Financement du syndicalisme : un enjeu démocratique
Patronat et syndicats doivent évoluer. Leur financement ne doit plus procéder de la machinerie paritaire, elle-même à réformer. Il doit reposer sur les contributions des adhérents, afin de fournir les services attendus et de rehausser image et qualité des corps intermédiaires.
Il est important de s'interroger, au Medef, sur nos principales responsabilités, notamment celles relatives au paritarisme. À ce sujet, la question du financement du syndicalisme, qu'il soit de salariés ou patronal, revient en boucle. C'est en tant que tel un enjeu fondamental. Elle doit cependant être abordée dans sa globalité, c'est-à-dire en examinant de front le financement des partenaires sociaux et des organismes paritaires.
Car, dans les critiques récurrentes sur le financement des syndicats patronaux ou de salariés, les fonds paritaires sont souvent cités comme étant la preuve d'un syndicalisme sous perfusion de fonds publics.
Des progrès de transparence, qui restent insuffisants
Mais de quoi parle-t-on quand on évoque ces fonds paritaires ? Il s'agit essentiellement de fonds qui sont versés par des organismes paritaires aux acteurs du paritarisme que sont les fédérations professionnelles, les organisations interprofessionnelles (Medef, CPME et U2P), les organisations syndicales, « pour leurs activités concourant au développement et à l'exercice de missions d'intérêt général ». Depuis la loi de 2014, ces fonds passent désormais essentiellement par un organisme (AGFPN) qui est contrôlé régulièrement, ce qui présente l'avantage de la transparence. Dans le cas du Medef, ces fonds paritaires représentent environ 30 % de son budget global. Ils ont servi, ces dernières années, à financer des actions essentiellement en lien avec l'apprentissage et la formation professionnelle, notamment des actions de communication, et un réseau de spécialistes dans les régions.
La loi de 2014 a donc permis de faire progresser la transparence dans les financements : on sait désormais qui touche combien.a situation est-elle pour autant satisfaisante ? Comme tout entrepreneur, on répond sans hésiter non. Car on peut formuler au moins deux critiques majeures à ce système.
Tout d'abord, la portée très générale des activités finançables par ces fonds concourt à une impression de mélange des genres tenace et malsaine. S'agit-il d'activités réellement dédiées à ces actions générales ou est-ce le financement du fonctionnement normal ? La course à la représentativité à laquelle on a assisté ces dernières années est en partie liée à la possibilité pour toute organisation représentative de percevoir une partie de ces fonds en fonction de son nombre d'adhérents.a stratégie institutionnelle est alors claire : on propose des adhésions pas chères afin de recruter des adhérents et on finance la structure et les services avec ces fonds. On est, dans cette logique, bien loin d'une dynamique vertueuse de recrutement d'adhérents qui cotisent à la hauteur de ce qu'ils attendent.
Le principe même d'un financement spécifique « automatique » dédié à des opérations générales ne pousse pas à l'excellence. C'est un phénomène bien connu et très humain.a récurrence annuelle de ce financement, décorrélée de la pertinence et de l'efficience des actions financées, n'incite pas à une utilisation optimisée des fonds. On peut donc observer dans nos organisations des démarches souvent intéressantes, mais parfois incomplètement optimisées ou négociées. On essaie d'agir de manière intelligente et pertinente, mais on se retrouve dans la situation de « faire tourner les camions » pour éviter le risque de voir les financements disparaître l'année suivante. Ce n'est ni satisfaisant, ni pertinent.
Alors, que faire ?
Il faut, tout d'abord, poser un principe ferme : le financement des syndicats, qu'ils soient patronaux ou de salariés, doit relever exclusivement d'une adhésion volontaire et d'une offre de services claire. Aujourd'hui, on en est loin ! Et si on ne l'affirme pas nettement, nous n'y arriverons jamais.
Cette évolution doit se faire nécessairement de manière progressive, mais il me semble que l'on peut avancer rapidement de manière pragmatique, en deux étapes.
