Agnès VERDIER-MOLINIÉ

Directeur de la fondation iFRAP (www.ifrap.org).

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Refondre paritarisme et financement des organisations patronales et syndicales

Pour une réforme valable de l'organisation sociale française, il faut des données claires et des financements adaptés. Chèque syndical du côté salariés et adhésion aux organisations du côté patronal, avec des déductions fiscales, doivent être les deux seuls instruments. De tels changements seraient des bouleversements. Nécessaires, mais pas évidents à mettre en oeuvre.

La réforme du paritarisme et du financement syndical, à la fois patronal et salarial, est un sujet fondamental. On ne peut pas réformer la France si l'on ne réforme pas le paritarisme. Il s'agit d'une question directement liée à celle de la réforme de l'État. Car, finalement, l'État, c'est quoi ? 1 280 milliards d'euros de dépenses, parmi lesquelles 750 milliards d'euros de dépenses de protection sociale... dont 600 milliards d'euros environ sont cogérés de manière paritaire, avec du paritarisme plus ou moins pur. Premier problème : les structures, organismes sociaux et tous les mandataires qui siègent pour gérer tous ces milliards sont un peu « stockholmisés ». Et il est difficile pour la puissance publique de regarder à l'intérieur des comptes.

Opacité et omerta sur le paritarisme

L'opacité est telle qu'il est impossible aujourd'hui de connaître le nombre exact de mandats paritaires en France. On parle parfois d'environ 35 000 pour le patronat ; alors qu'il s'agirait plus vraisemblablement de 100 000 mandats d'après certains, 200 000 d'après d'autres insiders. Le coût tournerait autour de 400 euros par mandataire, toujours du côté patronal. Ces données, peu assurées, ne sont jamais publiées. Elle sont seulement murmurées à la va-vite dans les couloirs. Du côté du nombre d'adhérents, même problème : le chiffre de 700 000 adhérents au Medef était souvent évoqué. Aujourd'hui on parle plutôt de 124 000. L'ancien député Nicolas Perruchot connaît bien le problème de cette omerta. Il avait été chargé d'évaluer le coût du paritarisme. De la sorte, il avait alors pu faire une évaluation au niveau de la sécurité sociale, où le coût atteignait quelque 65 millions d'euros. La publication de son rapport, réalisé en 2011, a été empêchée et celui-ci a dû fuiter par la presse écrite. Six ans après, le sujet reste quasi tabou. Cela ne peut plus durer, les données du paritarisme doivent être publiées en toute transparence. Il faut, au regard des difficultés à faire bouger l'organisation sociale, savoir combien cela coûte à la France.

La fondation iFRAP a publié dernièrement des travaux sur les coûts de gestion de la protection sociale en France. Ceux-ci, y compris les frais financiers, représentent 42 milliards d'euros par an sur les 750 milliards d'euros de dépenses ! Notre système est, toutes choses égales par ailleurs, plus cher de 10 milliards d'euros par rapport à la moyenne de l'Union européenne, et de 6 milliards d'euros par rapport à la zone euro. Pourquoi ? Parce que l'on conserve des caisses primaires d'assurance maladie dans tous les départements, parce que l'on a le double étage assurance maladie de base - assurance complémentaire, parce que notre système de retraite compte encore 37 régimes différents, parce que jusqu'à récemment on comptait encore l'Agirc et l'Arrco, même si heureusement les partenaires sociaux ont décidé de les fusionner.

Un financement syndical et patronal obligé et élevé

Toute cette sédimentation nous coûte cher. Et les syndicats ont, depuis 2015, réussi à pérenniser leurs financements avec l'AGFPN, le fonds paritaire national. La loi du 5 mars 2014 a remplacé les financements des fédérations de branche ou des confédérations par la création d'un fonds paritaire de financement du dialogue social. Celui-ci se substitue au préciput de la formation professionnelle et aux chèques des organismes paritaires. Ce fonds est abondé par une contribution qui équivaut à 0,016 % des rémunérations incluses dans l'assiette de la Sécurité sociale. Elle est collectée par les Urssaf, qui les reversent à l'AGFPN, l'Association de gestion du fonds paritaire national. À cette contribution s'ajoute une subvention fixée par une convention État-Unédic du 29 avril 2015 de 32,60 millions d'euros.

