Carole COUVERT

Vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental (CESE), présidente d'honneur de la CFE-CGC.

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Une priorité : clarifier le rôle des partenaires sociaux

La réforme du financement des organisations syndicales et professionnelles est bien moins prioritaire que la révision de leurs prérogatives et missions. Mieux reconnaître et soutenir l'apport du militantisme au service du collectif, notamment dans le cadre d'un syndicalisme d'adhésion, doit être un préalable à tout changement d'ordre technique.

Un financement est toujours au service d'un projet, d'une mission. Cela est encore plus vrai lorsqu'il s'agit de financements publics, pour l'utilisation desquels les contribuables, que nous sommes chacune et chacun, sont en droit de demander des comptes. Donc, avant de revoir les règles de financement du paritarisme, et, par ricochet, du dialogue social et des partenaires sociaux en France, faut-il commencer par clarifier le rôle et les missions qui leur sont confiés. Ce n'est qu'une fois cette clarification opérée qu'il sera possible de parler de révision des règles de financement. Car la question essentielle est : un financement pour faire quoi et au service de qui ?

Des règles de financement qui ont déjà évolué, mais un blason qui reste à redorer

Il ne faut pas oublier que les règles ont déjà évolué en la matière. En effet, la loi du 20 août 2008 est venue clarifier les règles de représentativité et mettre davantage de transparence en matière de financement. Ainsi, depuis 2008, les comptes des différentes confédérations syndicales, qu'elles soient patronales ou représentant les salariés, doivent être certifiés par des commissaires aux comptes et publiés sur le site Internet Journal-officiel.gouv.fr. Un décret du 28 décembre 2009 en précise les modalités, en fonction du niveau de ressources des organisations syndicales et professionnelles. Ces comptes sont publics, tout le monde peut donc y accéder en toute liberté, gratuitement. Depuis la loi de 2008, et avec les différents décrets d'application, la transparence financière est devenue un critère à part entière de la représentativité. Ce qui signifie que toute anomalie constatée peut faire perdre sa représentativité à l'ensemble d'une organisation.

Au-delà des questions techniques de financement, il est urgent de redorer le blason du dialogue social. En effet, les partenaires sociaux, qu'ils représentent le patronat ou les salariés, sont des corps intermédiaires constitués qui défendent les intérêts de leurs adhérents. À cet effet, ils sont organisés et structurés sur l'ensemble du territoire, y compris outre-mer. En cas de difficulté, il y a un interlocuteur clairement identifié afin d'essayer de dialoguer et de trouver une solution acceptable par les deux parties. Dans une période de montée du populisme et de la démagogie, ces corps intermédiaires constitués représentent donc l'un des derniers remparts contre l'anarchie. Il est urgent, dans ce contexte, de redonner toutes ses lettres de noblesse au dialogue social, en commençant par sortir des clichés autour d'un syndicalisme qui se résumerait à des blocages ou des manifestations.

Mieux connaître le monde syndical

Comme en politique, l'offre syndicale est plurielle. Il existe des syndicats dits réformistes, c'est-à-dire ayant la volonté et la capacité de prendre en compte tant l'intérêt de l'entreprise que celui des salariés qu'ils représentent. Il y a urgence à faire davantage connaître ce courant dans les médias, mais aussi à l'enseigner à nos jeunes, qui trop souvent ne découvrent le syndicalisme qu'à l'occasion d'accidents dans leur parcours professionnel.

Le syndicalisme français s'est construit à la fin du XIXe siècle et s'est structuré au sortir de la guerre. Aujourd'hui, il appartient aux partenaires sociaux, patronaux ou représentant les salariés, de mener eux-mêmes cette réflexion sur ce que doivent être le syndicalisme et le dialogue social du XXIe siècle. Cette réflexion nécessite du courage de la part des dirigeants syndicaux, afin qu'ils soient eux-mêmes à l'origine de l'évolution du mouvement syndical français et qu'elle ne leur soit pas imposée par un gouvernement, quelle que soit sa couleur.

Il est également urgent de revoir le rôle et les missions qui sont confiés aux partenaires sociaux afin de coller aux aspirations des plus jeunes. C'est la condition sine qua non pour éviter qu'arrive dans la sphère syndicale ce qui s'est passé en politique lors de la dernière élection présidentielle, avec l'explosion des modèles historiques.

Élections professionnelles et adhésions personnelles : deux critères

Aujourd'hui certains parlent de faiblesse du mouvement syndical compte tenu du faible taux d'adhérents. Ces personnes oublient un détail de poids. Lors de la révision des règles de la représentativité en 2008, le législateur a fait le choix du critère électif pour mesurer la représentativité de chaque organisation. Il n'a pas fait le choix du nombre d'adhérents mais bien celui du résultat aux élections professionnelles. C'est donc ce dernier critère qui permet de mesurer l'audience de chaque syndicat dans les entreprises, branches professionnelles et au niveau interprofessionnel.

