Directeur exécutif Stratégie, Recherche,
International et directeur scientifique
de l’Agence de l’environnement et
de la maîtrise de l’énergie (Ademe).
Bien intégrer la problématique énergie-effet de serre
Le prix du baril de pétrole, durablement au-dessus de 60 dollars, et les enjeux du réchauffement climatique questionnent en profondeur le secteur du bâtiment et toutes les fonctions sociales et économiques qu’il remplit. Comment pourra-t-on habiter, se chauffer, s’éclairer dans des conditions économiques acceptables pour tous à un horizon de vingt ans si les énergies fossiles deviennent de plus en plus coûteuses ? Comment faire en sorte que les émissions de gaz à effet de serre imputables à nos bâtiments et à leur insertion urbaine ou rurale ne continuent pas à croître ?
Près de la moitié (43 %) de la consommation finale d’énergie en France est consommée dans des bâtiments – logements ou locaux tertiaires – pour des usages de chauffage, de production d’eau chaude sanitaire, de cuisson et des utilisations spécifiques de l’électricité(1). Ces consommations d’énergie engendrent 18 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique, un chiffre en croissance depuis 1990 (+ 15 % en 12 ans). Alors que, dans le résidentiel, 75 % de la consommation finale d’énergie sont absorbés par le chauffage, cet usage ne représente que 30 % des consommations d’énergie finale du secteur tertiaire. Les principaux postes de consommation du tertiaire sont en effet l’eau chaude sanitaire et la cuisson (38 %), et les usages spécifiques de l’électricité (32 %).
Une consommation importante pour de multiples usages
Au cours des 20 dernières années (1985-2004), les besoins énergétiques pour le chauffage sont restés stables dans le résidentiel et le tertiaire. Cette stagnation résulte des réglementations thermiques qui, malgré la forte croissance des surfaces tertiaires, la tendance à l’augmentation de la taille moyenne des logements et l’individualisation du parc de logements, ont réussi à contenir la croissance des besoins énergétiques liés à la chaleur.
Pour ce qui concerne les autres usages, le constat est différent : entre 1985 et 2004, les besoins énergétiques en lien avec l’eau chaude sanitaire, la cuisson et l’électricité spécifique ont crû respectivement de 59 % et de 12 %. Cette croissance est due à l’amélioration du confort des logements, à l’évolution des modes de vie et à la forte pénétration des équipements électriques (hi-fi, vidéo, multimédia, par exemple).
Au-delà des performances intrinsèques du bâtiment, la construction des ouvrages elle-même génère des consommations d’énergie (activités de construction, énergie incorporée dans les matériaux…) qui sont évaluées, pour le stock existant de bâtiments, dans une fourchette de 7 à 10 % de la consommation énergétique sur leur durée de vie (dont 5 % pour la part imputable à la seule fabrication des matériaux), soit 5 millions de tonnes équivalent pétrole consommées chaque année. Pour les bâtiments neufs, la proportion est de l’ordre de 15 %. Avec des bâtiments à très haute performance énergétique, cette proportion pourrait atteindre 20 à 25 % de la consommation énergétique sur leur durée de vie, posant ainsi beaucoup plus fortement la question des choix de filières constructives.
Mais le bâtiment génère également des consommations d’énergie au travers de sa localisation et des choix urbanistiques et d’aménagement. Ces choix ont des conséquences importantes en termes de possibilités d’utilisation de moyens de transport plus propres et économes que les véhicules motorisés individuels. La consommation d’énergie annuelle de l’usager d’un logement correspond à seulement 5 000 km parcourus en zone urbaine avec une voiture de faible cylindrée. Ces choix urbanistiques ont également un impact sur la nature des énergies consommées : ils peuvent en effet favoriser ou non l’accès à des sources d’énergies renouvelables ou la mise en concurrence des différents réseaux énergétiques utilisables par les bâtiments.
Appréhender le bâtiment au regard de la problématique de l’énergie (et de l’émission des gaz à effet de serre) conduit ainsi à mettre en question, non seulement la performance énergétique du bâti, mais l’ensemble des usages induits par la fonction bâtiment dans une approche globale.
Exploiter les potentiels d’économie d’énergie
Les secteurs résidentiel et tertiaire recèlent de forts potentiels de réduction de leurs consommations d’énergie et de leurs émissions de gaz à effet de serre avec, comme premier enjeu, la réduction des consommations de chauffage.
Environ 60 % des logements français ont été construits avant la première réglementation thermique de 1975. Or, les réglementations thermiques successives ont permis de faire baisser le niveau des consommations unitaires des bâtiments neufs de plus de 60 % en 30 ans. L’état actuel des techniques en matière d’enveloppe du bâti et d’équipements de production d’énergie permet d’envisager la construction de bâtiments neufs atteignant des niveaux de consommation unitaires proches de 50 kWh/m² alors que les seuils de la réglementation thermique dans le neuf sont actuellement de l’ordre du double. Il est ainsi essentiel de renforcer les exigences de performance thermique des bâtiments neufs au niveau des meilleures techniques disponibles appréciées au regard du coût complet du bâti (investissement et charges énergétiques). Ce renforcement doit être dynamique et accompagner les progrès techniques, ce qui conduit à programmer un relèvement des seuils tous les cinq ans.