Cette nouvelle taxe de 0,016 % est censée remplacer les anciens prélèvements, mais avec une astuce de taille : en cas de reprise de l'activité économique, les entreprises embaucheront et les recettes du fonds exploseront, au plus grand bénéfice des organisations syndicales et patronales ! Basé sur les salaires de l'année 2013, le financement prévoyait 73 millions d'euros. Entre 2013 et 2016, le gain pour la sphère paritaire a été une augmentation des moyens de 11 millions d'euros (dont 3 millions des entreprises et environ 8 millions de subvention de la part de l'État). La Cour des comptes, qui a fait ce calcul, explique qu'il y avait là une condition pour le bon passage de la réforme, tout en soutenant qu'il faut insister pour plus de transparence en échange.

Le financement du paritarisme est donc devenu une obligation pour les entreprises et ce, sans que les contreparties en matière de transparence ne soient encore respectées et sans obligation de service ou de bonne gestion pour les syndicats non plus. Le problème, c'est qu'en France on refuse la mission de service du paritarisme. La logique de « j'ai accès à un service » se situe derrière celle de « je verse une cotisation ».

Un système déséquilibré à réformer drastiquement par un chèque syndical...

Dans d'autres pays, quand l'employeur met 1 euro dans la machine sociale, le salarié met 1 euro. C'est beaucoup plus clair dans la tête de tout le monde. Le coût du modèle social est assumé de manière partagée et équilibrée. En France, c'est globalement 75 % pour l'employeur, 25 % pour l'employé. C'est encore pire maintenant, avec la CSG qui remplace les cotisations d'assurance chômage et d'assurance maladie du côté salarié. Ce déséquilibre des cotisations patronales et salariales est un risque sur le long terme. D'abord, on est dans la fiction, car qui raisonne en super brut ? Plus personne ! Dans les autres pays, il existe un équilibre beaucoup plus clair : 1 euro pour 1 euro. Chacun fait un effort de son côté pour financer sa retraite, sa couverture chômage et son assurance maladie.

Alors, comment changer le système, à la fois du côté patronal et du côté syndical ? Il serait souhaitable d'arriver à une suppression totale des financements paritaires et d'instaurer un chèque syndical utilisable pour les adhésions, avec une participation des employeurs d'au plus 50 euros par an. Le principe de lier le financement des syndicats aux adhérents était inscrit dans la loi d'habilitation pour les ordonnances « travail » en août 2017. Mais il ne s'est rien passé derrière. Pourquoi a-t-on perdu en route ce maillon de la chaîne sur les ordonnances ? On ne sait pas... Mais cela a dû peser dans les négociations avec les partenaires sociaux. En tout cas, le chèque syndical a malheureusement disparu des radars. L'idéal serait pourtant qu'un tel dispositif vienne remplacer tous les financements publics des organisations syndicales de salariés.

... et, pour le patronat, par un financement assis sur les seules adhésions

Du côté des syndicats patronaux, que peut-on prévoir ? D'aller aussi, comme cela est souhaitable pour les syndicats de salariés, vers un financement par les cotisations des membres. Ces cotisations pourraient être déductibles de l'impôt sur les sociétés. Elles sont déjà déductibles des charges, mais une déduction de l'IS est beaucoup plus incitative qu'une réduction d'assiette. Comme pour une fondation ou une association, le bénéfice du dispositif pourrait être plafonné à 0,5 % du chiffre d'affaires de l'entreprise.

L'idée tient du bon sens. Il faut simplement que les syndicats soient financés par leurs adhérents. C'est tout à fait possible, mais cela demande une véritable mobilisation des TPE et PME. Pour l'instant, l'adhésion est principalement le fait des grandes entreprises. La question se pose aussi des services apportés, en retour, par l'organisation syndicale. Il ne suffit plus de dire au chef d'entreprise d'adhérer à une organisation patronale parce qu'il y aura derrière du lobbying, de la négociation sur l'assurance chômage, etc. Il y a une demande supplémentaire en termes d'accompagnement, de conseil.

Cette refonte du financement de la représentation patronale posera aussi la question des modes de scrutin, du pouvoir des entreprises à l'intérieur de la gouvernance, du poids des territoires dans cette gouvernance. Il s'avère difficile de demander aux organisations patronales d'avoir des adhérents au niveau local pour être représentatives et de leur dire ensuite que leur vote compte très peu pour l'élection nationale du président... Une telle réforme du financement posera aussi énormément de questions au sujet des relations entre la branche professionnelle et la représentation patronale interprofessionnelle. Aujourd'hui, les services sont apportés au niveau des fédérations plutôt qu'au niveau de l'interprofession. Toutes ces questions sont potentiellement conflictuelles, inutile de le cacher...

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