François ASSELIN

Président de la CPME.

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Reconnaître aussi les contributions d'intérêt général

Faire reposer le financement du syndicalisme sur les seules cotisations des adhérents est une belle idée. Mais il faut également prendre en considération la structuration des réseaux et des territoires, tout comme les missions concourant à l'intérêt général. Les corps intermédiaires méritent de voir leurs contributions mieux reconnues et leurs ressources stabilisées.

Retours d'expériences

Il y a plusieurs années, en entrant pour déjeuner dans un restaurant fréquenté par nombre d'entrepreneurs, je croise un adhérent de la Fédération Française du Bâtiment (FFB), dont j'étais alors vice-président. Au cours d'un échange banal, il me dit ne pas vouloir renouveler son adhésion. « À quoi ça sert ? » m'interroge-t-il.

Ce même adhérent, nous l'avions sorti d'une affaire plutôt mal engagée pour lui auprès d'un maître d'ouvrage.'intervention de la FFB avait été déterminante.

Ma réponse fut aussi amère que cinglante, tant parfois la mémoire peut être courte. Combien de jours pris sur le temps personnel et professionnel pour défendre, pas seulement une entreprise ou un entrepreneur, mais le bien commun de toutes les entreprises et leurs dirigeants ? Combien de rendez-vous, d'énergie dépensée pour lutter contre la fraude au détachement, le système absurde de la pénibilité, le non-respect des délais de paiement, l'absence de garantie de paiement ? Combien de temps dédié à l'engagement dans des démarches de progrès pour tirer toute une profession vers le haut ?

Oui, une fédération professionnelle peut servir à cela. Si, dans un environnement pas toujours porteur, sinon parfois hostile à l'entreprise, il n'y avait des femmes et des hommes qui, avec abnégation et pugnacité, consacrent une partie de leur dynamisme pour aider ceux qui, peut-être faute de temps ou souvent de choix, ne s'engagent pas pour le bien commun, notre univers serait bien plus triste et certainement plus cruel.

Une autre expérience marquante fut celle dont j'ai pu être témoin lorsque, président de la CPME de mon territoire, avec d'autres collègues, nous avions pris à bras le corps les dossiers RSI explosifs de certains de nos adhérents, à qui nous avions trouvé des solutions. Ceux qui pestaient le plus, avec raison, il faut le dire, mais sans solution, étaient les indépendants qui n'adhéraient nulle part !

D'abord des adhérents et des cotisations...

Si l'engagement est souvent porté par l'altruisme, il ne peut exister sans moyens. Payer une cotisation est essentiel si l'on veut donner « corps » à ces « intermédiaires ». Il n'y a pas de démocratie moderne sans corps intermédiaires à qui l'on permet d'être acteurs et responsables. Leur action, reposant sur le principe de subsidiarité, ne peut être efficace sans un engagement collectif de la base, à savoir, en premier lieu, des adhérents.

Pour rendre un syndicat efficient, il faut donc des cotisations des adhérents, c'est tellement évident ! Mais l'autre intérêt est également d'importance : c'est l'indépendance.

Pour développer les ressources de l'organisation, des leviers existent.'action syndicale peut motiver une adhésion militante (trop rare hélas). Le développement de services permet aussi une adhésion « de prestation ». Le réseau et, à travers lui, les possibilités de développer son activité représentent l'adhésion « d'intérêt ».

Ce modèle économique fondé intégralement sur la cotisation, s'il n'est pas impossible à construire, reste très difficile à tenir.

... mais aussi d'autres sources pour contribuer à l'intérêt général

En effet, l'action d'un syndicat ne peut pas être uniquement « marchande ». Bien souvent, le cœur de ses missions concerne l'intérêt général. Ces missions sont incontournables. Et d'ailleurs, les corps intermédiaires ne sont-ils pas intrinsèquement faits pour cela ?

On cite souvent les pays du Nord ou l'Allemagne pour la qualité des leurs corps intermédiaires. Il faut cependant savoir que, dans nombre d'entre eux, afin de répondre à cette mission d'intérêt général, la cotisation est obligatoire. Ou bien, s'il n'y a pas de cotisation, il n'y a pas d'accès aux conventions sectorielles ou à certains régimes (assurance chômage, santé-prévoyance, etc.).

En France, très peu de branches vivent à 100 % des cotisations de leurs adhérents, et ce n'est le cas d'aucun syndicat interprofessionnel. Ainsi, au fil des ans, beaucoup se sont laissés aller à des taxes diverses et variées sur l'assiette des salaires de leur branche. C'est le fameux 0,15 % dans l'artisanat !