Mais il convient également d’améliorer le stock des bâtiments existants en utilisant la panoplie des instruments qui ont prouvé leur efficacité.
- La réglementation peut être mise en œuvre pour les grosses réhabilitations.
- L’information des usagers sera maintenant plus effective avec les certificats de performance énergétique des bâtiments rendus obligatoires en 2006 pour les ventes et en 2007 pour les locations. L’étiquetage des logements permettra à l’acquéreur de mettre en regard d’un éventuel surcoût, les économies qu’il réalisera sur sa facture énergétique.
Les 180 Espaces Info Energies déployés en France depuis quelques années par l’Ademe et les collectivités locales permettent également de renseigner les particuliers sur les améliorations qu’ils peuvent apporter à leur logement ou à leur projet de construction. Les 300 000 conseils approfondis dispensés par ces centres d’information en 2005 témoignent des attentes des Français en matière d’économie d’énergie.
- Les crédits d’impôts ou autres incitations fiscales sont également un moyen efficace de déclencher des travaux d’isolation, d’amélioration des appareils de chauffage ou de recourir aux énergies renouvelables.
- Des mécanismes bancaires incitatifs sous forme de bonification des taux d’emprunts ont montré leur efficacité dans plusieurs pays européens et font actuellement l’objet de propositions en France (Livret Climat, par exemple).
Réhabiliter l'existant
La réhabilitation du parc de logements existants aux normes de la dernière réglementation thermique (2005) représente un montant de l’ordre de 600 milliards d’euros. Etalé sur une trentaine d’années, cet investissement représente 20 milliards par an, montant certes considérable mais à mettre en regard des 32 milliards d’euros d’investissement dépensés annuellement dans la rénovation des logements (toutes finalités confondues) et des 8 milliards d’investissements annuels des ménages pour améliorer les performances énergétiques de leur logement.
Mais les consommations d’énergie dans les bâtiments ne se limitent pas au chauffage et les consommations d’électricité spécifique sont celles dont la croissance est la plus rapide (appareils électroménagers, éclairage, bureautique…). Les consommations des appareils de froid, de lavage et l’éclairage représentent à elles seules 67 % des consommations d’électricité spécifique dans le résidentiel. Si les technologies les plus performantes actuellement commercialisées (appareils étiquetés A ou A+) étaient généralisées, on réduirait de 44 % les consommations d’énergie qu’ils représentent. La pénétration de ces technologies peut être fortement accélérée par des normes et des réglementations faisant sortir du marché les appareils les moins performants.
Préparer les bâtiments du futur
Au-delà de la généralisation des technologies actuellement disponibles par le recours aux instruments incitatifs et réglementaires, l’enjeu de la recherche est essentiel pour préparer les solutions du plus long terme qui devront nous conduire à diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Les priorités de recherche mises en œuvre par l’Ademe visent plusieurs objectifs
- Développer la faisabilité économique de bâtiments « à énergie positive », c’est-à-dire de bâtiments suffisamment performants pour que les appoints énergétiques, fournis par les énergies renouvelables, compensent les déperditions thermiques résiduelles. Avec les techniques en développement, cet objectif devrait pouvoir être atteint dès 2030 avec un surcoût très faible, à condition d’entreprendre dès maintenant l’expérimentation des ces technologies sur des bâtiments démonstrateurs, y compris dans le cadre de réhabilitations de bâtiments existants.
- Poursuivre les recherches sur les briques technologiques élémentaires, tant au niveau des composants (vitrages à faible émissivité, isolants), qu'au niveau de l’intégration des énergies renouvelables (solaire thermique et photovoltaïque notamment) et au niveau des appareils électriques (LED pour l’éclairage, lavage à froid, réfrigérateurs hyper-isolés…).
- Préparer les conditions dans lesquelles les bâtiments du futur seront intégrés dans l’espace urbain et dans les réseaux électriques dont la fonction sera de mutualiser des sources et des usages d’énergie diffus. Cette optimisation des réseaux passera par le développement de stockages pour niveler les pointes de consommation mais aussi par des réseaux « intelligents » permettant, grâce aux technologies de l’information et de la communication, d’optimiser le fonctionnement de tous les appareils domestiques et bureautiques.
Il est également nécessaire de considérer, avec un même niveau d’exigence, les problématiques « confort », « santé » et « environnement » afin d’assurer la cohérence entre les améliorations énergétiques et les progrès dans les autres registres de l’habitabilité ; ceux intéressant notamment les ambiances lumineuses et sonores, la qualité de l’air intérieur ainsi que d’autres questions telles que l’accessibilité, la sécurisation et l’ergonomie appelées par le vieillissement des populations.
Mais cette démarche volontariste ne trouvera son sens que si elle s’accompagne d’une mobilisation plus générale de l’ensemble des acteurs au-delà du seul secteur de la construction. L’accès au logement doit prendre en compte non seulement la performance énergétique du bâti mais également la mobilité induite par les choix d’aménagement et son impact sur les consommations d’énergie. L’enjeu est donc bien celui d’une généralisation de la logique du développement durable dans l’ensemble des politiques publiques.
- Usages pour lesquels l’électricité ne peut être remplacée par une autre énergie : éclairage, appareils électriques et électroniques.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-10/bien-integrer-la-problematique-energie-effet-de-serre.html?item_id=2734
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