François HUREL

Président de l'Union des autoentrepreneurs.

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Les pistes du travail de demain

La dynamique du travail indépendant doit être soutenue par des mesures concrètes pour lui assurer un statut équitable par rapport au salariat, en mettant en place un nouveau droit de l'activité.

Avec la conférence sociale de l'automne dernier, think tanks, économistes, sociologues et politiques se sont fait entendre sur la nécessité de réformer notre droit du travail. Archaïque pour les uns, inadapté pour les autres, fondé sur un modèle industriel à une époque du service, le travail salarié semble avoir pris en quelques semaines une sorte de « coup de vieux » dans un monde où fleurissent l'Internet, les plateformes et le travail collaboratif.

Depuis peu, d'autre voix ouvrent le débat sur une question plus fondamentale encore que le droit du travail : celle de la refondation de notre relation à l'activité. Car celle-ci ne se trouve en effet plus limitée au salariat, seul statut couvert par notre norme à laquelle nous sommes si attachés. Elle est bien plus large puisqu'elle recouvre aujourd'hui le vaste champ du travail indépendant. En raison de nombreuses interrogations, voire d'une certaine forme de délitement du travail salarié, aggravé par le chômage et la précarisation de certains statuts, le travail indépendant, fondé sur le risque économique et non plus sur la relation de subordination hiérarchique, connaît aujourd'hui une véritable vigueur, comme en témoignent le développement des autoentrepreneurs et les bons chiffres de la création d'activités.

Des alternatives au salariat

Mille deux cents Français s'inscrivent chaque jour au régime autoentrepreneur et, désormais, plus d'un tiers d'entre eux deviennent des créateurs d'entreprise. C'est dire si la France est devenue une terre d'initiative, pour peu qu'on veuille bien laisser s'épanouir toutes ces nouvelles idées et tous ces nouveaux acteurs. Ils sont aujourd'hui 1,1 million à apporter 15 milliards d'euros aux comptes de la nation et 4 milliards d'euros aux comptes des organismes sociaux ou au fisc.

Ces formes de travail nouvellement alternatives au salariat appellent à reposer les bases du « travailler ensemble », alors que le salariat a accumulé les complexités et les lourdeurs pendant des décennies, au point de se voir parfois accusé de freiner le développement des entreprises et que notre droit du travail, de protecteur, est devenu aujourd'hui illisible et parfois anxiogène.

Que proposons-nous pour accompagner ce développement ? Non pas de réformer une énième fois le Code du travail pour l'adapter encore à un modèle économique qui « galope », mais plutôt de réfléchir à un nouveau droit de l'activité. Ce droit aura tout d'abord vocation à assurer l'égalité entre le statut de salarié et celui d'indépendant. Car cette égalité est loin d'être de mise, entre un CDI surprotecteur et un statut d'indépendant qui, en plus de supporter le risque économique, n'offre pas de garanties sociales équivalentes au salariat.

Un nouveau droit de l'activité

Le CDI n'est pas la seule planche de salut du retour à l'activité. L'économie collaborative est en quelque sorte venue au secours de la créativité et de l'emploi de demain. Il serait sage que le gouvernement en prenne toute la mesure. En tout cas, ce thème refondateur et moderne s'inscrira, à l'évidence, dans les prochains débats électoraux. Finalement, le vrai sujet de notre pays n'est-il pas celui que nous entendons de plus en plus souvent, le combat du modernisme contre les conservatismes de tous bords ?

Le discriminant est trop important et les Français continuent à courir après le CDI, qui fait encore figure de solution unique. Alors que la crise économique leur a pourtant montré que sécurité du contrat ne signifiait pas sécurité de l'activité économique, le salariat - le CDI en tête - reste à leurs yeux le seul contrat qui leur garantisse un avenir. Aujourd'hui, les Français n'ont pas un choix équitable entre ces deux statuts, faute d'une protection sociale équivalente. De ses trois piliers que sont l'assurance-maladie, la retraite et le chômage, deux sont encore à construire dans le statut d'indépendant.

