Catherine DABADIE

Journaliste, correspondante à Rome du quotidien « L'Opinion ».

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Italie : un premier bilan du Jobs Act

La réforme du marché du travail de Matteo Renzi est entrée en vigueur il y a un an en Italie, mettant fin au mythe de l'emploi à vie en facilitant les licenciements tout en encourageant l'embauche sous forme de CDI. Mais si elle a permis de relancer l'emploi et de lutter contre la précarité, ses effets à long terme suscitent quelques réserves.

C'est avec un tweet triomphant que le Premier ministre italien, Matteo Renzi, a salué le premier anniversaire du Jobs Act. « Avec ce gouvernement, les impôts baissent, l'emploi augmente et les oiseaux de mauvais augure ont le bec cloué », s'est-il félicité début mars, un an après la publication des huit décrets législatifs qui ont modifié en profondeur les règles du marché de l'emploi en Italie, en y introduisant le concept de « flexisécurité ».

Mois après mois, Matteo Renzi continue de défendre sa réforme, présentée comme le fer de lance de sa politique économique, capable de relancer l'Italie, de faire oublier les milliers d'emplois détruits par la crise au cours des dernières années et de stopper l'envolée des courbes du chômage. N'en déplaise à une partie de la gauche italienne et aux organisations syndicales de salariés qui s'insurgent contre le coup de boutoir porté au mythe italien, celui du travail protégé.

Le licenciement simplifié

Le Jobs Act de Matteo Renzi donne un coup de balai dans la législation du travail en s'attaquant à l'emblématique article 18, qui permettait jusqu'alors à un salarié italien, en cas de licenciement jugé abusif, de recourir à un juge pour obtenir sa réintégration au sein de son entreprise (de plus de quinze salariés) Cet article 18, totem des droits sociaux pour la gauche, était vécu comme un frein à l'embauche par les employeurs. « Bien souvent, le salarié italien demandait à être indemnisé, plutôt que d'être réintégré dans l'entreprise. Et cette indemnité s'ajoutait aux prestations qui couraient depuis le jour où il avait été licencié jusqu'au jour où sa réintégration était décidée par le juge. Pour les entreprises, cela représentait des sommes astronomiques. Elles étaient donc effrayées à l'idée d'embaucher un travailleur en CDI », explique Michel Martone, vice-ministre du Travail sous le gouvernement de Mario Monti, professeur de droit du travail à l'université Luiss de Rome.

Le Jobs Act retire au juge son pouvoir discrétionnaire et facilite le licenciement en supprimant l'article 18. Désormais, sauf cas de discrimination, les salariés embauchés après la réforme ne seront plus réintégrés mais percevront une indemnité. En gage d'une meilleure sécurité juridique, le montant de la compensation financière est encadré : de quatre à vingt-quatre mois de salaire, selon le degré d'ancienneté dans l'entreprise.

Nouveau CDI et incitations fiscales

Parallèlement, le Jobs Act supprime certaines formes de contrats précaires et met en place un contrat à durée indéterminée d'un nouveau genre, le contrat « à protection croissante » : facilement licenciable au cours des trois premières années de son embauche, le salarié voit ses droits augmenter au gré de son ancienneté dans l'entreprise. Objectif affiché du gouvernement : lutter contre la précarité et le travail au noir.

Il y a urgence. Le pays a connu une explosion des contrats précaires dans les années 1990 et les années 2000 pour accorder aux entreprises un peu de flexibilité dans un marché du travail extrêmement protégé. Résultat, le fossé s'est creusé entre les insiders et les outsiders du marché de l'emploi, entre détenteurs d'un CDI et détenteurs de contrats à durée déterminée ou précaires.

Pour donner au Jobs Act une chance d'être adopté par les entreprises, le gouvernement a accompagné sa réforme de mesures fiscales fortement incitatives. Toutes les embauches en CDI conclues en 2015 seront exonérées de cotisations sociales pendant trois ans, avec un maximum de 8 060 euros par an. La mesure a été prolongée pour les embauches de 2016, qui seront exonérées à leur tour de 40 % de cotisations sociales pendant deux ans.

Matteo Renzi a-t-il gagné son pari ? Un an après le lancement de la réforme, les premiers chiffres confirment une embellie sur le front de l'emploi. Selon les dernières données de l'Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS, la Sécurité sociale italienne), le pays a enregistré 846 498 créations nettes de CDI en 2015, à comparer aux 50 543 en moins de 2014. Sur ces créations nettes de CDI, 567 635 résultent de la transformation de CDD (+ 71,4 %) et 86 743 (+ 24,8 %) de la transformation de contrats d'apprentissage. Par ailleurs, le pays a vu la courbe du chômage s'inverser en 2015. Après avoir culminé à 13 % de la population active en novembre 2014, le nombre de chômeurs est descendu à 11,6 % de la population en janvier, pour repartir légèrement à la hausse en février (11,7 %).

