© Bruno Lévy

Alain MAUGARD

est président de Qualibat.

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Offrir des services et des performances énergétiques

Le bâtiment est en passe de changer de statut : d’abri fonctionnel, il devient producteur de services. Il est également le théâtre d’innovations technologiques pour faire face aux enjeux environnementaux. La mutation a commencé… Sur quoi débouchera-t-elle dans vingt ans ?

Dans les vingt prochaines années, l’habitat, le bâtiment, seront de plus en plus au service de l’occupant, un peu comme la voiture est au service de l’automobiliste. Le bâtiment évoluera avec l’homme, s’adaptant à ses modes de vie, ses handicaps éventuels, aux événements de sa vie… Outre les services à domicile (travail, sécurité, communication…), il deviendra producteur de services, en termes d’énergie, d’adaptabilité et de santé.

Au-delà de la protection qu’il procure, le bâtiment sera « producteur de santé ». Il pourra devenir une sorte de laboratoire d’analyses du corps humain. En France, des laboratoires travaillent sur un habitat médicalisé, destiné à maintenir à domicile des personnes âgées fragilisées tout en assurant un suivi médical. Les murs sont équipés de détecteurs et de micros. On peut aussi imaginer de faire évoluer le bâtiment de manière à ce que les revêtements de sols, de murs, de plafonds, fassent barrière à la prolifération des bactéries et des champignons. On pourra assainir l’air, le rendre propre, tout comme on rend l’eau potable. D’où des innovations nécessaires dans la constitution des matériaux, la circulation de l’air et son assainissement.

Imaginons également le bâtiment comme un producteur d’adaptabilité. Les désirs de l’homme évoluent : il souhaite modifier les volumes, les usages… Le bâtiment devra être « souple », ce qui influencera la structure : on pourra modifier les cloisonnements, reconfigurer la façade. Et, pourquoi pas, grâce à une ossature modulable, changer la configuration.

Restent les services en termes d’énergie, dont les enjeux sont majeurs. L’accroissement de l’effet de serre risque d’atteindre des seuils aux conséquences irréversibles. D’ici à 2050, nous devrons diviser par quatre les consommations énergétiques. Il faut savoir que le bâtiment consomme environ 43 % de l’énergie totale et qu’il produit un quart des émissions de gaz à effet de serre. Or, certains bâtiments récents affichent une certaine « désinvolture » énergétique, notamment dans le tertiaire, avec des immeubles transparents et consommateurs de climatisation. Il est plus que temps d’inverser la tendance.

Equilibre consommation / production pour l’énergie

Première urgence : atteindre un double équilibre entre production et consommation de chaleur, d’une part, entre production et consommation d’électricité, d’autre part. Si les consommations de chaleur n’ont que peu augmenté depuis 1973, les consommations d’électricité s’envolent. Une rupture franche sur les consommations d’électricité est donc prioritaire, tout en amplifiant les progrès réalisés sur les consommations de chaleur. Diviser par cinq ou six les consommations de chaleur dans les logements neufs ne relève plus de la science-fiction. L’enjeu est de permettre à la filière construction de s’approprier des techniques nouvelles dont certaines sont déjà testées chez nos voisins européens. Le passage à une consommation nette nulle de chaleur est plausible, si l’on utilise intensivement les capteurs solaires pour la production d’eau chaude sanitaire, puis pour le chauffage et le rafraîchissement.

Pour l’électricité, le problème est d’une autre ampleur. Nous sommes face à une très fortecroissance de la demande de climatisation dans le logement et à une augmentation de la consommation d’électricité spécifique. Cette augmentation de la demande ne s’accompagne pas pour autant d’un effort notable pour apporter des réponses économes. Et rompre avec ces modes de consommation semble difficile, tant l’électricité est associée au confort. Alors, comment faire ? Je crois que la réduction de la consommation électrique des logements et des bureaux passe par celle des appareillages. Et c’est là que l’industrie des équipements électriques et électroniques peut apporter sa pierre à cette « chasse au gaspi » : en concevant des produits économes et générateurs de plus de confort. Dans le domaine de l’éclairage, des gains considérables sont attendus avec les diodes électroluminescentes ou l’intégration de détecteurs de présence qui coupent les circuits dans les pièces vides. La réduction massive des consommations d’électricité ne sera pas suffisante pour juguler la croissance des consommations de climatisation. L’architecte a un rôle important à jouer, non seulement pour réduire le recours à la climatisation, mais aussi pour produire de l’électricité.

