Ministère du Travail/ Dicom/Laurent Chamussy/Sipa Press

Myriam EL KHOMRI

Ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social.

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Comment transformer le travail pour sauver l'emploi ?

Le projet de loi « Travail » qui vise à moderniser le monde du travail est un des éléments de la politique globale engagée par le gouvernement pour lutter contre le chômage. Avec trois axes majeurs : plus de dialogue social, plus de visibilité pour les acteurs économiques et plus de droits pour chaque actif.

Depuis plus de 30 ans, le monde du travail dans notre pays souffre d'une difficulté structurelle à « inclure » le plus grand nombre dans l'emploi stable et à répondre à une aspiration généralisée, de la part des actifs comme des entreprises, à une forme de « liberté protectrice ». Chacun souhaite en effet bénéficier de plus d'autonomie dans son travail, sans que celle-ci ne se traduise par une fragilisation de son statut. Le « projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » a donc pour objectif de procéder à une modernisation indispensable du monde du travail, en alliant fonctionnement efficace de l'économie de marché et standards sociaux très élevés. Cette ambition repose sur un diagnostic lucide et s'articule autour de trois axes : plus de dialogue social, plus de visibilité pour les acteurs économiques, plus de droits pour chaque actif.

Comprendre la réalité du monde du travail

Confronté à un chômage de masse oscillant entre 7 % et 10 % de la population active depuis la fin des Trente Glorieuses, le monde du travail français se caractérise par un fossé grandissant entre salariés en CDI et actifs à la recherche d'un emploi, en stage, en CDD ou en intérim, qui ne parviennent pas à s'extraire d'une précarité synonyme de marginalisation, voire d'exclusion. Cette segmentation est fortement liée à la crainte persistante des employeurs à embaucher en CDI : aujourd'hui 90 % des recrutements en France se font en CDD. Même si le CDI reste majoritaire en stock (trois quarts de la population active), les contrats courts subis sont de plus en plus fréquents : le taux de réembauche en CDD dépasse 80 % et la moitié de ces CDD ont une durée inférieure à une semaine. Derrière ces chiffres, il y a une hyperflexibilité imposée à beaucoup de nos concitoyens, en particulier les moins qualifiés, les jeunes et les femmes.

Nous ne pouvons faire de cette réalité une fatalité, alors que les actifs français, toujours plus diplômés et mieux formés, savent et veulent se montrer créatifs et entreprenants. La relation au travail a profondément évolué. Elle est à l'image d'une société moins hiérarchisée, plus souple, plus horizontale, plus disruptive, où l'imbrication des temps professionnels et personnels est de plus en plus prononcée, notamment sous le coup de la révolution numérique. Ces évolutions traduisent autant qu'elles encouragent des aspirations profondes à plus d'autonomie, de la part des actifs, auxquelles il faut répondre. Dans un monde où l'effort et les prises d'initiatives sont valorisés, et où chacun sait qu'il sera amené au cours de sa vie à connaître des expériences multiples, la fluidité des parcours — les passages du statut de salarié à indépendant par exemple — doit être facilitée pour que chacun puisse se réaliser professionnellement.

Face à cette double dynamique — segmentation croissante et aspiration à plus d'autonomie —, le droit du travail, pourtant toujours plus inventif et complexe, ne remplit plus pleinement son rôle. S'il garantit toujours des protections fortes, celles-ci ignorent ceux qui sont cantonnés à la marge du système et sont victimes de son hyperflexibilité. À force de dérogations et d'amendements, il est devenu illisible pour nombre de salariés et d'employeurs, devenant source d'inefficacité. Enfin, face à des mutations économiques de plus en plus rapides, qui demandent réactivité et adaptabilité, la réforme du droit du travail est nécessaire pour apporter plus de marges de manoeuvre au plus près du terrain, qu'il s'agisse de la branche ou de l'entreprise, dans le cadre d'un dialogue social renforcé.

