Nicolas BARTHE

Fondateur et dirigeant du cabinet de stratégie d'influence Stan.

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Financement des organisations patronales : l'exception française

Alors que l'ensemble des mouvements patronaux interprofessionnels européens disposent de financements totalement privés, essentiellement fondés sur les cotisations volontaires, seul le modèle français repose sur un financement mêlant cotisations et fonds paritaires. Tour d'Europe.

Le modèle français

En France, le Fonds pour le financement du dialogue social, créé par la loi de 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et la démocratie sociale, est devenu la pierre angulaire du financement syndical, pour les organisations salariées, bien entendu, mais également pour les organisations patronales à des degrés divers.

Ce fonds a pour mission de contribuer au financement des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs pour leurs activités concourant au développement et à l'exercice de missions d'intérêt général. Géré par l'AGFPN (Association de gestion du fonds paritaire national), il est dirigé paritairement par les organisations patronales et syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel. Il attribue des financements autour de trois missions : 1) conception, gestion, animation et évaluation des politiques paritaires ; 2) formation économique, sociale et syndicale ; 3) participation à la conception, à la mise en œuvre et au suivi des politiques publiques.

Le fonds est alimenté, à 75 %, par une contribution obligatoire des employeurs (0,016 % de la masse salariale, recouvrée par l'Urssaf) et, à 25 %, par une subvention d'État.

En 2016, ce sont ainsi près de 123 millions d'euros qui ont été distribués au titre des trois missions, auprès de 286 organisations éligibles : 83 millions pour les organisations syndicales de salariés ; 40 millions pour les organisations patronales.

La dépendance financière de l'ensemble des organisations patronales et salariales à ce fonds est très importante, avec des disparités fortes. Le fonds AGFPN ayant sensiblement augmenté ces deux dernières années, sa part dans les budgets des organisations syndicales a globalement fait de même.

Le Medef dispose, de son côté, d'un budget de 41 millions d'euros en 2016, dont 59,5 % proviennent des cotisations des membres (contre 63,5 % en 2015), 38,4 % de produits d'organismes à gestion paritaire ou issus de conventions et accords nationaux (contre 34 % en 2015) et 2,1 % d'autres produits.

De son côté, la CPME ne se finance par ses cotisations qu'à hauteur de 44 % (chiffres 2016).

Cette situation est spécifique à la France.

Italie et Belgique : proches du modèle français, mais 100 % autofinancés !

De tous les patronats européens, c'est très certainement la Confindustria (Confédération générale de l'industrie italienne), en Italie, qui est le modèle le plus comparable avec le Medef, aussi bien dans ses missions, sa gouvernance, sa taille que son écosystème.

Deux cent vingt-quatre structures en sont membres, dont, notamment, 14 organisations régionales, 77 associations territoriales, 14 fédérations professionnelles et 90 associations sectorielles.

La Confindustria représente tous les secteurs, à l'exception des banques, des assurances et du commerce de détail. Au total, ce sont plus de 150 000 entreprises, regroupant plus de 5,5 millions de salariés en 2017.

Son budget annuel de 39 millions d'euros est comparable à celui du Medef, mais il repose sur des ressources 100 % privées : 34 millions proviennent des cotisations et 5 millions d'activités commerciales (formations, locations d'espaces, événements) et immobilières.

Les cotisations à la Confindustria proviennent exclusivement des fédérations professionnelles et des organisations territoriales. L'adhésion directe des entreprises est statutairement impossible.

Le principe de cotisation auprès de la Confindustria s'appuie sur un reversement de 9 % des cotisations perçues par les fédérations et de 6 % de celles perçues par les territoires. Ainsi, sur un total de 285 millions d'euros de cotisations perçues par les fédérations, 25 millions reviennent à la Confindustria, et, sur 160 millions provenant des territoires, quelque 9 millions reviennent à l'organisation.

Il faut souligner la totale transparence des cotisations, qui se matérialise par un recensement exhaustif dans une grande base de données du monde patronal, consolidée à partir de toutes les informations fournies par les organisations.

En Belgique, la FEB (Fédération des entreprises de Belgique) dispose d'un financement totalement privé assez classique. Son budget de 14 millions d'euros est assuré par des cotisations à hauteur de 12,5 millions et de revenus divers (exploitation de son centre de conférences, organisation d'événements, publicité sur ses différents supports) de l'ordre de 1,5 million.

La FEB regroupe environ 50 fédérations professionnelles et 3 organisations territoriales : UWE (Union wallonne des entreprises), VOKA (Union des entreprises flamandes) et BECI (plate-forme commune à la CCI de Bruxelles et à l'Union des entreprises de Bruxelles). Elle ne dispose en revanche d'aucune implantation territoriale et interdit toute adhésion directe d'entreprises.

