Christian BRODHAG

est délégué interministériel au Développement durable.

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Faire face aux défis du développement durable

Le bâtiment est un secteur clé pour le développement durable : il contribue directement au bien-être de la société et, plus généralement, à l’emploi et au PIB. Ses infrastructures participent aux interactions sociales et au développement économique local, mais il a des impacts négatifs importants auxquels il est possible de s’attaquer.

Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement 1, sur une moyenne mondiale, les bâtiments utilisent jusqu’à 40 % de toute l’énergie consommée dans la société, contribuant de ce fait également aux émissions significatives de CO2. De 30 à 40 % des déchets viennent du secteur du bâtiment et de la construction, et plus de 20 % des ressources d’eau douce sont consommées par ce secteur. De plus, la qualité de l’air intérieur montre une relation entre l’environnement et la santé publique. Les émissions CO2 des secteurs du transport et du bâtiment dépassent maintenant 50 % du total des émissions françaises, et ces secteurs continuent à augmenter leurs émissions : entre 1990 et 2004, le transport a accru sa contribution d’un quart, et le bâtiment, de près de 20 %.

La confrontation entre les tendances héritées du passé et les obligations de réduction de la pression sur l’environnement que nous imposera le monde de demain, conduira à un constat d’incompatibilité. L’exemple de l’énergie 2 et du changement climatique est le problème le plus emblématique. Pour stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre afin de permettre un changement du climat acceptable, il faut globalement diminuer les émissions d’un «facteur 2». Compte tenu des inégalités internationales en termes de responsabilité, cela correspond à une diminution d’un «facteur 4» pour les pays industrialisés. La question n’est plus sur la réalité de cet objectif, mais sur l’ampleur de l’effort à accomplir pour des échéances intermédiaires (2020-2030) et comment y parvenir. Un groupe de travail consacré à ce sujet 3 vient de rendre un rapport qui donne des pistes intéressantes dont certaines concernent le bâtiment. Bien entendu, le neuf est une cible importante, mais l’essentiel de l’effort devra concerner les bâtiments existants.

L’inertie du système climatique est telle que des changements auront lieu. On ne peut qu’en limiter l’ampleur, mais il faut aussi développer une stratégie d’adaptation. Les canicules de 2003 ou de 2006 seront considérées comme des étés moyens dans la seconde moitié du siècle, l’habitat doit s’y préparer. Les modèles climatiques commencent à donner des estimations des conditions climatiques futures au niveau régional 4.

Développer une vision globale

Le changement des approches et des pratiques doit se situer dans le cadre du développement durable, qui permet d’intégrer les dimensions économiques, sociales et environnementales. Le Sommet de la terre de Johannesburg a lancé une réflexion mondiale sur le changement des modes de production et de consommation. Le groupe de travail international sur le bâtiment durable et la construction est animé par la Finlande. S’il s’oriente principalement vers les problèmes énergétiques, il a évoqué aussi les éléments et les processus suivants :

  • la production des matériaux de construction, à partir de l’extraction et du transport des matières premières,
  • la conception et la construction des bâtiments et de leurs systèmes techniques,
  • la planification de l’aménagement du territoire et la construction des infrastructures pour les établissements humains,
  • la logistique et les transports dans des établissements humains, en particulier les solutions de mobilité urbaine,
  • l’utilisation, l’entretien, la rénovation et la démolition éventuelle des bâtiments.

Il se situe donc aussi bien dans la gestion du cycle de vie du bâtiment, des matières premières à la réhabilitation ou la destruction, que dans l’insertion du bâtiment dans son environnement proche et le système urbain. Ce qui implique, par exemple, de maîtriser réellement l’étalement urbain, destructeur de terres agricoles et de ressources naturelles et générateur de gaz à effet de serre par les transports induits. Pour cela, il s’agit de répondre par des propositions d’urbanisme et d’architecture nouvelles qui donnent une réelle attractivité à la densité urbaine.

Il convient donc d’approcher le problème de façon globale, c’est-à-dire de faire coopérer des acteurs peu habitués à travailler ensemble.

La dimension économique

Ces changements devront s’appuyer sur des choix collectifs et une multitude de décisions individuelles sur lesquelles il importe d’agir. La croissance de la population et les obligations de rénovation ou de remplacement du patrimoine bâti, impliqueront des activités qui devraient augmenter de 30 % les consomma­tions de ressources et la génération de déchets, mais aussi créer de nouveaux marchés.