Renforcer la négociation collective

Nous avons bien sûr la conviction que l'État doit rester le garant de l'ordre public social, condition d'une protection effective des plus fragiles. Mais, cette conviction n'exclut pas de penser qu'une plus grande place doit être laissée aux partenaires sociaux dans la définition et l'élaboration des règles qui les concernent au quotidien. À l'heure d'un engouement généralisé pour la participation, la délibération, la collaboration et l'intelligence collective, nous pensons que les acteurs du monde du travail sont suffisamment matures pour trouver des compromis au service de l'intérêt collectif. Il s'agit de mieux répondre, dans les limites définies par la loi, aux besoins des entreprises et aux aspirations des salariés, en faisant confiance au principe de la négociation collective. Cette évolution n'a, bien sûr, rien d'une évidence tant notre pays, depuis la Révolution française, se méfie des corps intermédiaires et tant notre histoire sociale s'est construite dans la conflictualité. Mais, de fait, un changement s'est opéré depuis les lois Auroux et le projet de loi « Travail » vise à accompagner cette tendance.

Le texte renforce d'abord le dialogue social au niveau de l'entreprise. Demain, les entreprises pourront mieux adapter leur organisation en fonction des variations d'activité, mais ces souplesses ne seront permises qu'avec des accords collectifs ayant une légitimité forte. Le texte prévoit ainsi de faire entrer progressivement de nouveaux thèmes dans le champ de la négociation d'entreprise (temps de travail, congés et repos), tout en instaurant le principe majoritaire pour la signature des accords d'entreprise : ne pourront être valides que les accords signés par des syndicats représentant au moins la majorité des salariés, contre 30 % aujourd'hui. Bien entendu, en l'absence de signature d'accord majoritaire dans une entreprise, c'est le droit actuel qui continuera de s'appliquer. Aucune souplesse ne sera donc accordée sans négociation et vote majoritaire.

Dans le même temps, le texte va renforcer considérablement le rôle des branches professionnelles qui sont au coeur de la régulation et de l'appui aux entreprises, en particulier dans les secteurs constitués essentiellement de PME et TPE. Pour la première fois, le projet de loi définit dans le Code du travail le rôle de la branche : déterminer des garanties communes aux salariés d'une même activité, d'un même métier ou d'un même secteur et réguler la concurrence entre les entreprises de ce champ. Le projet de loi institue également des commissions permanentes de branche qui seront chargées de faire chaque année un bilan des accords conclus dans les entreprises en matière de durée du travail et d'émettre des recommandations aux entreprises. De plus, la branche conservera la priorité sur l'accord d'entreprise dans de nombreux domaines.

Dans la continuité des lois Auroux, l'ambition est d'approfondir la démocratie sociale en donnant une plus grande place et une plus grande légitimité aux partenaires sociaux. La loi leur donne en outre davantage de moyens — en augmentant notamment les heures de délégation des délégués syndicaux — pour permettre un dialogue loyal et équilibré, et clarifie les règles de la représentativité patronale en reprenant l'équilibre issu de l'accord de mai 2016 entre le Medef, la CGPME et l'UPA.

Donner plus de visibilité aux acteurs économiques

Le développement d'une entreprise et sa capacité à générer des embauches durables reposent avant tout sur l'épaisseur de son carnet de commandes. Mais la sécurité juridique, la capacité à anticiper et à se mouvoir dans un environnement réglementaire stabilisé conditionnent également fortement la croissance de l'activité économique et des recrutements. Une visibilité par ailleurs indispensable pour les actifs, souvent mal informés de leurs droits. Le projet de loi procède donc à un certain nombre de clarifications concernant le droit du travail.

Il précise d'abord les modalités d'application des licenciements économiques. Le texte reprend les critères issus de la jurisprudence, tout en les distinguant en fonction de la taille des entreprises concernées, car des difficultés économiques ne peuvent pas s'appréhender de façon identique dans une TPE ou dans un grand groupe international. C'est une incitation à l'embauche, mais aussi un outil de lutte contre les phénomènes de contournement : à ce jour, l'absence de critères clairs conduit les employeurs à préférer très massivement la rupture conventionnelle ou le licenciement pour motif personnel en cas de rupture de contrat, synonymes d'une moindre protection pour les salariés concernés. En outre, le texte introduit pour les TPE la possibilité de constituer une provision pour risque lié à un contentieux prud'homal.