D'abord, en revoyant le cadre du paritarisme. Devons-nous rester dans tous les organismes paritaires qui génèrent tant de frais de gestion et justifient le versement de ces fonds ? C'est la première question à se poser. Quel rôle ont les partenaires sociaux ? Sont-ils encore en responsabilité et décisionnaires ou ne sont-ils là que pour valider des décisions prises ailleurs ? Trop de nos outils paritaires ont été distordus dans le temps, par exemple du fait de l'interventionnisme de l'État, et nous ne faisons plus que siéger sans apport important.a revue critique des organismes qui relèvent encore du paritarisme apparaît donc comme le premier travail indispensable. De cette revue découlera l'ampleur du financement paritaire à maintenir pour nos organisations syndicales. À titre d'exemple, on peut se demander aujourd'hui si, au vu des projets et des perspectives gouvernementales dans ce domaine, le maintien d'une gouvernance pseudo-paritaire dans l'assurance chômage fait encore sens. Le strapontin sur lequel le gouvernement nous a assis est à la fois inconfortable et exposé à la vindicte de nos compatriotes. Et on ne voit même pas bien le film !
Ensuite, en créant les conditions nécessaires pour développer des services pertinents aux adhérents actuels et futurs, qu'ils soient salariés ou patronaux. Pour les organisations patronales, cela passe évidemment par des branches plus fortes, mieux structurées et sachant se positionner sur des sujets économiques clés et de transformation pour leurs adhérents. Parmi ces sujets, on peut citer l'international et l'exportation, les mutations économiques en cours, le financement, le management, les besoins en compétences, etc. Les branches ne seront fortes que si elles se placent dans une démarche de conquête et d'accompagnement au développement de leurs adhérents. Et cette dynamique doit se faire d'abord autour des sujets économiques qu'elles ont négligés depuis trop longtemps.a démarche de regroupement des branches a été lancée il y a un petit moment maintenant. Mais elle est encore trop lente et devrait être accélérée. Nous avons besoin d'objectifs plus ambitieux, tant il est vrai qu'aucune organisation n'a naturellement envie de fusionner avec une autre. Cette question du regroupement pourrait se poser aussi (pourquoi ne serait-ce pas le cas ?) pour les organisations interprofessionnelles. Est-il encore pertinent d'avoir trois organisations nationales (Medef, CPME et U2P) dont 90 % des sujets traités sont objectivement les mêmes ? Les entreprises ne sont-elles pas en droit de demander d'économiser des ressources et des compétences, tout en améliorant le service aux adhérents ? Cette fragmentation est source de fragilité et de coûts et génère ce recours aux financements paritaires ou publics.
Des questions similaires pour les syndicats de salariés
Pour les organisations de salariés, la question est la même : on cite souvent le dynamisme des syndicats allemands, mais il faut se rappeler qu'il n'existe en Allemagne qu'un seul syndicat par grand secteur d'activité économique. On en est loin en France, où nos cinq syndicats de salariés sont en compétition dans l'ensemble des champs professionnels, ce qui limite leur capacité à peser réellement. À cet égard, on nous oppose souvent que, en ce qui concerne les organisations de salariés, on ne peut exiger d'elles qu'elles soient financées uniquement par leurs adhésions. Certains évoquent des idées de financement par le biais de chèques syndicaux distribués à tous les salariés par les entreprises. Tout cela ne me semble pas pertinent. Je crois qu'il faut désormais éviter tout financement « automatique » de notre syndicalisme, qu'il soit patronal ou de salariés.
Un sujet fondamental, qui n'est pas uniquement technique
Voilà quelques pistes d'action sur l'évolution possible du financement du paritarisme et donc sur l'exercice du syndicalisme. Ce débat est nécessaire et pertinent et je félicite la Fédération Française du Bâtiment de l'avoir posé avec cette acuité. Il appartiendra à la prochaine équipe élue à la tête du Medef de discuter de ces évolutions avec les adhérents, puis de les mettre en œuvre. Contrairement à ce que pensent certains, ce n'est pas un sujet technique : c'est un débat de fond qui touche à l'essence de notre démocratie sociale.
À l'heure où les corps intermédiaires sont critiqués et en partie démonétisés, il est crucial que leur financement soit débattu pour renforcer encore les démarches de transparence, d'éthique et d'efficience. Il en va de leur crédibilité. Et donc de leur pérennité.
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