Jean-Claude VOLOT

PDG de Dedienne Aérospace, ancien vice-président du Medef, ancien président de l'AGFPN.

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Pour l'autonomie patronale

Un monde patronal faible et éclaté est aujourd'hui contraint de financer le paritarisme par une contribution de 0,016 % de la masse salariale privée. C'est une mauvaise solution. La représentation patronale doit viser l'autonomie financière.

Le financement du paritarisme est une affaire sérieuse. Et les solutions dégagées jusqu'à aujourd'hui ne sauraient pleinement contenter ceux qui aspirent à l'indépendance et à la clarté.'idée de créer un fonds de financement pour le dialogue social était évoquée depuis longtemps. Le dispositif est né en 2014, avec un fonds dirigé paritairement par les organisations patronales et les organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel. Il est constitué sous la forme d'une association nommée Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN).'ensemble ne peut que susciter des réserves sur les principes, voire de la franche opposition dans les perspectives.

Un risque de tutelle politique et de dérives budgétaires

Sur le plan des principes, les organisations patronales n'ont pas à être financées de la sorte. Il faut se souvenir de la manière dont les politiques ont mis la main sur les chambres de commerce. Celles-ci, qui étaient d'essence entrepreneuriale, sont progressivement devenues un outil public, un instrument d'abord au service des politiques publiques et non plus des entreprises. C'est exactement la même chose qui va se passer avec le système construit autour des fonds paritaires. Car le rêve du politique, qu'il soit de gauche, de droite ou du centre, est de tout contrôler, surtout ce qu'il ne maîtrise pas, même s'il n'a ni compétence ni responsabilité pour cela !

La dérive a d'ailleurs débuté dès la création de l'AGFPN, qui a rapidement vu grossir ses dépenses et ses perspectives de coûts. Par exemple, lors du débat sur les ordonnances, un problème se posait, celui du remboursement des notes de frais des dirigeants syndicaux participant aux négociations collectives et venant des entreprises de moins de 50 personnes.a solution est venue du nouveau « machin » et l'on a dit : « Un seul guichet : l'AGFPN ! » La jeune institution, devenant un prestataire de services, est en phase de cristallisation. Le risque - élevé - est de voir cette structure s'étendre et s'épaissir, embauchant des salariés, dépensant en fonctionnement plus qu'en services utiles, avec une efficience qui ira décroissante. Et un niveau d'inefficacité qui, d'ici quelques années, pourrait être important. Aujourd'hui, la structure est efficace, car avec peu de gens, elle réussit à faire un énorme travail. Mais il est très probable que les choses changeront, dans le mauvais sens hélas...

Une contribution patronale à la légitimité très discutable

Concrètement et pratiquement, l'AGFPN repose principalement sur une cotisation patronale de 0,016 %.'AGFPN capte donc une contribution des employeurs, prélevée sur l'ensemble des salaires du secteur privé. Première question, parmi tant d'autres, pourquoi le secteur public ne vient-il pas participer à l'opération ? L'argent du secteur privé transitant par l'AGFPN ne sert-il pas à faire fonctionner aussi le secteur public syndical ? Il faut poser ce type de question. Il faut également dire combien les courroies de financement du paritarisme peuvent dysfonctionner.

Or, le monde patronal est faible. Face, notamment, aux importants problèmes et défis du paritarisme, la représentation patronale n'est pas capable de s'assumer. C'est pourtant un monde efficace et dur de business plans, de comptes d'exploitation prévisionnels, de trésoreries à respecter et de quantité d'autres obligations. Mais ces exigences vécues et respectées dans les entreprises, la partie patronale, malgré des déclarations d'intention, ne les applique pas quand il s'agit de gestion des organismes paritaires.

