Paul-Henri ANTONMATTEI

Professeur à l'université de Montpellier et doyen honoraire, avocat associé chez Barthélémy avocats.

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La dynamique vertueuse de la négociation collective

Pour réformer le Code du travail, la loi - par nature impersonnelle et générale - ne peut suffire ; le relais de la négociation collective est indispensable. Ce qui suppose l'engagement de tous les acteurs. Et leur formation.

L'année 2015 a livré des analyses convergentes sur les défaillances du droit du travail, clairement exprimées par cet aveu gouvernemental : « La double fonction assignée au droit du travail est de plus en plus mal remplie. Alors qu'il doit à la fois protéger les travailleurs et sécuriser les entreprises pour leur permettre de se développer, il ne parvient qu'imparfaitement à atteindre ces objectifs, sous l'effet conjugué des bouleversements du monde du travail et de la sédimentation de règles devenues en partie illisibles 1. » Pas la peine d'en rajouter. Place alors à la réforme ou plutôt à l'accélération d'une véritable refondation déjà engagée qui déplace le centre de gravité du droit du travail vers la négociation collective.

La révolution numérique démontre, s'il en était encore besoin, la nécessaire adaptation des règles aux mutations de l'économie et de l'emploi. Or, la loi, par nature impersonnelle, permanente et générale, ne peut plus assumer seule l'organisation de cette diversité. Le relais de la négociation collective est indispensable, sans que cette promotion ait pour ambition d'instaurer un règne qui réduirait le législateur, voire le juge, au rang de vassal. Une nouvelle répartition des compétences s'organise dans le cadre d'une articulation mieux précisée.

La « méthode » Combrexelle

C'est le sens de la reconstruction du Code du travail, suggérée par le rapport Combrexelle 2 et reprise par le gouvernement dans le projet de loi El Khomri. Au législateur de mettre en oeuvre cette nouvelle architecture, fondée sur trois parties pour chaque subdivision du Code : « Les règles d'ordre public auxquelles il n'est pas possible de déroger le champ renvoyé à la négociation collective les règles supplétives applicables en l'absence d'accord 3 », le tout dans le respect des principes essentiels du droit du travail retenus par la commission Badinter.

Le projet de loi applique, dès à présent, cette méthode à la durée du travail avec une nette amélioration de la lisibilité des règles. Il faudra toutefois attendre 2018 et les résultats des travaux de la commission de refondation pour les autres subdivisions du Code du travail... à moins qu'une éventuelle alternance politique interrompe ce processus, ce qui serait toutefois surprenant à la lumière du consensus des principaux partis de gouvernement sur la méthode retenue.

La détermination du champ de la négociation collective accapare le débat. Un double objectif législatif est affirmé : « Donner le plus large espace possible à la négociation collective » et offrir « plus de marge de manoeuvre à la négociation d'entreprise, pour adapter les règles au plus proche du terrain et permettre une meilleure conciliation des performances économique et sociale 4 ».

Quelles étapes ?

Objet aussi d'un large consensus politique, cette démarche a été préparée. Le législateur a ainsi répondu à l'appel des signataires de la position commune de 2001 demandant aux pouvoirs publics un accroissement du rôle normatif de la négociation collective en renforçant, au préalable, la légitimité des accords et celle des acteurs.

  • En 2004 est instaurée la logique de l'accord majoritaire, et la réforme va s'accélérer avec une extension programmée par le projet de loi El Khomri de la majorité d'engagement (50 %) pour les accords d'entreprise.
  • En 2008, c'est la révolution d'une nouvelle représentativité syndicale fondée essentiellement sur l'audience électorale.
  • En 2014, c'est au tour de la représentativité patronale, avec une première détermination des organisations représentatives en 2017. Le législateur peut, dans ce contexte, plus facilement faire primer l'accord collectif sur la loi, et même l'accord d'entreprise sur l'accord de branche. Il n'y a pas d'obstacle constitutionnel à cette nouvelle articulation des normes.

Accord d'entreprise et négociation de branche

La primauté de l'accord d'entreprise n'implique pas une relégation de la négociation de branche. Le domaine de cette primauté est encore limité et la branche peut, sur de nombreux sujets, décider de limiter les dérogations offertes à l'accord d'entreprise. Il ne faut pas non plus négliger les fonctions historiques de la branche que le Code du travail va utilement exprimer : « La négociation de branche vise à définir des garanties s'appliquant aux salariés employés par les entreprises d'un même secteur, d'un même métier ou d'une même forme d'activité et à réguler la concurrence entre les entreprises de ce champ 5. »

La restructuration des branches devrait redynamiser ce niveau de négociation : dans les trois mois suivant la publication de la loi El Khomri, les organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives aux niveaux national et interprofessionnel devront engager une négociation sur la méthode permettant d'aboutir, dans un délai de trois ans à compter de cette publication, à un paysage conventionnel restructuré autour d'environ deux cents branches professionnelles, et les organisations liées par une convention de branche devront aussi engager des négociations en vue d'opérer les rapprochements permettant d'aboutir à ce paysage conventionnel restructuré.

Vertueuse, une réforme du Code du travail donnant plus de place à la négociation collective reste toutefois un pari dont la réussite dépend fortement d'un changement de comportement des acteurs. Or le compte n'y est pas encore. Force est de constater que les partenaires sociaux « ne se saisissent pas suffisamment des souplesses que la loi leur donne pour déroger au cadre réglementaire "standard" 6 », même si les grandes entreprises ont, depuis des années, bien compris la fonction organisatrice de l'accord d'entreprise.