Les cotisations des fédérations sont calculées sur la base de la valeur ajoutée du secteur : opération conduite chaque année expressément pour la FEB par la Banque nationale de Belgique.

Allemagne : un patronat bicéphale très organisé, au financement hiérarchisé

En Allemagne, le patronat interprofessionnel a deux têtes, le BDI (Fédération de l'industrie allemande) et la BDA (Confédération des associations d'employeurs allemandes).

Le BDI regroupe à la fois l'industrie et les services à l'industrie dans une dimension assez large. Il rassemble 41 fédérations industrielles et 100 000 entreprises pour environ 8 millions d'employés.

La BDA est une organisation multisectorielle d'employeurs (industrie, services, commerce, finance, transport, logistique, artisanat, agriculture). Elle rassemble 49 fédérations industrielles (dont celles du BDI) et 14 associations régionales, soit au total 1 million d'entreprises pour environ 24,5 millions d'employés.

Les deux systèmes d'adhésion et de cotisation sont totalement assis sur les fédérations professionnelles. Le réseau territorial de la BDA assure représentation et services de proximité, en étant financé par l'organisation nationale.

Ces deux organisations allemandes sont très discrètes quant à leurs données budgétaires. On peut néanmoins estimer les budgets annuels respectifs à 40 millions d'euros pour le BDI et 25 millions pour la BDA. Ces budgets sont financés à 100 % par le privé, dont 96 % par les cotisations (calculées sur deux critères : nombre d'emplois et valeur ajoutée de la branche), le solde étant issu de ressources complémentaires directes telles que les partenariats sur les manifestations, l'exploitation de salles de conférences, etc.

Danemark : une interprofession puissante financée directement par les entreprises

Au Danemark, la représentation patronale est également bicéphale, avec DI (Confédération de l'industrie danoise) et DA (Confédération des employeurs danois).

DI recouvre l'industrie au sens large avec notamment le BTP, l'automobile, l'énergie, la métallurgie, l'industrie alimentaire, les télécommunications, l'informatique, l'électronique et l'industrie du bois. DA est « l'organisation ombrelle » qui rassemble 13 organisations, dont DI, qui y est majoritaire, aux côtés des autres services et du commerce. L'imbrication est beaucoup plus forte qu'en Allemagne, pour ne pas dire fusionnelle, avec une gouvernance croisée des deux organisations, une même direction générale et une même stratégie déployée.

Le modèle de financement danois est véritablement spécifique. Il impressionne par sa performance et par l'ampleur des moyens dégagés dans ce pays de moins de 6 millions d'habitants. Le budget annuel de DI-DA est de l'ordre de 130 millions d'euros. Entièrement privé depuis toujours, ce budget est à 92 % assuré par les cotisations, complétées de prestations aux entreprises, notamment par des missions d'accompagnement au développement à l'international et de l'événementiel.

Le modèle de cotisation est totalement inversé par rapport à ce que l'on trouve dans les autres pays européens. Les entreprises adhèrent en effet toutes en direct à DI ou DA selon leur secteur d'activité. DI-DA recouvrent donc directement les fonds. Les fédérations membres n'appellent pas de leur côté de cotisations et sont financées par une quote-part reversée par DI-DA.

Ce sont, au total, plus de 10 000 entreprises représentant 1,2 million de salariés (dont la moitié à l'étranger) qui cotisent en direct. Elles sont affectées, d'une part, auprès de l'une des 100 fédérations industrielles et sectorielles d'employeurs, membres du réseau, et, d'autre part, à l'un des 18 bureaux régionaux.

Concrètement, les cotisations des entreprises sont assises sur une règle de calcul de 0,25 % de la masse salariale. Les fédérations professionnelles bénéficient, pour chacune des entreprises les concernant, d'un reversement de l'ordre de 150 euros par salarié de l'entreprise adhérente. Le budget de fonctionnement des territoires est quant à lui directement rattaché au budget national.
DI-DA et ses fédérations membres (représentant une force de plus de 600 collaborateurs) sont regroupées dans une cité de l'entreprise, un bâtiment moderne impressionnant, architecturalement emblématique.

Ces moyens financiers très importants du patronat danois ont permis de financer le siège de l'organisation européenne Business Europe. Le patronat danois a également financé la création et assure désormais le fonctionnement de 10 bureaux à l'étranger : Bruxelles, Brésil, Russie, Inde, Chine, États-Unis, Tanzanie, Jordanie, Mexique et Émirats arabes unis, avec au total une centaine de collaborateurs.

