Nicolas PERRUCHOT

Président du conseil départemental de Loir-et-Cher, ancien député.

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Mettre fin au financement public des partenaires sociaux

Le paritarisme, en crise, pèse sur le modèle social français. Les gouvernements ont trop longtemps laissé faire, notamment en matière de financement. Il importe de réviser en profondeur le système dans le sens de la responsabilité et de l'indépendance. Le patronat doit montrer l'exemple.

Les Français ont la chance de vivre dans un pays qui a beaucoup d'atouts. L'Histoire, qui a forgé notre culture commune, nous a permis d'être aujourd'hui un État qui compte en Europe et dans le monde. Et si la voix de la France ne porte pas toujours aussi fort qu'avant, notamment à l'international, nous sommes encore très souvent observés et parfois copiés.

La richesse du patrimoine français attire des touristes du monde entier. La beauté de nos paysages garantit une qualité de vie remarquable. La production littéraire est exceptionnelle. Les jeunes entrepreneurs redonnent des couleurs à l'esprit d'initiative et multiplient les créations de start-up en inventant la relation digitale de demain à base d'objets connectés et de big data.

Pourtant, derrière ces indéniables atouts, qui sont autant de raisons d'espérer, des zones d'ombre persistent. Notre pays paraît lent, face à un monde qui bouge de plus en plus vite. La crise économique et financière, apparue il y a dix ans, a révélé des carences dans notre capacité de redressement. Notre système politique se cherche un nouveau souffle. Le potentiel de la France est réel, mais la machine paraît trop souvent grippée.

Et il y a un domaine que le monde entier ne nous envie pas. C'est le paritarisme !

Un paritarisme malade

Notre modèle social s'appuie, notamment depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sur les partenaires sociaux. L'État leur confie, depuis parfois bien trop longtemps, le soin de s'occuper de nombreux thèmes sociaux, ou leur demande de négocier pour faire évoluer des thématiques variées : formation professionnelle, 1 % logement, sécurité sociale, insertion des personnes handicapées dans le travail, retraites, médecine du travail, etc.
À cela s'ajoute l'emprise de certains syndicats de salariés dans des entreprises publiques (SNCF), dans des secteurs clés (raffineries, transport aérien) ou dans le contrôle de gros comités d'entreprise (RATP, Air France). On pourrait ajouter les ports et docks, où l'influence syndicale est aussi extrêmement puissante.

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'au fil des ans, l'objectif affiché consistant, à l'origine, à renforcer la cohésion nationale, a volé en éclats.

Le paritarisme est malade. Et avec lui la France. Notre pays peine à se réformer. La paralysie n'est jamais très loin, car la grève continue à être utilisée comme une arme que l'on dégaine pour faire reculer les gouvernements. La représentativité syndicale est aussi très faible : de moins en moins de salariés adhérent aux doctrines syndicales, dont l'image apparaît aujourd'hui très troublée.

Des partenaires sociaux omniprésents qui doivent se réformer

Ce qui peut surprendre, à première vue, c'est l'étendue des secteurs dominés par les organismes paritaires, donnant le sentiment qu'en France les partenaires sociaux sont partout, et que les tentacules de la pieuvre syndicale et du poulpe patronal continuent de grandir pour mieux contrôler le pays. Ce système tentaculaire permet, surtout, de bénéficier de multiples sources de financement, ce qui garantit des rentrées d'argent conséquentes.

Les tentatives récentes de mieux contrôler (enfin) le paritarisme permettent d'imaginer une évolution salutaire à terme. Mais le travail est complexe et les résistances fortes.

Les ordonnances de la loi travail, en 2017, ont néanmoins ouvert une brèche. En décidant de donner la primauté aux accords d'entreprise ou de branche, au détriment des négociations nationales, le Premier ministre, Édouard Philippe, a décidé une évolution radicale. Le signal envoyé aux partenaires sociaux est clair : le paritarisme de négociation doit se transformer. Et les partenaires sociaux doivent s'adapter. Au risque de disparaître ?