Relever ce défi est un impératif stratégique pour les entreprises. Comme le note le récent rapport du groupe «Facteur 4», il convient de «conforter la présence française et sa compétitivité dans la fabrication de matériaux et équipements performants dans le bâtiment. Outre le marché du neuf, la réhabilitation massive du bâtiment existant constitue le défi essentiel pour espérer respecter le facteur 4 et constitue un marché de plusieurs centaines de milliards d’euros d’ici à 2050» 5.

Mais ce défi sera relevé avec des financements. Le prix élevé de l’énergie et le prix qui sera alloué au carbone rendront rentables ces nouveaux investissements dans le bâtiment. Mais dès maintenant, une technique comme le double vitrage à isolation renforcée, par exemple, a un retour sur investissement rapide, en dépit se son surcoût par rapport aux solutions classiques. Il y a donc aussi une place essentielle pour l’ingénierie financière et les financements privés. Il faut généraliser les approches de coût complet incluant bien entendu l’exploitation et la maintenance.

La performance thermique peut apparaître d’un coût élevé si l’on ne prend pas en compte l’ensemble de la durée de vie. Dans le logement social, la baisse des charges est un élément d’équité sociale. Il s’agit de durabilité puisque cela profitera aux locataires les moins riches, ce qui est une façon de contribuer au développement durable. Mais envisager l’ensemble du cycle de vie nécessite de repenser la relation entre propriétaire et locataire, entre le loyer et les charges. Les amortissements devront en effet être partagés « équitablement » entre propriétaire et locataire.

Les politiques fiscales apportent un soutien très efficace. Dans le domaine des énergies renouvelables et des économies d’énergie, un effort fiscal de près d’un milliard d’euros a été consenti en France en 2005, avec notamment 450 millions d’euros pour le crédit d’impôt pour le logement et 200 millions d’euros des CSPE (Charges de service public d’électricité) pour l’électricité renouvelable.

Le changement conduira à la pénétration de nouvelles pratiques et nouvelles techniques dans la construction et la réhabilitation. Il faudra privilégier les solutions d’intégration architecturale, la combinaison d’éléments actifs ou passifs comme les puits provençaux 6 pour la climatisation. S’appuyer sur l’inertie du bâtiment en développant l’isolation extérieure. La nouvelle norme thermique RT 2005 encourage les approches globales.

Le rôle du changement technologique

Les matériaux ont un rôle essentiel. Il ne faut pas se limiter à leur seule valeur d’usage mais considérer l’ensemble de leur cycle de vie, y compris le transport et le recyclage. Dans ce domaine, le bois cumule de nombreux avantages : il a un bilan positif en matière de gaz à effet de serre puisque sa production soustrait du CO2 à l’atmosphère. C’est une ressource locale dont on peut mieux prévoir le prix quecelui d’autres matériaux qui ont connu des hausses importantes. Et l’innovation technique est à même de bouleverser à tout moment la hiérarchie des matériaux, le contexte d’usage étant tout aussi important.

Un autre thème émerge, en effet : la qualité de l’air intérieur et le rôle des matériaux. La diminution du renouvellement d’air pour des objectifs de limitation des déperditions thermiques peut conduire à aggraver les pollutions intérieures dégagées par des matériaux inadéquats.

Le changement est poussé par la réglementation et par les démarches d’adhésion volontaire. La Haute qualité environnementale apparaît, par exemple, comme une manière d’aborder le bâtiment de façon globale. Avec les remises fiscales et les marchés publics, dont le code vient d’évoluer dans ce sens, les politiques publiques stimulent les offres innovantes.

Mais la France apparaît en retard par rapport à certains de ses voisins européens. C’est donc aussi aux entreprises et aux artisans de pousser les changements, aux organisations professionnelles d'encourager la diffusion de l’innovation et les changements de pratiques et aux organismes de formation de déve­lopper les nouvelles qualifications.

  1. Opening Note by Monique Barbut, Sustainable Building and Consumption Initiative (SBCI), Launching meeting, Paris, 21 February 2006.
  2. Voir l’article de François Moisan dans ce numéro.
  3. Rapport du groupe de travail « Facteur 4 », présidé par Christian de Boissieu, juin 2006.
  4. Le site de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique donne des estimations régionales jusqu’en 2100 : www.onerc.gouv.fr
  5. Rapport du groupe de travail « Facteur 4 », juin 2006, http://www.effet-de-serre.gouv.fr/fr/actions/Projetrapportfacteur4.pdf
  6. Ou puits canadiens.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-10/faire-face-aux-defis-du-developpement-durable.html?item_id=2731
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