Une dynamique de ruptures technologiques et d’aggiornamento architectural

Heureusement, le secteur du bâtiment dispose de marges d’amélioration importantes. Il doit s’engager dans une dynamique de rupture pour passer du statut de consommateur à celui de producteur, voire d’exportateur, d’énergie. Tout en gardant à l’esprit que nous ne pourrons pas revenir en arrière sur ce qui participe à notre confort, mais qui consomme de plus en plus d’énergie : produits finis toujours plus nombreux et sophistiqués (équipements électroniques et électroménagers…), habitat plus chaud en hiver et plus frais en été…

Déjà, les innovations technologiques se multiplient : matériaux à changements de phase qui stockent calories et frigories pour restituer, le jour, le rafraîchissement cumulé la nuit ; nouvelles générations de fenêtres dont les apports thermiques sont supérieurs aux pertes ; tuiles photovoltaïques productrices d’électricité ; systèmes de ventilation double flux permettant de récupérer de l’énergie... Et n’oublions pas les automatismes, « cerveau » du bâtiment, qui gèrent les systèmes d’énergie : mise en veille du chauffage, fermeture des volets, vérification de la mise hors tension de l’éclairage, mise en route du système anti-intrusion, etc.

Les architectes adeptes de la haute qualité environnementale conçoivent déjà des bâtiments bien intégrés dans leur site, agréables à vivre et dont l’impact sur l’environnement est moindre, l’architecture bioclimatique retrouve ses lettres de noblesse. Certains bâtiments intègrent joliment des panneaux solaires thermiques et photovoltaïques en toiture et en façade pour assurer le confort (chauffage et rafraîchissement) et l’autonomie énergétique.

Le bâtiment, source d’énergie

Bref, nous assistons à une véritable mutation, qui conduira à des bâtiments énergétiquement performants, voire à énergie positive, que nos voisins allemands ou suisses ont commencé à développer. L’idée est de faire du bâtiment un lieu de production d’énergie décentralisé utilisant les sources d’énergie disponibles : soleil, vent, eau, sous-sol. En devenant producteur d’énergie, le bâtiment subviendra à ses propres besoins et restituera l’énergie non consommée sur le réseau.

Ainsi, au-delà des économies financières d’énergie, le bâtiment pourrait être source de revenus. En équipant son logement de systèmes à énergie renouvelable pour produire de l’électricité, l’habitant peut refacturer à son fournisseur ou son gestionnaire le surplus d’énergie produite. Et pourquoi ne pas concevoir un « compte énergie » avec un système de revenus financiers ou d’agios énergie, selon que les consommations sont inférieures ou supérieures à la production du bâtiment ?

Après avoir engrangé l’énergie économisée, se pose la question du « stock ». Comment stocker, le jour, l’énergie dont on aura besoin pendant la nuit ? Comment stocker, l’été, l’énergie dont on aura besoin pendant l’hiver ? La réponse à la première interrogation est assez simple : la chaleur du jour peut être emmagasinée dans les parois du bâtiment. Les maisons anciennes à murs épais le démontrent ; les matériaux à changement de phase, par exemple, peuvent apporter une solution. Le challenge majeur des bâtiments à énergie positive concerne surtout le stockage intersaisons de chaleur et d’électricité : l’énergie n’est pas produite en même temps qu’elle est consommée. L’une des idées est d’utiliser les calories et les frigories du sol sur lequel reposent les fondations, là où il est plus chaud que le sol extérieur l’hiver, et plus frais en été. Les calories et frigories peuvent être exploitées à certains moments de l’année à l’aide de pompes à chaleur.