Le projet de loi crée également un droit à l'information sur le droit du travail pour les entreprises de moins de 300 salariés. Dans tout le territoire, un chef d'entreprise qui souhaitera obtenir une précision en matière de droit du travail et de conventions collectives bénéficiera d'une réponse concrète par un service dédié. Ce service public sera mis en place par l'État en coopération avec les représentants des organisations syndicales et professionnelles, les réseaux consulaires, les commissions paritaires interprofessionnelles et les conseils départementaux, pour concevoir un accès au droit simplifié et efficace. Le chef d'entreprise aura par ailleurs la possibilité de présenter aux juges la réponse qu'il aura obtenue de l'Administration sur une question de droit du travail en cas de contentieux. C'est, ici aussi, une avancée significative qui contribuera à rendre le Code du travail plus accessible et plus utile pour l'ensemble des acteurs économiques.

Enfin, pour les TPE et PME, qui ne disposent pas des moyens juridiques et en ressources humaines d'un grand groupe, et dont les normes sociales sont souvent régulées au niveau de la branche, le projet de loi crée la possibilité de conclure des « accords types » de branches qui pourront être directement déclinés dans ces entreprises. Là encore, l'idée est de gagner en souplesse et en proximité avec les attentes du terrain.

Faciliter les transitions professionnelles des actifs

Le projet de loi crée, enfin, un système de solidarités nouvelles, adaptées aux enjeux de son temps. Dans un monde où les changements professionnels sont de plus en plus fréquents, où chacun peut devenir entrepreneur après avoir été salarié, mais aussi connaître des périodes de chômage récurrentes, il faut permettre à tous les actifs de se former, d'être accompagnés dans un nouveau projet pour mieux rebondir et réussir leurs transitions professionnelles. C'est cela une définition moderne de la sécurité dans le monde du travail et c'est tout le sens du « compte personnel d'activité » (CPA) créé par le projet de loi. Grâce à ce compte, chaque actif, quels que soient ses choix et « accidents » de carrière, bénéficiera des mêmes atouts pour construire son parcours. Le CPA comprendra le compte personnel de formation, le compte prévention pénibilité et le compte engagement citoyen. Il introduit un « droit universel à la formation » et prévoit un effort particulier pour ceux qui ont le plus besoin d'être formés : les « jeunes décrocheurs » sortis sans diplôme du système éducatif, les salariés non diplômés qui auront droit à 48 heures de formation par an au lieu de 24 aujourd'hui, et enfin, tout jeune de moins de 26 ans en situation de précarité, sans emploi, sans formation, qui pourra demander la « garantie jeunes », qui permet de bénéficier d'un accompagnement personnalisé et d'une aide financière pour faciliter l'accès à l'emploi. Ce que porte le CPA, c'est l'idée d'une sécurité sociale professionnelle pour tous, d'un bagage personnel de droits pour permettre à tous les actifs de construire leur vie professionnelle.

Bien entendu, la réforme du Code du travail, si elle est indispensable, ne « sauvera » pas à elle seule l'emploi. La lutte contre le chômage passe aussi par le développement économique, par le renforcement de la compétitivité des entreprises, par le soutien à l'embauche et par la formation tout au long de la vie. Le gouvernement mène une politique globale de redressement et le retour de la croissance, de la création d'emplois, des marges et de la compétitivité des entreprises sont les signes d'un redémarrage. Au projet de loi « Travail » s'ajoute le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui a réduit le coût du travail, mais aussi l'aide à l'embauche pour les PME engagée le 18 janvier 2016, qui a rencontré immédiatement un très fort écho du côté des entreprises, ou encore le plan 500 000 formations, décliné dans chaque région et destiné à renforcer l'employabilité des demandeurs d'emploi. C'est ensemble que ces réformes, structurelles et conjoncturelles, permettront de créer un couple « travail/emploi » qui soit mis au service d'un progrès économique et social partagé.

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