs droits et de leur protection. Pour ce faire, notre réflexion, qui n'est pas achevée au moment où nous écrivons cet article, s'organise autour de trois axes majeurs :

  • construire un socle de droits fondamentaux du travailleur, quel que soit son statut d'activité (salarié, indépendant, fonctionnaire). Ces droits concerneraient la formation professionnelle continue, la protection sociale et un cadre pour la relation de travail
  • poursuivre la dissuasion du recours aux contrats atypiques, en particulier les CDD courts, par une taxation ad hoc et une remise à plat des contrats de travail intermittent, saisonnier, CDD d'usage
  • mobiliser la présomption de salariat pour un maximum de travailleurs faussement indépendants dans les faits. Le droit du travail connaît déjà de telles réponses pour les VRP, les journalistes, les mannequins par exemple. Cette piste pourrait être retenue pour les travailleurs des plateformes numériques.

La lutte contre les effets néfastes pour les salariés de statuts à plusieurs vitesses pour une activité similaire est un éternel recommencement. Une mission à durée indéterminée !

  1. De la précarité à la mobilité : vers une Sécurité sociale professionnelle, La Documentation française, février 2005.
  2. Transformation numérique et vie au travail, La Documentation française, septembre 2015.
  3. « Rapport sur le développement de l'économie collaborative »,remis au gouvernement en février 2016.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2016-6/mettons-de-la-coherence-dans-les-differents-statuts-salaries.html?item_id=3536
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