Un choix citoyen

J’entends déjà les objections à ces innovations : les coûts et les réticences des utilisateurs à s’approprier ces changements. Je pense que les Français sont prêts à faire ce choix citoyen, à prendre leur avenir climatique en main et à devenir acteurs de la lutte contre l’effet de serre. Cette contribution donne un nouveau sens à la manière d’habiter ou d’utiliser un bâtiment. Il est vrai que l’effort demandé aux habitants doit être encouragé par une ingénierie financière originale : un plan épargne énergie distribué par les banques, un prêt avec supplément bonifié pour financer des logements dotés d’un chauffe-eau solaire ou d’une installation photovoltaïque, un prêt hypothécaire « rechargeable » ciblé sur des travaux visant à augmenter l’efficacité énergétique des bâtiments… Ou encore des primes d’assurance et des systèmes de garantie spécifiques. Ces produits financiers d’un genre nouveau et les incitations susciteraient de nouveaux arbitrages dans les modes de consommation et les investissements de construction.

Ingénierie concourante et intégrée : une maîtrise d’œuvre unie

En amont, c’est toute l’ingénierie – architectes et bureaux d’études – qui est concernée. Nous entrerons dans une ère de l’optimisation par l’ingénierie. Chaque bâtiment sera spécifique, nécessitant des solutions sur mesure pour répondre aux exigences réglementaires, de confort, d’esthétique, de performances énergétiques… Prenons conscience de l’interaction de l’ingénierie. Par exemple, une ingénierie thermique, qui consiste à augmenter l’isolation des bâtiments et à réduire au minimum les déperditions de chaleur, peut augmenter la vulnérabilité du bâtiment au risque sismique. On l’a vu avec certaines solutions de traitement des ponts thermiques qui fragilisaient le bâtiment.

Autre exemple : le renforcement de l’isolation thermique pose la question du renouvellement de l’air et nécessite une ingénierie de la qualité de l’air intérieur pour préserver la santé des futurs occupants. On voit bien que l’optimisation partielle d’une performance peut conduire à des déséquilibres, voire à la perte d’autres performances attendues. Le modèle, qui consiste à dire « l’architecte dessine et l’ingénieur calcule dans son coin », a vécu. à l’avenir, avec des réglementations de nature performancielle et des moyens de calcul puissants, l’ingénierie se décloisonnera, pour aboutir à une ingénierie intégrée et concourante ; la conception
architecte-ingénieur sera une.

Les services et les systèmes ou matériaux performants influent aussi inéluctablement sur le mode de production des bâtiments. Les compétences professionnelles devront évoluer. Le bâtiment performant va révolutionner le découpage traditionnel entre corps d’état, voire en susciter de nouveaux. Par exemple, l’installation de cellules photovoltaïques relève-t-elle de l’électricien, du couvreur, du vitrier ou d’une start-up énergie qui gère la production locale d’électricité, loue de l’espace exposé au soleil ? Les corps d’état devront gagner en qualification et évoluer en technicité avec, à la clé, une meilleure image des métiers du bâtiment et la création de nombreux emplois ; ils utiliseront des composants mieux industrialisés. En effet, l’industrialisation est en train de faire un retour en force. Aujourd’hui, les industriels fabriquent des produits et composants sur mesure, qui sont assemblés plus aisément sur chantier. Evitant la répétitivité et la standardisation, l’industrialisation n’est plus antinomique de l’architecture originale.

Cet horizon à vingt ans nous interroge sur la place du progrès dans le bâtiment. Longtemps jugé comme un domaine low-tech, voire no-tech par ses détracteurs, il était considéré comme relevant d’une démarche incrémentale. Désormais, les enjeux, sauf à les ignorer et à décevoir, en font légitimement un secteur high-tech qui devra accélérer le rythme.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-10/offrir-des-services-et-des-performances-energetiques.html?item_id=2740
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