Des résultats à nuancer

Pour les experts, ces signes encourageants ne garantissent pas pour autant le succès à long terme de la réforme. Si une dynamique se dessine en matière d'emploi, elle est d'abord à mettre au crédit du retour de la croissance en 2015, après trois ans de récession. Quoique faible (0,8 %), cette croissance a permis aux secteurs les plus dynamiques de procéder à un rattrapage des destructions d'emploi passées. Dans certains milieux financiers, on note toutefois que la création d'emploi a été « supérieure à ce qu'on pouvait attendre d'un simple retour de l'activité économique ». Les entreprises ont embauché en CDI, « alors qu'elles auraient fortement hésité à franchir le pas avant la réforme ».

Certes, le Jobs Act semble avoir déjà agi de façon positive sur la précarité, en permettant à des travailleurs jusque-là cantonnés à des emplois occasionnels d'accéder à un marché du travail pérenne. Mais attention, prévient Michele Tiraboschi, professeur de droit du travail à l'université de Modène, ces CDI nouvelle formule garantissent une fausse stabilité dans la mesure où le salarié est facilement licenciable pendant trois ans.

L'universitaire regrette par ailleurs que la réforme se limite à transformer de nombreux emplois déterminés en contrats à durée indéterminée, sans améliorer réellement la situation de l'emploi. Or, le taux d'occupation en Italie est un des plus bas d'Europe, notamment parce qu'une partie de la population, en particulier féminine, a renoncé à chercher officiellement un emploi et que le travail au noir reste important. « Sur 40 millions de personnes en mesure de travailler, seulement 22 millions travaillent de façon régulière », constate Michele Tiraboschi.

Certains observateurs font également valoir que les allègements de cotisations sociales consentis aux entreprises ont eu un effet dopant sur les créations d'emploi, plus que la réforme du Jobs Act en elle-même. Un rapport de l'Institut national de la statistique (Istat) sur la compétitivité du secteur productif révèle que la moitié des entreprises manufacturières ayant augmenté leurs effectifs de façon significative en 2015 sembleraient avoir franchi le pas en raison des allègements financiers qui leur ont été consentis. « À la différence de l'exonération, le nouveau contrat à protection croissante semble avoir joué un rôle moins important », constate l'Istat dans son rapport. L'impact de ces exonérations semble corroboré par le ralentissement des créations de CDI observé en janvier par l'INPS (- 58 % par rapport à janvier 2015). Cette baisse de dynamique coïncide avec le calendrier des réductions d'exonérations, réduites depuis janvier à 40 % pendant deux ans pour toute nouvelle embauche en CDI intervenue en 2016. Lorsque ce dispositif d'exonérations fiscales aura cessé, dans trois ans, on risque de voir les entreprises licencier les salariés embauchés au titre du contrat « à protection croissante », avant que ces licenciements ne leur coûtent trop cher.

À cette incertitude, liée en partie à la conjoncture, s'ajoute le coût de la réforme. Selon Michele Tiraboschi, la facture s'avère plus lourde que prévu. « Le gouvernement avait estimé ce coût à près de 15 milliards d'euros », mais avec une estimation de 1 million de CDI conclus. Le chiffre ayant été revu à la hausse, « les dépenses s'élèvent d'ores et déjà à 18 milliards d'euros, il y a donc un trou de 3 milliards d'euros que le gouvernement va devoir combler », estime-t-il.

Il est sans doute encore trop tôt pour évaluer la pertinence du Jobs Act, d'autant que la réforme doit encore se déployer sur son deuxième volet, concernant les droits et garanties offertes aux salariés. Il est notamment prévu la mise en place d'une nouvelle indemnisation chômage unique, pour une durée maximale de deux ans, et une agence nationale pour l'emploi (qui est entrée en service en janvier).

« Le Jobs Act va dans le bon sens, mais il est exagéré de parler de succès », résume Michel Martone. Pour Matteo Renzi, la victoire est déjà acquise. Car l'homme fort de l'Italie peut se vanter d'avoir atteint son objectif, celui d'avoir mis la réforme sur les rails. Et prouver ainsi aux organismes internationaux et à ses partenaires européens qu'il est capable de mener l'Italie sur la voie du changement.

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