Illustration par la formation professionnelle

La réforme annoncée de la formation professionnelle illustre, elle aussi, cette volonté nouvelle de mettre les partenaires sociaux face à leurs responsabilités. Quitte à toucher aux tabous ou aux vaches sacrées. Les milliards de la formation professionnelle, contrôlés depuis l'origine par les partenaires sociaux, sans aucune volonté de l'État d'évaluer précisément l'efficience de ce dispositif, vont eux aussi subir une transformation. Tant mieux ! Le système imaginé revisite totalement le rôle des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), souvent décriés pour leur gestion peu transparente, des frais de gestion hors norme pour certains et une gestion des ressources humaines assez singulière.

Le texte de la loi Pénicaud permettra de remettre le salarié au cœur du dispositif de la formation. C'est une excellente nouvelle pour les 30 millions d'actifs et les 3 millions de chômeurs de notre pays. Mais, en attendant que la réforme soit votée, il pointe surtout du doigt l'absence de valeur ajoutée des partenaires sociaux dans la gestion de la formation professionnelle. Il y a là quelque chose de choquant. Ce dispositif, qui s'appuie sur de très nombreux organismes paritaires, aurait dû s'adapter à l'évolution de notre société, au lieu de maintenir les salariés dans le flou, d'exclure les chômeurs et d'autoriser des organismes bidons à proposer des séances de formation qui l'étaient tout autant.

La loi Delors de juillet 1971 avait instauré les fondements et les principes permettant le financement de la formation professionnelle ; mais elle a aussi permis la création du « marché de la formation ». Un marché fermé, développé et contrôlé par les partenaires sociaux ; un marché juteux qui permettait de financer, par des voies détournées, une partie du fonctionnement des syndicats de salariés et des organismes patronaux.

La loi Sapin, votée en 2014, a mis fin à ces dérives. Mais elle a accouché d'un système qui a continué à enrichir les partenaires sociaux. Le dernier, et très intéressant, rapport de la Cour des comptes sur le financement du patronat et des syndicats, paru en décembre 2017, réclame d'ailleurs des contrôles accrus, renforcés et « étendus à des flux d'argent qui échappent aux écrans radars » !

Le patronat doit montrer l'exemple

Il y a donc urgence. Urgence à réformer un système qui a montré ses limites. Urgence à mettre l'État devant ses responsabilités. Urgence à disposer de partenaires sociaux responsables et indépendants. De telles ambitions passent par une redéfinition précise du rôle de chacun, une remise à plat du paritarisme de gestion, une évolution du paritarisme de négociation et des garanties sur l'impossibilité de bloquer le pays dès qu'une réforme touche à des « acquis sociaux », acquis dont une immense majorité de salariés est aujourd'hui exclue.

Si les syndicats de salariés sont aujourd'hui surtout des représentants d'un certain corporatisme, les organisations patronales doivent, elles aussi, évoluer. En ce sens, le débat entre les candidats à la prestigieuse présidence du Medef doit être l'occasion de se pencher sur la responsabilité des organisations patronales. Car si le patronat se modernise, les syndicats de salariés seront contraints eux aussi d'évoluer et de moderniser leurs pratiques.

Faut-il abandonner le modèle paritaire, afin de sortir du culte de la négociation permanente et stérile ? Doit-on refuser la manne représentée par les subventions de l'État, afin de renforcer l'indépendance des mouvements patronaux ? Faut-il inventer un nouveau mode d'adhésion, plus souple et plus attractif ? Quels services le patronat peut-il proposer à ses adhérents afin de les inciter à s'intéresser et à participer aux débats ? Comment peser, de manière plus évidente, sur les grandes réformes gouvernementales ?

Dans de très nombreux pays, en Europe du Nord notamment, le paritarisme est un atout. Il permet un dialogue social de qualité et des avancées pour les salariés et les entreprises ainsi représentées. Il repose sur des piliers forts et respectés par tous les acteurs : indépendance financière, gestion responsabilisée des secteurs paritaires, transparence et volonté commune de tous les partenaires de développer l'emploi.

La France ne pourra pas demeurer le pays où l'on arrache la chemise d'un DRH au cours d'une négociation qui vire au combat de catch. Les gouvernants sont trop longtemps restés sourds face à ces difficultés, aveuglés par l'illusion des « deals sociaux ». Dans notre pays, on achète la paix sociale depuis des décennies. Mais on la paye à crédit. Il est temps de penser aux générations futures et d'inventer un nouveau modèle dans lequel des partenaires sociaux, responsables, représentatifs et indépendants, pourront permettre aux entreprises et aux salariés de rêver d'un monde paritaire meilleur.

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