Une protection sociale à repenser

La retraite, tout d'abord, pour laquelle il faut reprendre le travail sur le taux de cotisation et le périmètre pour offrir aux indépendants une retraite de même ordre que celle des salariés. Le risque de perte subite d'activité, surtout, contre lequel l'indépendant ne dispose aujourd'hui d'aucune couverture si ce n'est par l'assurance volontaire individuelle. Il est donc urgent de protéger le travailleur indépendant contre la « perte d'emploi » pour lui assurer un droit de l'activité équivalent à celui du salarié, ce qui suppose que son donneur d'ordre, c'est-à-dire son client « employeur », accepte de contribuer à ce risque. Aux côtés de l'assurance chômage, prise en charge par l'entreprise et son salarié, j'appelle de mes voeux une véritable réflexion en faveur de la création d'un droit à l'indemnité en cas de perte subite d'activité, financée paritairement par les donneurs d'ordre et par les travailleurs indépendants et fiscalement déductible.

Au moment où se discute une nouvelle taxation des contrats à durée déterminée, cette forme assurantielle prend toute sa vertu. Nous savons en effet que, face aux 10 % de taxation du contrat à durée déterminée, 4 % seulement pourraient contribuer dans le cadre du travail indépendant à financer cet amortisseur social, indispensable à la pérennité de cette forme nouvelle d'activité et surtout nécessaire pour ces millions de Français qui pensent que leur avenir est dans l'initiative.

Proposer une vraie équité permettra de donner aux deux statuts une même attractivité, d'éviter les débats sur la subordination et les risques de requalification du travail indépendant en salariat qui paralysent aujourd'hui nombre d'initiatives d'autoentrepreneurs. Nous devons de façon urgente construire un droit de l'activité qui place sur un pied d'égalité actifs salariés et actifs indépendants, comme nous devons réfléchir aux possibilités nouvelles d'association des indépendants en réseaux ou en coopératives professionnelles pour faire croître leurs initiatives. Ne bridons pas le formidable appel d'air et le formidable espoir placé dans ces nouvelles formes de travail qui se créent tous les jours en France grâce à l'innovation et à l'initiative individuelle ! C'est à ce prix que notre chômage de masse, aujourd'hui structurel, pourra être efficacement combattu. Le gouvernement semble oublier cette simple bonne idée. La loi Travail passera-t-elle à côté de son sujet ?

Refonder la relation au travail

Essentiellement orientée, dans le texte présenté en Conseil des ministres, vers le travail salarié, elle tourne le dos au travail indépendant et, ce faisant, ne porte plus le souffle qu'avaient semblé lui donner les premières annonces d'Emmanuel Macron et les nombreux rapports publiés ces derniers mois (de Mettling à Terrasse, en passant par France Stratégie). Le texte présenté n'a pas pris la mesure de la refondation de notre relation au travail et de l'émergence de formes de travail alternatives au salariat, en phase avec la lame de fond de la révolution numérique et de l'économie collaborative. Plus encore, il continue à diviser la population active en deux catégories : les salariés, pour lesquels le débat sur la flexibilité et la sécurité est posé, et les indépendants, ceux qui travaillent à leur compte, autoentrepreneurs, travailleurs non salariés (TNS), mais aussi les professions libérales, tous oubliés du débat...

Si nos modes de consommation se voient à ce point transformés par les plateformes en ligne, nous le devons pour une bonne part aux « nouveaux indépendants », qui permettent la grande agilité de ces nouveaux services. C'est pourquoi nous souhaitons faciliter aux actifs le passage d'un statut à un autre et nous nous félicitons à ce titre que le compte personnel d'activité (seule mesure du texte de la loi Travail dans ce cas) s'adresse à l'ensemble des actifs, y compris les travailleurs indépendants. Mais pour qu'il bénéficie réellement à tous, ne faudrait-il pas que les indépendants puissent accéder aux droits que regroupera ce compte, et notamment ceux liés à la formation ou à la perte subite d'activité, au même titre que les salariés ?

Espérons que ce message sera entendu dans le cadre de la discussion parlementaire sur le texte. Espérons qu'elle pourra permettre au travail indépendant de trouver enfin toutes ses chances de libérer l'emploi dans notre pays.

Proposer une vraie équité, un droit à la protection inclus dans le droit de l'activité, permettra de donner aux deux statuts une même attractivité et réduira de fait les risques de requalification du travail indépendant en travail salarié qui paralysent aujourd'hui nombre d'initiatives d'autoentrepreneurs.

Faire converger les protections sociales des indépendants et des salariés, c'est se donner au moins un million de chances de plus de créer de l'activité. Pouvons-nous nous offrir le luxe d'oublier cette chance unique de retour au progrès social ?

Texte rédigé fin avril 2016.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2016-6/les-pistes-du-travail-de-demain.html?item_id=3539
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