Royaume-Uni : le patronat financé à 100 % par les entreprises.

Au Royaume-Uni, la CBI (Confédération de l'industrie britannique) assoit également son modèle de financement sur des ressources directement reçues des entreprises.

Sur un budget annuel de l'ordre de 27 millions d'euros, entièrement issu du privé, les cotisations représentent 22,5 millions et les activités commerciales (conférences, dîners, ateliers, formations, etc.), 4,5 millions.

Les cotisations sont assurées, à 10 % du total, par les 145 fédérations professionnelles et par les entreprises, à 90 %. Si la CBI dispose d'un réseau territorial de 12 agences, celui-ci n'appelle aucune cotisation et est financé par l'organisation centrale.
Seulement 1 600 entreprises adhèrent en direct à la CBI. Celle-ci a fait le choix stratégique d'axer son marché de référence uniquement sur les 20 000 entreprises de plus de 50 salariés du pays. La CBI revendique un taux d'adhésion de 64 % des grandes entreprises (plus de 1 000 collaborateurs).

Les cotisations des entreprises sont calculées sur la base de la valeur ajoutée déclarée et vont de 650 livres (environ 800 euros) à 100 000 livres (environ 113 000 euros), auxquelles il faut ajouter les services proposés à la carte : réunions de réseaux, formations, dîners, conseil, lobbying, etc.

La CBI est, de fait, un patronat très « business », de type commercial, avec une offre envers ses adhérents performante. Il se targue d'un taux de fidélisation très élevé, de l'ordre de 95 % d'une année sur l'autre.

Espagne : fin des financements paritaires sur fond de scandale financier, un patronat en reconstruction

En Espagne, la CEOE (Confédération espagnole des organisations patronales) est une organisation récente, dont la création, en 1977, a été rendue possible après la fin de la dictature. Elle s'est fondée sur un financement public-privé, la nouvelle démocratie espagnole ayant alors besoin de reconstituer rapidement ses corps intermédiaires. La CEOE a été ainsi conduite à fédérer quelque 130 fédérations professionnelles et 50 structures territoriales.

La ressource publique, aussi bien pour les syndicats patronaux que salariés, s'organise alors autour d'un financement issu des fonds de la formation professionnelle, qui prend son modèle en France. En 2010, sur un budget de près de 23 millions d'euros pour la CEOE, 30 % des financements provenaient de ces fonds, 55 % des fédérations professionnelles et 15 % des organisations territoriales.

Un scandale financier éclate alors, avec la mise au jour de détournements de fonds opérés au sein même de l'institution par le président en place. L'enquête aura un énorme retentissement dans les médias et l'opinion publique. L'affaire conduira le gouvernement à accélérer la réforme de la formation professionnelle et le système de financement des organisations patronales et salariales.

Un nouveau président prend les commandes de l'organisation, avec un programme clair et radical. Il demande officiellement au gouvernement à ne plus bénéficier des fonds d'État et des différents préciputs, avec effet immédiat. Il engage une restructuration, ramenant le nombre de collaborateurs de 150 à 90, avec un changement total de l'équipe de direction.

Depuis 2011, la CEOE revendique ainsi un financement 100 % privé, pour un budget ramené aujourd'hui à 15 millions d'euros, provenant des fédérations professionnelles (60 %), des organisations territoriales (20 %) et des entreprises (20 %). Les fédérations les plus contributrices sont celles de l'industrie, de la banque, de la construction et de l'énergie.

Pour faire face à ses besoins budgétaires, la CEOE a choisi l'option de l'adhésion directe des entreprises. Les cotisations s'appuient sur un barème assis sur le nombre de salariés et le chiffre d'affaires, mais le montant final est souvent négocié en fonction des services fournis.

Les adhérents directs ne disposent d'aucun droit de vote dans les différentes assemblées de la CEOE. Ceux-ci sont répartis entre les fédérations et les territoires, sur le seul critère du poids financier des cotisations de chacune des organisations adhérentes.

La part des cotisations directes des entreprises va encore sensiblement augmenter à l'avenir, à la fois pour faire face aux besoins croissants de la CEOE et à la diminution programmée des contributions territoriales. Le réseau est en effet très fragile, voire en péril, car il demeure très dépendant des subventions régionales et locales, elles-mêmes en baisse.

Conclusion : l'exception française

Que ce soit par des cotisations collectées en direct ou via les fédérations professionnelles, complétées par des services plus ou moins importants, tous ces patronats se financent par des contributions volontaires des entreprises. Reste donc l'exception française...

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2018-6/financement-des-organisations-patronales-l-exception-francaise.html?item_id=3644
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