Des perspectives inquiétantes

La loi sur la représentativité, qui est, au demeurant, une bonne chose, a montré qu'il y avait 800 organisations patronales représentatives, dont on pouvait mesurer le poids et qui pouvaient prétendre à un financement lié au paritarisme. On a essayé d'en réduire le nombre à 500. Dans ce contexte de dispersion, l'AGFPN, que nous avons essayé de tenir pour qu'elle coûte le moins possible avec peu d'effectifs, risque l'explosion. Car il s'agira de gérer de nombreux petits comptes, avec de nécessaires vérifications récurrentes.

Autre sujet, la collecte : on a commencé avec une prévision de 73 millions d'euros ; en 2016 on était déjà à plus de 90 millions d'euros ! Le système, comme d'ailleurs tout mécanisme assis sur un prélèvement de ce type, s'avère inflationniste. Il le sera encore plus demain. En raison de la diminution du chômage et de la reprise de l'emploi, les ressources tirées du 0,016 % vont croître. Croyez-vous pourtant que l'on va corriger le 0,016 % en 0,015, 0,014 ou 0,013 % ? Rien n'est moins certain. Il va donc falloir que le monde patronal négocie durement la baisse du 0,016 %.

Solidarité et autonomie patronales

Le mal est là... Maintenant, il faut le gérer dans la perspective d'une moindre charge des entreprises. À cet effet, il faudrait que les différentes composantes du patronat soient davantage solidaires pour mieux contrôler le montant de la contribution, la collecte et l'attribution des fonds.

Ces sujets d'autonomie et de solidarité patronales sont importants. Pourquoi certains fédérations professionnelles peuvent-elle se passer du financement de l'AGFPN ? C'est le cas de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) comme du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas). Cette autonomie est rendue possible car, au Gifas, nous demandons une cotisation qui correspond à la prestation que nous assurons à nos adhérents. Et nos adhérents ne discutent pas la cotisation. Dans ces conditions nous n'avons pas besoin de l'AGFPN, que pourtant nous finançons.

Il faut avoir à l'esprit quelques ordres de grandeur simples sur ce que coûte une adhésion patronale à une ETI française de 300 personnes sur le territoire national.'adhésion au Medef, c'est environ 50 euros par salarié, au Gifas, environ 90 euros, et pour l'AGFPN, environ 10 euros. Cela veut dire que, pour avoir une couverture syndicale patronale correcte, il faut verser environ 150 euros par salarié. Pour les PME de 50 personnes, on retrouve sensiblement les mêmes chiffres, car la solidarité interentreprises permet d'étaler le coût par salarié. À côté de cela, le Gifas assure des prestations de services aux entreprises qui leur sont facturées.

Penchons-nous sur le niveau confédéral et ses déclinaisons territoriales. Il importe que ces structures vivent de et par leurs adhérents. Certaines antennes locales du Medef sont moribondes. Elles ne font rien pour aller chercher des adhérents afin de se développer. D'autres sections du Medef sont extraordinaires, avec un vrai travail vers les entrepreneurs, les aidant, les conseillant, les renseignant tous les jours.

Globalement, ce qu'il faut viser, c'est notre autonomie, avec une solidarité entre métiers. Au Medef, il y a 80 fédérations. Certaines sont miséreuses pour des raisons historiques. Les métiers de la céramique par exemple, en voie de disparition, peuvent nécessiter une solidarité patronale. Des fédérations plus favorisées, comme le Gifas, peuvent y concourir.

Du côté des organisations de salariés, il importe que nous puissions en dire quelques mots, même si nous n'avons évidemment pas la légitimité pour faire des propositions en leur nom. Je note simplement, personnellement, qu'elles ont des moyens.a CGT dispose d'environ 1 milliard d'euros d'excédents ; la CFDT, d'une bagatelle de 600 millions d'euros. Avec de telles réserves, une contribution patronale n'a évidemment aucun sens.

Certes, c'est aux organisations de salariés de se réformer et de proposer pour elles-mêmes. Du côté patronal le maître mot doit être celui d'autonomie. J'espère, à cet égard, que le nouveau président du Medef sera bien inspiré, en créant une commission sur l'autonomie des organisations patronales.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2018-6/pour-l-autonomie-patronale.html?item_id=3649
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