Les quelque 35 000 accords d'entreprise conclus annuellement ne doivent pas faire illusion. L'innovation conventionnelle n'est pas si forte quand on regarde de près le contenu des accords. Quant à la méthode de négociation, trop nombreux sont encore les témoignages de négociations marquées par des postures, des dogmes, des suspicions et des ignorances. La négociation n'est ni un combat ni une compromission. Elle requiert le respect de l'autre et une volonté réelle et sérieuse de parvenir à un accord.

Promouvoir la culture de la négociation

Aux réformes juridiques de ces dernières années doit désormais succéder une promotion de la culture de la négociation collective. Le choix du rapport Combrexelle d'appeler prioritairement à une « dynamique de la négociation collective » n'est pas « un choix de confort visant à évoquer des sujets réputés vagues et consensuels sur les pratiques de la négociation pour retarder l'heure de traiter des questions réputées plus délicates sur le droit de la négociation collective 7 ».

La démarche mérite d'être relayée, surtout par les juristes trop souvent tentés par la joute ou la chicane technique. Mais le politique a aussi sa partition à jouer. Il ne suffit pas d'offrir un environnement législatif favorable à un épanouissement de la négociation collective : l'explication politique de la place de l'accord collectif et du jeu des acteurs ne doit pas rester confidentielle. Or, le sens des réformes de la dernière décennie est encore largement méconnu de nos concitoyens, faute d'avoir été expliqué : le discours politique doit accompagner le décryptage juridique. Aux organisations syndicales et patronales de participer aussi plus activement à cet éclairage stratégique.

L'engagement des acteurs de la négociation d'entreprise doit être surtout encouragé. Côté patronal, il est encore nécessaire, singulièrement au sein des PME, de détruire la perception négative de la présence syndicale : sans délégué syndical, pas d'accord et donc pas de droit conventionnel offrant des règles d'organisation adaptées et innovantes. En l'absence de délégué syndical, il y a certes la négociation dérogatoire avec les acteurs supplétifs (élus, salariés mandatés), mais c'est peu dire que les formules législatives pratiquées depuis 1996 n'ont pas produit les résultats escomptés et, même après la réforme Rebsamen, le doute est toujours légitime. Côté syndical, la valorisation des parcours professionnels des élus et des titulaires d'un mandat syndical, utilement généralisée par la même réforme, doit permettre d'enrayer la crise des vocations et attirer une nouvelle génération de négociateurs conscients de l'importance des accords collectifs. Aux salariés, dont le vote est déterminant, de choisir aussi en fonction des résultats de la négociation collective.

La question de la compétence des acteurs ne peut plus être occultée tant la négociation d'organisation sur des sujets nombreux et complexes est plus exigeante que celle consistant seulement à accorder des avantages. La connaissance de l'entreprise via désormais la base de données économiques et sociales, la compréhension de l'environnement juridique des négociations, la maîtrise de la technique contractuelle, sans compter l'aptitude personnelle à discuter, sont autant de compétences ouvertes à la formation.

L'appel du rapport Combrexelle à des formations communes, en complément de celles dispensées par les organisations syndicales et patronales, doit trouver rapidement un écho. Il y a toutefois des limites à la formation d'acteurs dont le quotidien est d'exercer une activité professionnelle au sein de l'entreprise. Il ne s'agit pas de former des professionnels de la négociation mais de professionnaliser les pratiques de la négociation. Le renfort de conseils professionnels peut alors s'avérer utile et doit pouvoir s'exprimer dans les séances de négociation. Voilà un thème supplémentaire de l'accord de méthode dont la généralisation s'impose. Plus la négociation est loyale et sérieuse, plus les chances de conclure sont fortes.

Privilégier des accords à durée déterminée

La dynamique recherchée passe également par une analyse renouvelée de la durée des accords. L'environnement de plus en plus changeant dans lequel évoluent de nombreuses entreprises impose une adéquation permanente de la règle conventionnelle. Dans le domaine ô combien sulfureux de la durée du travail, les entreprises sont souvent engluées dans des accords sur les 35 heures à durée indéterminée conclus il y a plus d'une décennie et dont l'obsolescence est visible. Sans doute faut-il privilégier désormais l'accord à durée déterminée avec un rendez-vous utile de négociation pour éviter la disparition de la règle conventionnelle à l'expiration de l'accord.

La construction juridique des relations de travail requiert des équilibres et non des dogmes. Portée par un consensus politique rassurant, une nouvelle répartition des rôles entre la loi et l'accord collectif est au service d'un droit du travail soucieux de la protection du salarié et de l'efficacité économique de l'entreprise. N'est-ce pas la voie du salut pour le droit du travail?

Texte rédigé mi-avril 2016.

  1. « Simplifier, négocier, sécuriser. Un code du travail pour le XXIe siècle. » Orientations du gouvernement présentées à la presse par Manuel Valls le 4 novembre 2015.
  2. « La négociation collective, le travail et l'emploi. » Rapport de Jean-Denis Combrexelle au Premier ministre, France Stratégie, septembre 2015.
  3. Projet de loi Travail, dit El Khomri, exposé des motifs.
  4. Ibid.
  5. Projet de loi Travail.
  6. Lettre du 1er avril 2015 adressée par Manuel Valls à Jean-Denis Combrexelle.
  7. Jean-Denis Combrexelle, op. cit.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2016-6/la-dynamique-vertueuse-de-la-negociation-collective.html?item_id=3533
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