Dans ces conditions, si demain les règles de financement venaient à être modifiées, il serait alors primordial de redonner du poids à l'adhésion syndicale en France. En effet, une personne adhère aujourd'hui à une organisation syndicale parce qu'elle a des valeurs, des convictions, parce qu'elle a envie de faire bouger les lignes dans son entreprise et, parfois, parce qu'elle est confrontée à une difficulté dans son parcours professionnel. Mais tous les salariés bénéficient de ce que les partenaires sociaux négocient, qu'ils soient adhérents ou non à une organisation syndicale. C'est ce dernier aspect qu'il est important de changer avant toute modification des règles de financement.

Un syndicalisme d'adhésion au service du collectif

Il existe deux possibilités pour renforcer les adhésions. La première consiste à rendre obligatoire l'adhésion à une organisation syndicale. Une telle option nécessiterait une modification de la Constitution, qui prévoit de façon explicite « la liberté d'adhérer ou non à une organisation syndicale ». Et cela ne colle pas à la culture française. La deuxième, compatible avec la Constitution, serait de réserver le bénéfice de la négociation collective aux seuls adhérents des organisations syndicales, qu'elles soient signataires ou non de l'accord. Cette deuxième proposition a de nombreuses vertus. Tout d'abord, elle inciterait les salariés à s'intéresser davantage aux négociations dans leurs entreprises. Elle contribuerait à augmenter la responsabilité pesant sur les épaules des négociateurs, qui auraient ainsi davantage de comptes à rendre. Il s'agit là d'un syndicalisme d'adhésion.

Augmenter le taux d'adhésion à des organisations syndicales, c'est amorcer une spirale vertueuse, celle de l'engagement et de l'implication dans la vie de son entreprise, celle également de la responsabilité des partenaires sociaux et plus particulièrement des négociateurs.

Si une personne s'intéresse davantage à la vie et au fonctionnement de son entreprise, peut-être aura-t-elle également une plus grande sensibilité à la vie de la Cité, au sens historique du terme, c'est-à-dire à la politique. Renforcer l'adhésion syndicale, c'est finalement redonner envie de s'impliquer et de s'engager pour le collectif au sens noble.

Cette clarification du rôle et des missions des partenaires sociaux, préalable à toute évolution des règles de financement, va nécessiter du courage de la part des dirigeants syndicaux. En effet, le changement fait souvent peur. Les leaders vont devoir faire oeuvre de pédagogie et lutter contre toutes les résistances au changement. C'est pour cela qu'ils doivent être à l'origine de ces évolutions, et non les subir.

Mieux reconnaître l'importance et l'apport des militants syndicaux

Le dialogue social est avant tout une question de femmes et d'hommes. Pour avoir un dialogue social de qualité, il faut des femmes et des hommes engagés et motivés. En parallèle à la clarification du rôle et des missions des partenaires sociaux, et toujours avant toute révision des règles de financement, se profile un autre chantier prioritaire : celui de la reconnaissance des acteurs du dialogue social.

Actuellement, dans les meilleurs accords de droits syndicaux, les militants sont reconnus à la moyenne de leur catégorie. Cela n'est plus acceptable. Si nous voulons des femmes et des hommes engagés et motivés, si nous voulons voir arriver de jeunes militants, il doit être enfin admis de les reconnaître individuellement en fonction des compétences qu'ils acquièrent durant leur mandat.

Aujourd'hui militer, s'engager dans une organisation syndicale, c'est un acte et un engagement citoyens au service du collectif. C'est même souvent un véritable sacerdoce !

Pour attirer les meilleurs militants, ces derniers doivent donc acquérir la juste reconnaissance de leur implication. C'est également à cette condition que le militantisme syndical pourra devenir un temps normal du parcours d'un salarié, quel que soit son niveau dans l'entreprise, y compris pour des salariés de l'encadrement ou des cadres dirigeants.

En résumé, avant tout changement dans les règles de financement, trois chantiers prioritaires doivent être traités :

  1. Clarifier le rôle et les missions confiées aux partenaires sociaux et redonner, dans ce cadre, du poids et de l'intérêt à l'adhésion syndicale.
  2. Faire de la pédagogie autour de leurs nouveaux rôles, afin qu'ils soient connus du plus grand nombre, y compris de nos étudiants. Un tour de France du dialogue social pourrait ainsi être envisagé.
  3. Reconnaître les femmes et les hommes qui s'engagent, notamment en préparant leur reconversion, afin qu'ils remettent au service de l'entreprise tout ce qu'ils ont appris dans leurs fonctions syndicales.

C'est à ces conditions seulement qu'il sera possible d'envisager une révision des mécanismes de financement du dialogue social et des partenaires sociaux en France.

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