La réforme de 2014 concernant le financement des syndicats et des organisations professionnelles a posé une nouvelle pierre, avec la création de l'Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN). Cet organisme a pour mission de redistribuer les sommes collectées à partir de la cotisation de 0,016 % appliquée à la masse salariale du secteur marchand vers les syndicats et organisations professionnelles. Sa création avait pour but de clarifier des circuits qui, par le passé, ressemblaient à des méandres, avec une opacité qui alimentait, à tort ou à raison, beaucoup de fantasmes.

Des principes pour reconstruire le financement du paritarisme

La reconstruction du financement du paritarisme doit reposer sur des principes. D'abord, la transparence. Un euro dépensé doit être un euro justifié. Ensuite, le fléchage. Si l'AGFPN est le collecteur puis le distributeur, pourquoi laisser perdurer des taxes annexes ou d'autres contributions échappant à l'association sommitale ? Pour finir, le plafonnement. Les recettes ne doivent pas dépasser les besoins des destinataires. Plafonner les ressources, en faisant le cas échéant baisser le taux d'appel (0,016 % aujourd'hui), relève du simple bon sens.

Ce « patrimoine » appartient avant tout à ceux qui paient. Ainsi, les branches pouvant percevoir des subsides de l'AGFPN et les organisations interprofessionnelles doivent bénéficier de la juste mesure de cette dotation collective afin d'assurer leurs missions d'intérêt général. Toute autre recette émanant d'une taxation obligatoire devrait être interdite, cela pour éviter tout dévoiement et faire en sorte que les entreprises ne paient pas deux fois. Si seulement chacun respectait déjà ces principes, un grand pas serait fait !

Bien évidemment il faut, en parallèle, développer les effectifs des adhérents pour les raisons déjà évoquées.

Vivre uniquement des adhésions n'a rien d'évident

Certaines branches ont pu, de façon très intelligente, faire remonter au fil des ans des moyens issus des adhésions directes et ainsi se constituer un vrai réseau efficace.'exercice est beaucoup plus compliqué au niveau interprofessionnel.

En effet, les adhésions proviennent de deux sources : les branches et les territoires.

Si toutes les branches multi-adhérentes (Medef, CPME, U2P) respectaient, dans leur cotisation, ne serait-ce que le poids de la représentativité, la CPME serait certainement la première organisation interprofessionnelle à vivre à 100 % des cotisations de ses adhérents ! Mais, entre patrons, l'arithmétique n'est pas toujours une science exacte. Passons...
Reste les territoires. Le niveau interprofessionnel n'ayant pas de « véhicule » national pour lever le fruit des cotisations des adhérents directs, l'exercice incombe aux départements, à travers un bulletin d'adhésion renouvelé chaque année. Tout cela est tout à fait normal. C'est au plus proche de l'entreprise que doit se développer la relation syndicale. Du coup, le réseau ne peut se développer qu'en allant prospecter l'adhérent, et pour prospecter l'adhérent il faut des services, et pour mettre en place des services, il faut des moyens. Bref, le serpent se mord un peu la queue...

En définitive, certains territoires y arrivent, en mettant l'accent sur ce qui paye le plus, c'est-à-dire l'action marchande dite « de services ». Il ne faut pas, pour autant, oublier ce qui ne « paye pas », à savoir l'action pour le bien commun. Il arrive même parfois que certains de nos adhérents nous reprochent ces services. Des actes « marchands » peuvent, en outre, entrer frontalement en concurrence avec l'activité de certains adhérents. Rien n'est simple !

Un autre levier de recettes réside dans les partenariats. Les grandes sociétés ont les moyens de contractualiser. Il pourrait être alors tentant d'accepter un gros chèque d'un grand groupe, surtout lorsque l'on représente le tissu des PME et TPE. Dans ce cas, où met-on la barrière de l'indépendance ?

En résumé, si la proposition paraît fondée - toute organisation doit vivre uniquement des cotisations - le réalisme conduit à être beaucoup plus nuancé.

La mort du syndicalisme d'appareil

Penser le financement des organisations professionnelles et des syndicats doit reposer sur une analyse générale du syndicalisme. Nous sommes à une étape cruciale, avec un syndicalisme d'appareil qui se meurt. Et c'est tant mieux. Seul doit perdurer le syndicalisme de projet et d'idées.

Repoussons les critiques courantes selon lesquelles les corps intermédiaires ne servent à rien. Si l'on veut que les corps intermédiaires soient utiles, mettons-les dans une position leur permettant d'assurer leur pleine et entière responsabilité ! En l'état du dossier, les gouvernements successifs ont leur part de responsabilité.

Concrètement, il est nécessaire de faire évoluer la législation permettant aux organisations professionnelles de proposer des services marchands. Il faut afficher et faire vivre les principes, édictés plus haut, autour de ce que doit être le fonctionnement d'une adhésion collective. Et, pour finir, il convient de nourrir une évolution progressive par le haut pour redonner tout son sens au syndicalisme.

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